L'Economie russe en panne d'avenir (7)
Vladimir Poutine est empêtré dans une récession dont il a la plus grande peine à sortir.
Rouble en chute libre, pétrole en baisse... Moscou, qui annonce des coupes budgétaires, a cessé de croire aux lendemains qui chantent. Serait-ce le début de la fin du contrat social entre le «tsar» et la population?
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- L'économie russe en pleine déconfiture
Si on se fie aux manchettes de la très propagandiste chaîne russe Sputnik, publiées en ce début d’année, le prix du pétrole devrait remonter à 100 dollars (91 euros) le baril et l’économie russe renoue avec la croissance dès 2017. Malheureusement pour elle, la monnaie, dont le taux de change était remonté cet été à 50 roubles pour un dollar après un change catastrophique en début d’année 2015, vient encore de dégringoler à 77 roubles pour un dollar, tandis que le prix du pétrole s’est lui effondré à 30 dollars le baril, du jamais vu depuis 2003. Plus réalistes que leurs médias, une bonne moitié de Russes, selon un sondage de l’agence Vtsiom, pensent que «les temps les plus durs» sont encore à venir.
Quelles sont les raisons de ces difficultés russes ?
Il y a bien sûr les sanctions européennes décrétées pour dissuader Moscou de continuer à s’ingérer dans la crise ukrainienne et le persuader au contraire de pousser ses poulains séparatistes du bassin du Donbass à oublier leur rêve de «Nouvelle Russie» (Novorossiya). Reconduites pour six mois à la fin de l’année 2015, elles ont essentiellement pour effet de priver la Russie d’accès facile aux marchés des capitaux. Mais la principale cause de la récession russe réside dans l’effondrement des prix du pétrole. Après avoir stagné en 2014, le PIB russe s’est contracté de 3,8% en 2015. En raison de la diminution de la demande chinoise, qui tire à la baisse le marché des hydrocarbures, la plupart des analystes ne pensent pas que l’économie russe va se rétablir en 2016.
Que fait l’Etat russe ?
Il commence doucement à prendre la mesure de la catastrophe. Le président, Vladimir Poutine, lui-même qui, jusqu’à présent, avait plutôt eu tendance à minimiser les problèmes, a reconnu lundi dans un entretien avec l’hebdomadaire allemand Bild qu’en «en agissant sur les marchés internationaux, les sanctions affectent de façon sensible la Russie». Plus pragmatique, le gouvernement a, lui, décrété l’austérité. Sous peine de revivre une crise aussi sévère que celle de 1998-99, a expliqué mercredi le ministre russe des Finances, Anton Silouanov, «nous devons adapter notre budget aux nouvelles réalités». Tous les ministères doivent préparer des plans de réduction de leurs dépenses de 10 % dès le premier trimestre tandis que l’Etat cherchera de nouvelles sources de revenus en vendant certains de ses bijoux de famille. Il faut dire que le temps presse, car il y a à peine quelques semaines, le gouvernement russe avait finalisé son budget 2016 en tablant sur un pétrole à 50 dollars le baril.
Quels peuvent être les effets à long terme de la crise ?
Le système Poutine est basé sur un échange tacite entre le «tsar» et la population russe : la stabilité (et la prospérité) en échange de votre liberté. Celui-ci est peut-être en train d’atteindre ses limites. L’inflation élevée (12,9 % en 2015 et 15 % l’année précédente) a érodé les revenus réels de la population.
L’année 2015 a produit quelque 2 millions de pauvres supplémentaires.
Ce sont maintenant 20,3 millions de Russes qui vivent avec un revenu inférieur à 140 dollars par mois. Même les plus aisés sont touchés par la crise, comme le montre la baisse importante de la vente de nouvelles automobiles en 2015.
De premiers mouvements sociaux apparaissent dans les régions, comme celui des camionneurs.
En cette année électorale, s’il se trouvait menacé, le régime pourrait être tenté de donner un nouveau tour de vis. Le très loyal allié tchétchène de Poutine, Ramzan Kadyrov, a pris les devants en appelant le pouvoir à traîner devant les tribunaux pour sabotage les opposants «qui cherchent à profiter» des difficultés économiques du pays. «Ces gens doivent être considérés comme des ennemis du peuple et des traîtres. Ils doivent être jugés avec la plus grande sévérité pour sabotage.» Un vocabulaire qui rappelle celui de l’ère stalinienne.
La Russie exclue du G8
“Les dirigeants du monde bannissent la Russie et accentuent la pression”, titre le quotidien américain ce 25 mars. Les chefs d’Etats du club des pays les plus industrialisés, réunis à La Haye, ont décidé d’exclure la Russie jusqu’à ce qu’elle change de politique en Ukraine, “coupant un lien essentiel entre Moscou et l’Occident”. Les dirigeants du G7 ont aussi convenu d’appliquer des sanctions contre les secteurs russes de l’énergie, de la banque, de la finance et de l’armement, “à moins que Moscou ne commence à revenir sur ses projets d’annexion”, écrit le journal.
La Russie s’apprête à perdre 20 millions d’habitants d’ici au milieu du siècle
Le trou dans la pyramide des âges lors des années 90 accélère la dénatalité. Les mesures gouvernementales en faveur des familles ne parviennent pas à enrayer le phénomène
C’est typiquement le genre de nouvelles que les télévisions publiques ont horreur de diffuser. La Russie compte aujourd’hui 17 000 individus de moins qu’en janvier 2017, indiquaient hier les statistiques officielles (RosStat).
Le rythme de décroissance de la population a quadruplé par rapport à la même période de 2016. La réduction du nombre de Russes va diamétralement à l’encontre du message de redressement de la nation que veut incarner Vladimir Poutine.
La principale raison de la crise démographique se trouve dans un faible taux de natalité (107 400 naissances de moins en glissement annuel), croisé avec une mortalité plus élevée qu’en Europe, bien que la situation s’améliore rapidement sur ce plan. La baisse naturelle de la population n’est qu’en partie compensée (à 85,7%) par l’afflux de migrants.
Chaque année, entre 200 et 300 000 étrangers s’installent en Russie, venant en très grande majorité des anciennes républiques soviétiques. Mais ce flux a tendance à s’étioler à cause de la crise économique en Russie et des quotas instaurés par les autorités sous la pression de mouvements xénophobes. Les immigrés représentent déjà 12% de la population russe, selon le démographe de la Haute école d’économie Vladimir Kozlov.
Une extrême disparité régionale
Selon Alexeï Rakcha, démographe à RosStat, le taux de natalité va baisser au moins jusqu’en 2030 à cause du faible nombre de femmes nées dans les années 90. Les projections démographiques des experts de l’ONU estiment que la population russe va se réduire de 20 millions de personnes d’ici 2050, pour passer de 146,8 à 123 millions d’habitants (sans compter la Crimée). La Russie s’apprête à perdre annuellement 400 000 individus à partir de 2027. Ce qui est moins, toutefois, qu’entre 1995 et 2005 – elle perdait alors le double.
À cela s’ajoute une extrême disparité régionale. Les inégalités se creusent, avec des régions qui se vident à un rythme croissant tandis qu’une poignée de grands centres urbains affichent une croissance – près de 20% de la population s’agglutinent dans la capitale. La natalité n’est forte que dans les régions musulmanes du Caucase.
Les étendues du nord et de l’est affichent des densités de population parmi les plus faibles du monde (2,7 habitants au km2) et continuent à se dépeupler. Le programme gouvernemental de repeuplement de l’Extrême-Orient russe, lancé en 2007, n’a pas porté ses fruits.
Dans les zones rurales, la mortalité a dépassé de 73 900 le nombre de naissance en 2016. Des dizaines de villages sont rayés de la carte chaque année quand leurs derniers habitants, en moyenne très âgés, décèdent.
L’homosexualité «limite la croissance de la population»
Les conséquences du phénomène sur l’économie russe ne sont pas réjouissantes. Le nombre de personnes dépassant les 70 ans va conduire à une contraction de 10% de la population active d’ici 2030, d’après une étude de la Haute école d’économie.
Le Kremlin a tenté de remédier à la crise démographique par des mesures de nature très variée. Les lois votées en 2012 contre «la propagande de l’homosexualité» sont justifiées en partie parce que cette dernière «limite la croissance de la population».
Plus ciblé, le «Capital maternel» mis en place en 2008 (7300 francs versés aux familles à chaque enfant à partir du second) aurait stimulé les naissances de second enfant mais pas au-delà. Cette mesure prend d’ailleurs fin l’année prochaine en raison du déficit budgétaire, et avec elles de nombreuses aides sociales. Ces dernières années, les dépenses prioritaires du Kremlin sont allées vers l’armée et la sécurité au détriment de la santé et de l’éducation.
L’économie russe face aux sanctions
L’économie russe suscite des interrogations et des inquiétudes à la suite des événements qui se déroulent en Ukraine depuis la fin de l’hiver 2013-2014. Avec le mécanisme des sanctions et des contre-sanctions, on peut se demander si l’on n’est pas revenu aux temps de la Guerre Froide, et si la Russie va rester accueillante aux investisseurs étrangers. Nombre de ces inquiétudes sont imaginaires, mais certaines interrogations sont légitimes. On va tenter de dissiper les premières et de répondre aux secondes.
I. Une situation géopolitique particulière.
Les sanctions qui ont été prises par les pays de l’OTAN, le Japon et l’Australie ont été décidées dans le but de peser sur la décision politique à Moscou. Elles pourraient donc avoir un effet limité, mais réel, sur l’économie russe. Mais, ces mesures pourraient aussi précipiter un tournant vers l’Asie des grandes entreprises russes, produisant ainsi l’effet inverse à celui recherché. En tous les cas, ces mesures n’ont pas provoqué de « catastrophe » dans l’économie.
Ces sanctions ont été prises dans différentes « vagues » depuis le mois de mars. Il convient tout d’abord d’établir une liste précise :
- Les Etats-Unis ont décidé dès le 30 mars d’interdire tout contrat et de geler les avoirs de la banque ROSSIYA et de 6 petites banques. Ils ont, dans le cours du mois de juillet, décidé d’étendre ces mesures au secteur de défense, concernant alors la compagnie d’Etat des constructions navales (OSK) et la compagnie d’Etat des constructions aériennes (OAK).
- Nous avons les sanctions, ensuite, qui tombent sous le régime SSI des sanctions sectorielles. Il s’agit d’une interdiction pour des entreprises russes d’emprunter à plus de 90 jours sur les marchés financiers internationaux. Ces sanctions, de fait, interdisent tant l’accroissement de la dette extérieure des entreprises privées, que le roulement de cette dette (roll-over) quand cette dernière arrive à maturité. Or, la dette des principales banques concernées est estimée à 140 milliards de dollars. Sur ces sommes, environ 12 milliards auraient du faire l’objet de mesures de roll-over d’ici le troisième trimestre de 2014 et 22 d’ici la fin 2014.
- Les gouvernements des pays de l’Union européenne ont, quant à eux, décidé de suspendre les nouveaux contrats avec la Russie, que ce soit dans le domaine pétrolier ou dans celui des industries militaires. Le gouvernement français a décidé de suspendre l’exécution du contrat « Mistral » alors que ce contrat était bien antérieur à la crise ukrainienne, et n’était théoriquement pas touché par les sanctions décidées depuis le mois de mars 2014.
- Ces mesures sont d’autant plus importantes que le précédent établi par l’affaire dite « BNP-Paribas » a reconnu au gouvernement américain la possibilité d’exercer son droit de manière extra-territoriale. Ce précédent a considérablement inquiété les grandes entreprises et les banques européennes qui ont, dans un certain nombre de cas, de leur propre initiative réduit les opérations avec la Russie.
- Les Etats-Unis ont décidé dès le 30 mars d’interdire tout contrat et de geler les avoirs de la banque ROSSIYA et de 6 petites banques. Ils ont, dans le cours du mois de juillet, décidé d’étendre ces mesures au secteur de défense, concernant alors la compagnie d’Etat des constructions navales (OSK) et la compagnie d’Etat des constructions aériennes (OAK).
- Nous avons les sanctions, ensuite, qui tombent sous le régime SSI des sanctions sectorielles. Il s’agit d’une interdiction pour des entreprises russes d’emprunter à plus de 90 jours sur les marchés financiers internationaux. Ces sanctions, de fait, interdisent tant l’accroissement de la dette extérieure des entreprises privées, que le roulement de cette dette (roll-over) quand cette dernière arrive à maturité. Or, la dette des principales banques concernées est estimée à 140 milliards de dollars. Sur ces sommes, environ 12 milliards auraient du faire l’objet de mesures de roll-over d’ici le troisième trimestre de 2014 et 22 d’ici la fin 2014.
- Les gouvernements des pays de l’Union européenne ont, quant à eux, décidé de suspendre les nouveaux contrats avec la Russie, que ce soit dans le domaine pétrolier ou dans celui des industries militaires. Le gouvernement français a décidé de suspendre l’exécution du contrat « Mistral » alors que ce contrat était bien antérieur à la crise ukrainienne, et n’était théoriquement pas touché par les sanctions décidées depuis le mois de mars 2014.
- Ces mesures sont d’autant plus importantes que le précédent établi par l’affaire dite « BNP-Paribas » a reconnu au gouvernement américain la possibilité d’exercer son droit de manière extra-territoriale. Ce précédent a considérablement inquiété les grandes entreprises et les banques européennes qui ont, dans un certain nombre de cas, de leur propre initiative réduit les opérations avec la Russie.
- Les Etats-Unis ont décidé dès le 30 mars d’interdire tout contrat et de geler les avoirs de la banque ROSSIYA et de 6 petites banques. Ils ont, dans le cours du mois de juillet, décidé d’étendre ces mesures au secteur de défense, concernant alors la compagnie d’Etat des constructions navales (OSK) et la compagnie d’Etat des constructions aériennes (OAK).
- Nous avons les sanctions, ensuite, qui tombent sous le régime SSI des sanctions sectorielles. Il s’agit d’une interdiction pour des entreprises russes d’emprunter à plus de 90 jours sur les marchés financiers internationaux. Ces sanctions, de fait, interdisent tant l’accroissement de la dette extérieure des entreprises privées, que le roulement de cette dette (roll-over) quand cette dernière arrive à maturité. Or, la dette des principales banques concernées est estimée à 140 milliards de dollars. Sur ces sommes, environ 12 milliards auraient du faire l’objet de mesures de roll-over d’ici le troisième trimestre de 2014 et 22 d’ici la fin 2014.
- Les gouvernements des pays de l’Union européenne ont, quant à eux, décidé de suspendre les nouveaux contrats avec la Russie, que ce soit dans le domaine pétrolier ou dans celui des industries militaires. Le gouvernement français a décidé de suspendre l’exécution du contrat « Mistral » alors que ce contrat était bien antérieur à la crise ukrainienne, et n’était théoriquement pas touché par les sanctions décidées depuis le mois de mars 2014.
- Ces mesures sont d’autant plus importantes que le précédent établi par l’affaire dite « BNP-Paribas » a reconnu au gouvernement américain la possibilité d’exercer son droit de manière extra-territoriale. Ce précédent a considérablement inquiété les grandes entreprises et les banques européennes qui ont, dans un certain nombre de cas, de leur propre initiative réduit les opérations avec la Russie.
Ces sanctions sont supposées répondre à la décision prise par la Russie d’annexer la Crimée (à la suite du succès du référendum d’Union qui y a été tenu) ainsi qu’au soutien supposé qu’elle est supposé apporter aux insurgés de l’Est de l’Ukraine. Pour l’instant, les preuves d’une intervention directe de la Russie dans la guerre civile qui s’est déroulée dans le Donbass de juin à début septembre 2014 n’a pas été apporté, même s’il ne fait guère de doutes que la Russie a bien apporté une aide indirecte aux insurgés.
John Mearsheimer, un professeur de sciences politiques de l’université de Chicago, a bien montré dans un récent article du magazine Foreign Affairs que la responsabilité de cette dégradation était plutôt à chercher du côté des Etats Unis et de l’Union européenne (Mearsheimer J. 2014). Dans cette dégradation, un tournant important semble avoir été pris avec le drame du vol MH17 de la Malaysian Airlines, détruit au-dessus de l’est de l’Ukraine. Les Etats-Unis ont immédiatement déclaré que les insurgés du Donbass et la Russie étaient responsables de ce drame. Il apparaît aujourd’hui que les choses sont bien plus complexes, et que les preuves permettant de condamner la Russie et les insurgés n’existent tout simplement pas pour l’instant. Des anciens responsables des services de renseignements américains s’en sont d’ailleurs émus.
Quelle que soit l’origine de cette crise, sa dynamique actuelle constitue un pivotement important dans les relations internationales, qui va largement au-delà du cas de la seule Russie. Ce nouveau contexte international est bien entendu pris en compte par les élites russes. Il modifie, explicitement ou implicitement, leur relation avec le reste du monde et, de ce point de vue, a des conséquences importantes sur le modèle de développement adopté par la Russie. De ce point de vue, s’il est probablement exagéré de parler d’une « nouvelle Guerre Froide » comme le font certains commentateurs, il est indiscutable que l’on observe toutes les caractéristiques d’un éloignement entre la Russie et les pays que l’on qualifie, à tort ou à raison, d’occidentaux. Cependant, la grande différence entre la situation actuelle et celle de la seconde moitié du XXème siècle vient du fait que désormais le « bassin Atlantique » (les Etats-Unis, le Canada et l’Europe occidentale) ne concentre plus l’essentiels des techniques et technologies de production. De ce point de vue, il est clair que les marges de manœuvre existantes pour des stratégies alternatives de développement sont désormais plus grandes qu’elles ne l’étaient au milieu du XXème siècle. Le possible éloignement de la Russie pourrait ne pas se traduire par un isolement mais par un basculement vers des relations avec d’autres pays.
Le mécanisme des sanctions et des contre-sanctions qui joue aujourd’hui à plein, pèse lourdement sur les anticipations des différents acteurs économiques, en particulier en Europe occidentale. Les différentes étapes dans le processus de sanction, mais aussi les réponses qui y ont été apportées de la part du gouvernement russe, construisent un contexte psychologique particulier, dont l’importance va largement au-delà des effets réels des mesures prises de part et d’autre. Du côté des Etats-Unis et des pays de l’UE on a un ensemble de mesures (en incluant celles prévues au 8 septembre 2014) incluant tant le domaine des coopérations industrielles que celui des transactions financières
II. L’évolution du taux de change du rouble et de l’inflation.
Depuis le début de 2014, on a assisté à une importante dépréciation du rouble vis-à-vis du Dollar et dans un moindre mesure de l’Euro. La Banque Centrale de Russie avait ainsi dépensé plus de 11 milliards de dollars pour soutenir le cours du Rouble dans le cours de l’année 2013. Elle pouvait indiscutablement se le permettre quand on regarde l’ampleur des réserves accumulées, qui sont de l’ordre de 450 milliards de dollars. Les sorties de capitaux sont restées importantes au début de l’année 2014, et ont connu un pic en mars. Depuis, le mouvement s’est quelque peu ralenti. En fait, on voit bien qu’il n’y a pas de risque de déstabilisation monétaire du pays. Les réserves de change excèdent par un facteur de 3 les normes de sécurité édictées par la FMI.
De plus, la balance commerciale reste massivement en excédant, et à même amélioré sa situation du fait de la dépréciation du Rouble. La balance des paiements est quant à équilibrée. De ce point de vue, il semble aujourd’hui avéré que les marchés financiers ont sur-réagi par rapport au contexte. La question du taux de change, et de son évolution actuelle, est particulièrement significative de la sur-réaction des marchés financiers. Aujourd’hui, trois facteurs ont tendance à pousser le Rouble à la baisse (graphique 1) :
Balance commerciale (% du PIB). La balance commerciale des biens et services chiffre la différence entre les exportations des biens et services et les importations des biens et services, exprimée en pourcentage du PIB. Une balance positive indique que les exportations dépassent en valeur les importations (excédent commercial). Une balance négative indique au contraire que les importations dépassent en valeur les exportations (déficit commercial). La statistique met en relation ce solde avec la taille de l'activité économique (PIB).
Source. Banque mondiale
Le prix du baril de pétrole. On sait que ce prix a une influence directe tant sur le taux de change que sur le budget de l’Etat. Actuellement, nous somme au plus bas depuis deux ans avec un prix de 90 $ au baril. Compte tenu de la conjoncture mondiale, tant économique que politique (et l’on sait que les Etats-Unis poussent l’Arabie Saoudite à accroître sa production pour faire baisser le prix), il est probable que l’on continuera à descendre et il n’est pas impossible que l’on atteigne d’ici 6 mois un plancher de 60-70$. Mais, des facteurs structurels à la hausse du prix (que ce soit en production ou en demande) se feront sentir, et cet épisode de prix faibles devrait être de courte durée, et en tous les cas ne pas aller au delà du printemps 2016.
Le manque de devises sur le marché. Ceci constitue un second facteur conjoncturel qui contribue à la baisse du rouble. Les sanctions impliquent une raréfaction des Dollars sur le marché russe pour les importateurs, dont une grande partie des contrats sont libellés en Dollars. Tant que celui-ci restera dépendant du Dollar, cela fera monter ce dernier et baisser le Rouble.
On peut cependant parler de sur-réaction du marché quant à l’exposition réelle des entreprises et des banques russes aux sanctions. Les banques comme les entreprises doivent, certes, faire face à un besoin de refinancement important. On l’estime à 26 milliards de dollars pour le 3ème trimestre 2014 (dont 12 pour des banques ou des sociétés contrôlées par l’Etat) et à 47 milliards pour le 4ème trimestre (dont 22 pour des banques ou des sociétés contrôlées par l’Etat). Cependant, ces besoins de remboursement vont fortement diminuer en 2015 et ne devraient représenter que 31 milliards au 1er trimestre 2015 et 12 milliards au 2ème trimestre. Il semble ces besoins peuvent être parfaitement couverts par ces établissements en s’adressant soit aux marchés financiers, soit à la Banque Centrale.
Cette dépréciation s’est produite en réalité dès le début de janvier de 2014, et bien avant les conséquences politiques de la crise ukrainienne. Il faut en comprendre les raisons. Le gouvernement russe était jusqu’à la fin de 2013 très soucieux d’une stabilisation du taux de change. On peut y voir le « poids du passé » et en particulier de la grande crise financière de l’été 1998. La politique monétaire menée en Russie reste marquée par le souvenir de cette crise. Le taux de change était considéré, à tort ou à raison, comme un bon indicateur de la stabilité sociale en Russie.
La Banque Centrale de Russie maintenait une politique d’intervention sur le marché des changes jusqu’en décembre 2013, visant a empêcher une trop forte dépréciation du Rouble. La politique monétaire, quant à elle, est restée restrictive et la politique budgétaire prudente. La dette souveraine russe est désormais inférieure à 10% du PIB, un niveau qui garantit parfaitement sa soutenabilité future.
Cette politique de la Banque Centrale et du gouvernement était donc marquée par la volonté de stabiliser le taux de change du Rouble. Mais, les autorités doivent aussi composer avec un taux d’inflation qui reste plus élevé en moyenne que celui de leurs voisins pour des raisons largement liées aux caractéristiques structurelles de l’économie russe. Aussi cherchent-elles à laisser le rouble se déprécier lentement afin de maintenir la compétitivité globale de l’économie. Mais, cette politique a provoqué en réalité un décrochage net du taux de change réel du Rouble contre le dollar (soit corrigé de l’écart des taux d’inflation) et du taux de change nominal. Les calculs montraient que le Rouble aurait dû pouvoir se déprécier de 15% à 20% afin de rétablir la compétitivité de l’industrie russe à son niveau de 2009-2010. Le taux de change réel est, en effet, la variable principale pour la compétitivité d’un pays. De ce point de vue, on avait assisté de 2011 à la fin de 2013 à une réévaluation du taux de change réel du Rouble. Ceci explique sans doute les décisions qui ont été prises en 2013 et qui ont abouti au mouvement de dépréciation du taux de change nominalextrêmement important. Une comparaison du taux de change réel et du taux de change nominal confirme qu’aux premiers jours de 2014, la Russie se trouvait dans une situation d’appréciation relative du Rouble (graphique 2).
Par contre, l’accroissement de l’inflation est sensible depuis la fin du 1er trimestre 2014 et il représente l’impact le plus évident sur l’économie russe de la situation politique internationale. Il est largement le produit de la situation géopolitique actuelle. Cet accroissement est en partie lié à la dépréciation du Rouble (inflation importée), mais aussi en partie lié aux mécanismes de substitution aux importations qui sont en train de se mettre en place. Les mesures prises par le gouvernement russe à l’encontre de certaines importations alimentaires de l’Union européenne, des Etats-Unis, du Canada et de l’Australie, ont engendré un mouvement de substitution aux importations. Il faut aussi, à cet égard, considérer le fait que l’industrie russe importait d’Ukraine un certain nombre de produits finis. Or, ces importations sont interrompues, probablement pour une longue période. Mais, il n’a pas mis en cause pour l’instant la progression de la consommation des ménages.
A court terme, tant la dynamiques des sanctions que la forte dépréciation de la monnaie ont entraîné une bouffée importante d’inflation, que l’on peut estimer à 2%, le taux sur 12 mois consécutifs passant de 5,5% à 7,6%. Il n’est pas impossible qu’il atteigne à la fin de l’année 8% voire plus. Mais, cette poussée d’inflation reste somme toute maîtrisée, et n’est pas comparable à celle que la Russie avait connue au début de l’année 2011 (graphique 3).
La réaction immédiate de la Banque Centrale de Russie à cette situation a des conséquences de moyen et long terme sur l’économie. Pour chercher à réduire l’ampleur des fluctuations sur le marché des changes, la BCE a monté fortement ses taux depuis le début de 2014. Si l’on observe le taux du RUONIA il y a eu une hausse régulière d’avril 2011 à début mars 2014. Mais, depuis mars 2014, la Banque Centrale a monté son taux de 6% à 8% pratiquement du jour au lendemain. Le marché interbancaire s’est alors contracté fortement. Les taux des prêts aux particuliers et aux entreprises ont alors fortement augmenté. Pourtant, cette hausse des taux s’est révélée inefficace sur le marché des changes. La Banque Centrale accorde cependant des crédits aux banques commerciales dans des conditions qui sont en principe avantageuses. Ce sont à 50% des REPO (sur les valeurs mobilières des grandes sociétés russes) et pour les autres 50% des prises en pension de titres sélectionnés hors ces valeurs mobilières, appartenant aux banques commerciales. On a donc assisté à une chute de la liquidité au début de mars de cette année et cette chute de la liquidité a été excessive. Les responsables de l’économie ont donc dû remettre de la liquidité dans l’économie. Aujourd’hui, les spécialistes constatent que l’on est revenu à peu de choses près à la situation qui prévalait l’année dernière, en 2013.
On observe donc un renchérissement du crédit depuis le début de l’année 2014 qui frappe en particulier les organisations non-financières, c’est à dire les entreprises. Ce renchérissement risque d’empêcher les entreprises de pouvoir pleinement profiter de l’effet de substitution aux importations déclenché par la dépréciation du rouble mais aussi par les mesures d’embargo prises par la Russie en réponse aux sanctions décidées par les Etats-Unis et par l’Union Européenne.
Au début de mois de septembre, on constate, en faisant le tour des banques moscovites, que ce sont bien les taux d’intérêts qui freinent les différents projets d’investissement qui sont aujourd’hui présentés aux banques. On est bien dans une situation où le loyer de l’argent a un effet pénalisant sur l’activité. Ce renchérissement du crédit frappe en particulier les PME même si la politique du gouvernement à leur égard porte certains fruits. L’écart des taux pratiqués entre les PME et la moyenne des organisations non-financières a eu tendance à se réduire, mais il reste assez significatif (tableau 1).
Ceci montre bien que le système de financement de l’économie russe constitue toujours un obstacle relatif à la croissance de l’appareil productif, et ce en dépit de mesures prises par le gouvernement. La nouvelle situation créée par les sanctions rend cet état des choses encore plus problématique. Il faut donc s’attendre à ce que des mesures soient prises, tant au niveau du Ministère des Finances qu’à celui de la Banque Centrale.
III. L’ajustement de l’économie russe au nouveau contexte.
La récession que l’on connaît en Europe depuis 2011 a eu cependant un impact non négligeable sur l’activité économique de la Russie et ce en particulier chez les exportateurs de produits semi-finis (acier, métaux non-ferreux, produits chimiques de base). Ces exportations, quoique moins spectaculaires que celles des hydrocarbures, ont un impact bien plus important sur l’activité économique, qu’il s’agisse d’un impact direct ou indirect (via les chaînes de sous-traitance). De ce point de vue, il est clair que la Russie, dont l’Europe est le premier partenaire commercial, a « importé » en partie la récession ou la stagnation que connaît le continent européen et qu’il risque de connaître pendant encore plusieurs années. Cette situation n’a été perçue que progressivement au sein des élites politiques et économiques de la Russie. Mais, elle a entraîné un changement important dans la stratégie du gouvernement. De ce point de vue, on peut parler d’un réajustement pragmatique de la politique économique de la Russie.
Bien des observateurs annonçaient des résultats « apocalyptiques » des sanctions prises tant par l’Union européenne que par les Etats-Unis contre la Russie. La réalité apparaît comme nettement différente et sensiblement plus contrastée. On a constaté ces derniers mois des évolutions importantes ...
Un changement de modèle de développement ?
Une prise de conscience de la nécessité d’un changement ?
Réponse au prochain titre : L'Economie russe en panne d'avenir (8)
Je remercie les analystes comme Jacques Sapir et tous les Journalistes français comme étrangers, les Organes de presse et Journaux français comme étrangers, Maisons d'éditions (...) qui permettent la réalisation de ce document.