Le système de santé en Chine : et si nous le comparions avec celui de la France?

Comparaison n’est pas raison… Et encore moins concernant les systèmes de santé chinois et français. Toutefois, les différences entre les deux pays sur des enjeux qui occupent une large place dans l’actualité hexagonale peuvent s’avérer très éclairantes…

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EN CHINE, UNE AMBITION À 15 ANS VOIRE DAVANTAGE, EN FRANCE, UNE STRATÉGIE SANTÉ À 5 ANS

En Chine, un plan quinquennal – calé sur le rythme des congrès du parti communiste chinois – définit les objectifs pour chaque secteur de l’économie y compris la santé. Mais il est intéressant de noter que l’État central organise également son action avec des objectifs à beaucoup plus long terme. Par exemple, le très ambitieux programme national Healthy Chinese Initiative 2030 a été adopté en août 2016 par le Comité Permanent du Politburo. Son contenu est très comparable à celui de la stratégie nationale de santé française avec, cependant, des objectifs beaucoup plus quantitatifs : un champ très large, de nombreuses priorités (augmenter l’espérance de vie moyenne de 76 à 79 ans, augmenter le taux de survie à 5 ans de 15%, en cas de cancer par exemple), une grande ambition (passer d’un système de santé curatif à un système centré sur la prévention et la gestion du capital santé des individus)… et une tout aussi grande discrétion sur les moyens qui seront mis en œuvre.

L’une des forces du "modèle" chinois se trouve dans la convergence des programmes à long terme malgré leur multiplication. Comme autres plans majeurs avec un fort contenu santé, on peut citer Made in China 2025, d’ores et déjà dans le collimateur du gouvernement américain. Il fixe pour une douzaine de secteurs économiques clés, y compris l’industrie pharmaceutique et celle des équipements médicaux, un objectif de 70% à 95% de part de marché national pour les entreprises chinoises. Ces plans s’inscrivent dans une vision plus lointaine encore, China 2049, une date marquant le centenaire de la création de la République Populaire de Chine et à laquelle la Chine ambitionne de retrouver sa place historique et "légitime" de première puissance économique mondiale.

En France, le gouvernement a publié au premier trimestre 2018 sa feuille de route détaillant les priorités en matière de santé – la Stratégie Nationale de Santé 2018-2022 – et plus récemment les 25 mesures-phares du Plan Priorité Prévention, concrétisation du premier axe de cette stratégie nationale. Quasiment tous les plans gouvernementaux en matière de santé (plans Cancer, Autisme, Alzheimer, AVC, BPCO, Douleurs, Greffes, Hépatites, Maladies rares, Nutrition Santé, Santé mentale…) sont quinquennaux. À de rares exceptions, leur temporalité coïncide avec des échéances électorales, généralement présidentielles. Dans certains cas (cancer, autisme, nutrition santé…), un quinquennat étant trop court pour obtenir des résultats tangibles, les plans se succèdent (Plans Cancer 1, 2, 3). Mais en raison de priorités beaucoup trop nombreuses, rarement clairement définies, et de moyens très insuffisants, ces plans n’atteignent jamais leurs objectifs mais des résultats très en-deçà des enjeux.

SI LE SECTEUR PRIVÉ INVESTIT MASSIVEMENT DANS LA HEALTHY CHINESE INITIATIVE 2030, IL EST PEU ASSOCIÉ AUX PLANS NATIONAUX FRANÇAIS

Face à l’ampleur des besoins non satisfaits aujourd’hui par le système de santé chinois (cf. les 6 numéros précédents du Focus Chine en bas de page) et face aux défis que s’est fixé le gouvernement central pour 2030, les administrations publiques seules ne pourront y suffire. D’autant plus que les attentes de la population sont très fortes et que la gestion du système de santé étant fortement décentralisée, de très nombreuses évolutions devraient se faire contre les intérêts à court terme des acteurs locaux (les hôpitaux publics en premier lieu).

C’est pourquoi le gouvernement s’appuie aussi sur les acteurs "privés" : dans une économie si planifiée que la Chine, où les entreprises d’État pèsent un poids très important et où l’emprise du Parti Communiste sur tous les acteurs de la société se renforce considérablement, cette notion d’entreprise privée reste néanmoins relative. Quelques acteurs se détachent fortement par leurs investissements constants depuis quelques années et importants en valeur dans la santé : l’assureur Ping An et les sociétés technologiques Alibaba et Tencent (les A et T de l’acronyme B.A.T, équivalent chinois de GAFA, Baidu étant très en retrait dans le secteur de la santé depuis de grosses déconvenues de son moteur de recherche). Ces entreprises privées investissent prioritairement dans deux domaines : l’intelligence artificielle et la télémédecine.

Pour illustrer leur poids majeur et croissant, prenons l’exemple de Ping An, premier assureur par la taille de son bilan en Chine et dont le siège social se trouve à Shenzhen, de l’autre côté de la frontière avec Hong Kong. Ping An Ventures, sa structure de capital-risque, vient de lever 1,1 Md USD à Hong Kong pour deux fonds dédiés à la santé. À noter que les tickets d’entrée de 100 millions USD et plus dans le secteur de la santé ont représenté plus de 40% des prises de participation des fonds d‘investissement en Chine en 2017 (contre à peine 8% en 2007). Par ailleurs, deux filiales de Ping An dédiées à la santé devraient être introduites en bourse à Hong Kong cette année : Ping An Good Doctor, une plate-forme de services médicaux en ligne valorisée aujourd’hui 5,4 Mds USD (sur la base d’une pré-prise de participation par le fonds japonais Vision de Softbank) et Ping An Healthcare Technology, dédiée à la collecte et l’analyse de données de santé, valorisée aujourd’hui 8,8 Mds USD.

Mais pour augmenter ses chances de réussite, le gouvernement n’hésite pas non plus à mobiliser des entreprises d’État, non présentes dans le secteur de la santé, pour qu’elles y investissent fortement. Par exemple, une alliance entre China Electronic Information Industry Group, China Unicom (l’un des trois opérateurs téléphoniques) et d’autres entreprises d’État a annoncé en avril 2017 la création de China Healthcare Big Data Industry Development Group (BDID). Et deux mois plus tard, China Mobile (le plus gros opérateur téléphonique du pays) s’associait à Inspur (dans le secteur informatique) pour créer une structure concurrente, China Healthcare Big Data Technology Development Group (BDTD). Le pari du gouvernement est que davantage de concurrence entre ces nouveaux acteurs, chargés par ailleurs de diriger la construction de la base nationale des dossiers médicaux hospitaliers, et les acteurs privés devrait contribuer à accélérer le développement du marché et l’émergence de nouveaux services où la donnée est clé pour transformer le système de santé d’ici 2030.

En France, la mobilisation de l’investissement privé se fait bien sûr via d’autres canaux qu’un parti unique omniprésent. Mais malgré le dynamisme du secteur de la santé dans l’économie, les investisseurs privés sont peu associés aux plans nationaux et confrontés à de nombreux obstacles pour investir davantage : fracture numérique persistante, instabilité réglementaire mais aussi manque d’ambition de l’État et absence de mobilisation des acteurs de la production de soins. Dans ce contexte, trouver le bon modèle médico-économique relève de la gageure.

L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE AU SERVICE DE LA SANTÉ, INVESTISSEMENT PRIORITAIRE

La Chine investit massivement dans l’intelligence artificielle (IA), pour des motivations économiques (China 2049) mais également politiques (construction en cours d’un système national de notation de toute la population ; la police chinoise peut s’appuyer sur un système national de 170 millions de caméras de vidéosurveillance et sur des lunettes connectées nourries à l’intelligence artificielle) avec l’ambition d’en devenir le leader mondial. D’ailleurs la start-up dédiée à l’IA avec la plus forte valorisation boursière est chinoise : SenseTime, spécialiste de la reconnaissance faciale, valorisée plus de 3 Mds USD. Un plan de développement national a été rendu public en juillet 2017 avec comme objectif que le secteur de l’IA génère plus de 20 Mds USD de chiffre d’affaires à l’horizon 2020 et 60 Mds USD d’ici 2025.

Le montant total des investissements publics n’est pas connu car intégrant les dépenses militaires, mais quelques initiatives locales en donnent un aperçu : une province a prévu d’y investir 5 Mds USD ; Beijing consacre 2 Mds USD à la constitution d’un parc technologique dédié à l’intelligence artificielle. En France, le président de la République vient d’annoncer un plan de 1,5 Md € pour que la France soit à la pointe en matière d’intelligence artificielle.

En Chine, le secteur de la santé n’échappe bien sûr pas à cette ambition nationale. D’autant plus que les freins à l’utilisation de cette nouvelle technologie y sont très faibles, principalement en raison de manque de médecins : à peine 1.5 médecins pour 1 000 habitants en Chine contre 3.3 en France. Sans compter un accès des entreprises aux données personnelles beaucoup plus simple qu’en France ou en Europe.

Ainsi, dans un grand hôpital de Beijing, qui reçoit 10 000 patients par jour dans son département de consultation externe, un algorithme d’intelligence artificielle est aujourd’hui utilisé systématiquement pour tous les cas de cancers du poumon. Cet outil a été développé par PereDoc, start-up chinoise, à partir d’images collectées dans plus de 180 hôpitaux ; il est aujourd’hui installé dans 20 établissements hospitaliers en Chine.

131 sociétés travaillent aujourd’hui au développement d’outils basés sur l’intelligence artificielle. Leur environnement est d’autant plus favorable qu’en 2017 la China Food and Drug Administration a inclus les outils diagnostic dans les dispositifs médicaux autorisés. Certaines sociétés étrangères en profitent aussi, comme la start-up londonienne Medopad qui a signé en janvier 2018 plus de 15 contrats pour une valeur supérieure à 140 millions USD, devant générer 150 emplois au Royaume Uni d’ici 2020.

Les grands groupes privés investissent fortement l’intelligence artificielle y compris dans la santé. Par exemple, Tencent, propriétaire de WeChat (une application pour smartphone, véritable "couteau suisse" permettant de faire tout ce qui est faisable par internet : messageries écrite et vocale, partage de photos, appels audio et vidéo, transactions financières pour gérer son compte bancaire, paiement de ses factures, ses courses y compris à un vendeur de rue et dans n’importe quelle boutique, du restaurant, du taxi, du métro, envoi d’argent à un ou des amis simultanément, location d’un vélo, prise de rendez-vous à l’hôpital et dans n’importe quel service public, suivi de l’actualité de ses amis… à quoi il faut ajouter les 580 000 mini programmes disponibles, qui sont autant d’applications intégrées) a lancé en 2017 Artificial lntelligence Medical Innovation System (AIMIS –觅影 miying en Chinois ou Tencent Image Searcher). Déjà plus de 100 hôpitaux du sud de la Chine l’utilisent pour le diagnostic précoce du cancer de l’œsophage : AIMIS, construit à partir des données et des images de dizaines de milliers de patients, analyse une image endoscopique en moins de quatre secondes et peut définir, avec un taux de précision supérieur à 90%, si l’œsophage est normal, inflammé ou avec un signe de cancer. Des applications au cancer du poumon (premier cancer en Chine) et à la rétinopathie diabétique (plus de 115 millions de personnes diabétiques dont seulement 20% sont traitées et plus de 400 millions de pré-diabétiques…) sont en phase d’essai clinique.

Le système AIMIS de Tencent a été retenu en décembre dernier par le gouvernement comme la plateforme nationale de référence en matière d’intelligence artificielle appliquée au diagnostic médical. Il est intéressant de noter que chaque concurrent de Tencent a également été désigné comme centre national de référence, mais dans d’autres domaines d’application de l’intelligence artificielle (Baidu pour le véhicule autonome et Alibaba pour la Smart City). Ce qui ne les empêche pas d’investir aussi dans les applications santé de l’intelligence artificielle, mais dans une moindre mesure que Tencent.

En France, les pouvoirs publics viennent seulement de commencer à se mobiliser sur l’intelligence artificielle avec la remise du rapport Villani et l’annonce par le gouvernement d’un "Plan pour l’intelligence artificielle". Selon ce plan, 1,5 milliard d’euros, dont près de 400 millions d’euros d’appels à projets et de défis d'innovation de rupture, vont être débloqués, principalement pour quatre secteurs prioritaires, dont celui de la santé. Au-delà des budgets prévus, il est intéressant de noter que à partir d’une base nationale de données médico-administratives (SNIIRAM), en réalité très peu médicalisées, « la France doit à nouveau faire figure de pionnière en investissant massivement dans les capacités de recherche et d’innovation en matière d’IA appliquée à la santé ».

LA TÉLÉMÉDECINE, AUTRE SECTEUR MAJEUR D’INVESTISSEMENT

Autre levier pour développer et améliorer l’offre de santé dans un contexte d’importante pénurie de ressources médicales : la télémédecine. Son développement figure parmi les objectifs du gouvernement car il permettra à la fois d’offrir aux personnes en bonne santé des programmes de prévention et de consacrer davantage les ressources hospitalières aux situations médicales les plus complexes. Mais elle ne bénéficie pas des mêmes soutiens publics que l’intelligence artificielle, la télémédecine relevant davantage d’un nouveau modèle d’organisation que d’une rupture technologique.

Comparativement à la France ou même aux États-Unis, le développement de la télémédecine est plus rapide en Chine. En effet, l’enjeu n’y est pas son remboursement par les systèmes de sécurité sociale, non prévu pour l’instant, puisque les Chinois sont habitués à payer eux-mêmes la majeure part de leurs dépenses de santé. Au contraire, ils accueillent très positivement ce type de services car il leur permet de passer plus de temps avec un médecin : Ping An Haoyisheng / Good Doctor, aujourd’hui leader de ce marché, s’engage sur une durée de consultation de 15 minutes (la durée moyenne d’une consultation présentielle avec un médecin généraliste en Chine est de 3 à 5 minutes, contre 16 en France). L’enjeu pour les plates-formes de téléconsultation est plutôt de rassurer les patients sur la qualité des médecins accessibles. Ce que Ping An Good Doctor réussit à faire avec ses plus de 180 millions de bénéficiaires, dont 30 millions d’utilisateurs actifs mensuels.

Le développement de ces nouveaux services est surtout porté par les très gros investisseurs privés comme Ping An. Mais cette nouvelle offre s’intègre en fait dans le développement de nouveaux modèles économiques O2O (online to offline), que Ping An Good Doctor illustre parfaitement et que les récentes annonces d’Amazon (accord avec JP Morgan Chase et Berkshire Hathaway) ou d’Apple (intégration de Health Records à l’application Apple Health et le rachat de centres de santé pour ses salariés à San Francisco) laissent présager aux États-Unis. Car Ping An Good Doctor intègre en fait assurance santé, plate-forme médicale, un ensemble de services (prise de rendez-vous, délivrance de médicaments…), solutions de paiement et nouvelles technologies. Créée en 2015, ses plus de 180 millions de bénéficiaires potentiels, dont 30 millions d’utilisateurs actifs mensuels, peuvent accéder 24/24 aux 1 000 médecins salariés et / ou aux 3 100 médecins et 7 500 pharmacies du réseau. Aujourd’hui, pour les situations médicales sérieuses, Good Doctor demande aux personnes de s’adresser à un médecin pour une consultation physique ; en revanche, Good Doctor leur transmettra ensuite des messages de prévention. La plate-forme est destinée pour l’instant aux personnes à la recherche d’un conseil ou d’un avis médical simple ; à partir des données de santé collectées et de leur traitement, elle leur recommande des produits de bien-être et de beauté (disponibles sur une boutique online appartenant à Good Doctor). Ping An Good Doctor annonce réaliser aujourd’hui 250 000 consultations online par jour.

Mais l’objectif de Ping An est d’aller beaucoup plus loin en construisant un écosystème intégrant assurance santé et offre de soins, pour toutes les situations médicales. L’un de ses concurrents, Tencent Guahao / WeDoctor qui compte 150 millions d’utilisateurs, vient d’ouvrir un hôpital d’un genre nouveau à Beijing et à Chengdu (capitale du Sichuan), combinant services online et offline : les patients peuvent y bénéficier d’une consultation par internet y compris la prescription de médicaments puis y venir pour des examens complémentaires ou une consultation plus approfondie ; autre nouveauté, les médecins de l’hôpital peuvent aussi réaliser des visites à domicile ; un ensemble de tests à visée diagnostic à domicile sont également en cours de développement par les équipes de Tencent.

En France, alors que le premier plan de soutien au développement de la télémédecine date de 2000, le départ sera-t-il donné en septembre prochain avec la mise en application des dernières décisions tarifaires de l’Assurance Maladie ? Le premier plan a été un échec complet, faute d’implication des professionnels de santé et des industriels travaillant seuls dans leur coin. Relancée en 2010, avec, cette fois un cadre réglementaire, nouvel échec, ce plan n’ayant pas été suivi par l’Assurance-maladie. Les leçons de ces échecs ont-elles été véritablement tirées pour ce troisième lancement ?

POUR RÉSUMER

Au-delà de la taille des populations (la France comptant autant d’habitants que les deux plus grandes villes chinoises cumulées) et des ressources disponibles, la plus grande différence entre la France et la Chine en matière de santé n’est pas tellement dans la maîtrise de nouvelles technologies ou dans l’organisation du système de production de soins ou dans son financement, même s’il existe des écarts importants.

La plus grande différence ne se trouve-t-elle pas dans la vision à moyen terme et l’ambition politique ?

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L’Auteur : Olivier Milcamps, économiste, avec une large expérience tant en stratégie dans le secteur de la santé qu’en innovation dans celui de l’assurance de personnes. Il a vécu en Chine de 2013 à 2017. Retrouvez les idées forces Chine parues et à paraître sur notre site www.kea-partners.com

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