Le Tu tue
Comment le TU peut il s'être généralisé à ce point dans la société que j'habite, dont je pense qu'elle a désespérément besoin de lien social? Le TU est il un signe de proxitude ? Je réponds non, la plupart du temps. Certes il subsiste encore le lien familial, où le TU signe la relation d'amour ou d'affection entre les personnes. Ou bien encore le TU qui engage l'autre dans un cercle de confiance ou la parole donnée est sincère et gratuite.
"Allez, on se tutoie". Euh...non, je ne souhaite pas m'incliner devant cette injonction ! Derrière ce TU une proxitude fallacieuse qui emprunte l'allure d'un gouffre où le lien social perd son identité de valeur humaine. Voici donc bien sa signification, l'absence d'épaisseur relationnelle. TU est à la communication, littéralement la mise en commun, ce que les réseaux sociaux sont à la parole, c'est à dire l'annihilation de la densité et de la qualité du lien social. L'anonymat, l'affabulation, l'exhibitionnisme, l'expression de toute les frustrations. Cela est vrai, il me semble, pour notre culture et ma génération.
Qu'en est il maintenant de l'usage de ce TU ? TU est la tyrannie de la déresponsabilisation. Comme il est aisé de dire TU alors que l'honnêteté intellectuelle et la responsabilité imposerait de dire JE en lieu et place. Le TU tue car il stigmatise l'autre par sa propre faillite. "Oh, TU m'énerves à la fin !". Est ce bien toi qui m'énerves ou moi en qui retentit un énervement ancré au tréfonds de moi et révélé par un mot de toi ou une de tes paroles. Le TU tue car il enferme l'autre dans une responsabilité qui n'est pas la sienne. Le TU est un tueur. De masse. Un serial killer silencieux et parcimonieux qui jette l'anathème sur les relations, tu après tu. Non je ne suis pas insupportable, ce que je fais est insupportable à tes yeux car cela vient taquiner une de tes propres limites. Il est injuste de me définir de la sorte. JE n'est pas insupportable. Il est autre, il est multiple, il est différent. Et seul JE est dépositaire de sa propre identité. Alors fiche moi la paix avec ton TU et tais toi.
Une des premières règles de communication interpersonnelle qu'il serait bon d'apprendre à l'école: ne pas dire TU mais JE. Comme une hygiéne de vie, afin de restaurer la plénitude et la beauté intrinsèque du lien social, profond et authentique.
Cher TU, je t'invite donc à te rassoir et à laisser parler JE, car il est bien plus courageux que toi, plus libre et plus vrai, et plus respectueux de l'altérité. Cependant, il te reste un domaine où toi tu excelles, quand tu deviens proxitude et quand ta parole enveloppe d'autre dans l'intimité d'un lien de vivance. La magie opère, JE et TU se parlent dans les yeux et s'écoutent avec bienveillance.