Le syndrome de Galilée ou la peur d'apprendre

Le syndrome de Galilée ou la peur d'apprendre

Apprendre, c'est tout simplement accepter de changer son point de vue, ses croyances, ses pratiques, parfois jusqu'au plus profond de soi-même... Pas si facile me direz-vous ? À l'heure où les certitudes et les dogmes reviennent en force, peut-on encore penser la pédagogie comme une science du changement, comme un processus individuel plutôt qu'un format ou une méthode collective ?

Au cours de ma vie professionnelle dans le secteur privé, j'ai eu la chance de suivre de nombreuses formations. Et j'ai souvent été stupéfait de voir des personnes qui avaient été envoyées en formation par leur employeur et qui percevaient cette opportunité comme une contrainte, une épreuve interrogeant leurs capacités actuelles. Quelques années plus tard, en tant que professeur, j'ai rencontré des élèves et étudiants qui développaient des symptômes de rejet, voire de phobie du système scolaire. Ce constat que n'importe quel formateur a pu faire aussi bien que moi conduit à s'interroger. Comment se fait-il que ce qui apparaît comme une chance devienne une épreuve ? Comment se fait-il que ce qui relève d'une opportunité soit finalement perçue comme une contrainte ?

Un paradoxe qui conduit à se questionner sur le sens du mot formation. Le mot formation est en effet polysémique. Il renvoie, au travers de sa racine latine, au format, à la forme. Mais le mot formation renvoie également à un processus plus ou moins long qui aboutit à une transformation, un renouveau : ne parle-t-on pas de la formation des stalactites ou des nuages ? Concernant la formation au sens du format, on a une idée à peu près claire de ce qu'il peut recouvrir : programme, horaires, lieux, outils, méthodes d'animation, périodicité, fréquence... Concernant le processus, on reste souvent plus perplexe et parfois démuni... Ainsi, comment expliquez qu'après une scolarité gratuite de plusieurs années, certains apprenants ne possèdent toujours pas les fondamentaux de la langue ou du calcul mathématique alors même, il faut le préciser, qu'ils ont pu acquérir par ailleurs de réelles capacités comme la maîtrise de l'outil informatique, des logiciels de montage vidéo (avis aux youtubeurs) ou même d'un champ artistique particulier comme la danse, le théâtre ou encore la musique ? Cette dichotomie dans la capacité d'apprentissage doit bien avoir une cause, une origine : réaliser un clip vidéo paraît une tâche d'une bien plus grande complexité (prise de vues, montage, doublage, formatage, mise en ligne, référencement...) que réaliser un produit en croix en mathématiques ou un calcul de pourcentage ? Et pourtant...

La réalité est qu'il n'y a pas de réponse collective à cette question mais bien des réalités individuelles. L'apprentissage est un changement durable et comme tout changement durable il s'entreprend à partir du moment où l'apprenant se sent en sécurité et valorisé dans son parcours. Apprendre est la quintessence même de la vie. Il est naturel d'apprendre. Nous apprenons dès notre naissance dans notre premier souffle sonore, un geste que nous produisons pour la première fois. Nous apprenons ensuite à nous alimenter, à marcher, à parler, à reconnaître et nommer les objets qui nous entourent... Et tout cela se fait naturellement à compter du moment où notre environnement nous offre un sentiment de sécurité affective et matérielle minimal. Pourquoi en vient-on alors dans certains cas à rejeter un enseignement, un apprentissage alors même qu'il nous est offert de l'acquérir ? La réponse est individuelle mais pas forcément du domaine du conscient. Une des pistes possibles est ce que l'on désigne en psychologie comme un bénéfice secondaire : "si je n'apprends pas alors que cela me sera bénéfique, c'est que j'ai un bénéfice secondaire - souvent inconscient - encore plus important à ne pas le faire". À l'instar du cardinal perplexe devant la démonstration implacable de Galilée, nous nous fermons à l'évidence parce que nous pensons avoir un intérêt à le faire.

Nous pouvons ne pas apprendre par simple peur de l'échec. Nous sommes même capables de mettre en oeuvre une stratégie d'échec à notre insu, une sorte d'épée de Damoclès éducative : "je sais que je vais "rater", autant que je sois "fixé" tout de suite pour passer à autre chose...." Nous pouvons aussi vouloir préserver notre face par rapport à notre groupe d'appartenance... Les raisons peuvent être innombrables mais elles sont toutes individuelles, rarement collectives. Et ces raisons individuelles méritent dans tous les cas d'être explorées.

Comme le dit très bien le philosophe Alain en évoquant le jeune Alexandre qui avait eu l'idée de tourner la tête de son cheval Bucéphale vers le soleil une fois qu'il s'était aperçu que celui-ci avait peur de son ombre : "nous n'avons aucune puissance sur les passions tant que nous n'en connaissons pas les vraies causes".








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