Le vin mystérieux de Thomas Jefferson
Apparue chez Christie’s à Londres en décembre 1985 avec d’autres surgies dans le monde des collectionneurs de grands bordeaux, cette bouteille gravée 1784 Lafitte avec les initiales Th. J. fut longtemps exposée à la Forbes Art Gallery de New York. Elle aurait appartenu à l’homme d’Etat américain Thomas Jefferson. Ces initiales gravées Th. J. sont, pourtant, bien curieuses ; graver le millésime d’une bouteille n’était pas une pratique au XVIIIe siècle, les bouteilles étant étiquetées, déjà à cette époque. Graver le nom de l’acheteur ? Aucune maison de négoce bordelaise ni aucun vigneron n’a jamais accompli cette tâche de chai. Et demandez donc à un Français d’écrire l’initiale du prénom Thomas, il écrira la lettre T. Demandez à un Anglais (ou à un Allemand), il écrira Th. Imagine-t-on alors Jefferson gravant lui-même à la fraise un Lafitte qui s’écrivait à cette époque La Fite… sur une bouteille qui n’est ni « hollandaise » (ainsi nomme-t-on les bouteilles bordelaises) ni de forme dite martiniquaise… mais plutôt bourguignonne ? Cerise sur ce gâteau Lafitte, le millésime 1784 est l’année où Jefferson venait d’arriver à Bordeaux. Bien sûr. Quant à la cave personnelle de Jefferson à Monticello en Virginie, pourtant conservée, restaurée et meublée, elle ne contient aucune autre bouteille contemporaine de son célèbre propriétaire, comme j’ai pu le constater. En vente aux enchères, quatre autres crus, gravés Th. J. avaient aussi été proposés. L’un des acquéreurs déclara, non sans fierté : « Th. Jefferson’s spirit is in this bottle! » (l’esprit de Thomas Jefferson est dans cette bouteille !) Ou, peut-être, un génie facétieux ?