le sens du réel
Le philosophe Henri Bergson (L’évolution créatrice, 1907) avait non seulement introduit la notion du temps dans l’art (surtout pour la musique, l’architecture et la peinture) mais il avait identifié l’art au temps et à la fluidité de la durée.
Alors que la notion du temps est intrinsèque à l’art, voici que l’art devient pour Bergson la seule et unique action humaine capable de susciter des sentiments, capable de capturer le sens du réel et capable, en même temps, d’inventer quelque chose de nouveau. L’art, ainsi, possèderait la double force de retravailler l’existant (réalité physique et immédiate située dans le passé) et de révéler de nouvelles connaissances (réalité métaphysique située dans le présent). L’artiste, en tant que créateur, agirait sous l’impulsion d’une contraction génératrice qui le rend puissant et précis, lui permettant de répéter dans le présent le geste créateur, originaire, oublié.
Selon Bergson, la création artistique répète la perfection opportuniste de l’élan vital qui est à l’origine de toute création universelle, en prêchant l’effort à la mobilité propre à toutes formes de vie. La vie en elle-même serait mouvement dans l’espace-temps, à travers le dépassement des obstacles qui, a contrario, tendent au confort de l’immobilisme et du fractionnement. La sinuosité des écartements des obstacles donnerait le produit final, presque par soustraction, comme s’il fallait travailler durement pour laisser sortir la vie dès la pierre, dès la matière inerte, des objets insensibles.
De nos jours, l’artiste fait appel de plus en plus à sa singularité qui lui permet de choisir les matériaux par des actes libres, certes, mais il rejoint par intuition, la précision formelle de son œuvre unique. Sa conscience artistique le conduit vers une invention nouvelle, tout en adhérant à la nature de son propre savoir-faire (son intelligence) et en esquivant le système des règles qui font obstacle à sa liberté absolue. L’œuvre d’art s’enrichit ainsi de la spiritualité insufflée par le geste créateur et l’intuition narcissiste permet le dépassement de l’assuétude. L’audience en est conquise, le regardeur en est aimanté.