L'empathie en innovation urbaine, à qui s'adresse-t-on vraiment et comment?
J'évoquais dans mon précédent article que les villes sont devenues des organismes tellement complexes qu'il est désormais nécessaire de partager la lourde et difficile tâche d'innover pour changer ce qu'il ne fonctionne pas.
Réunir du monde dans un objectif commun en prônant le changement est devenu un geste politique banal! Ça a même un nom, ça s'appelle l'intelligence collective et c'est un sujet tellement d'actualité qu'un congrès annuel a été créé en 2019 par le Centre International de Recherche et de Renforcement des Capacités (CI2RC) à Essaouira, au Maroc.
La première édition du Congrès international sur les Territoires Innovants (CITI) s'est réuni autour du thème « De la créativité de la ville à la ville créative » et se réunira en 2020 autour du concept de la ville intelligente, plus précisément sur les soubassements conceptuels et théoriques de la Smart City (voir lien pour plus de précisions sur l'événement).
"Nous allons changer notre ville en profondeur, la rendre plus inclusive et surtout plus intelligente!"
Combien d'hommes et de femmes politiques ont lancés ce type de slogan en galvanisant des foules en délire et puis une fois élu.e, le soufflé retombait aussitôt. Comme si, se faire élire était un exercice et qu'exercer le pouvoir en était un autre ou que les élections épuisent nos candidats. Et pourtant la démarche est certainement sincère et l'objectif, tout à fait réalisable!
Pour cela, ne faudrait-il pas que les élections d'un.e maire.sse s'éloignent de l'idée de séduction marketing et se rapproche de la première phase du Design Thinking, de la pensée créative : l'Empathie (autre article sur la démarche du Design Thinking proposé par Jean-Sébastien Dubé, Coordonnateur veille et gestion de connaissances à l'Université de Sherbrooke). Cette phase qui permet au designer de ne plus seulement se cantonner à une vision restreinte du public à qui s'adresse le produit ou le service qu'il va imaginer mais plutôt de comprendre le spectre plus large des profils auquel sa projection devra répondre.
Nous avons tous en tête l'homme de Vitruve, dessiné vers 1490 par Léonard de Vinci ou Le Modulor inventé par Le Corbusier en 1945. Ces deux représentations en disent long sur le profil type auquel ces deux artistes s'adressaient. Seul l'homme était envisagé comme personna de la conception d'un produit, d'une invention ou d'une architecture. Les femmes, les enfants, les personnes âgées, les comportements, les humeurs, les générations, les différences, tout était occulté, compacté dans une représentation unique et idéale.
Sauf qu'à partir du moment où vous donnez une voix à chaque individu, les objets, les espaces, les bâtiments, les quartiers, les arrondissements, les villes, les agglomérations, les métropoles, les provinces, les régions, les pays et le monde ne se dessinent plus autour d'une contraction, d'une approximation de tout le monde mais bel et bien autour des caractéristiques de chaque individu.
Si on sort du domaine politique ou publique et que l'on se plonge dans le marketing, le seul oublié ou la seule discrimination possible, c'est le client qui n'a pas d'argent. A partir du moment où vous avez un budget et un besoin, vous pouvez être sûr que peu importe votre différence, quelqu'un aura pensé à vous! C'est dur mais c'est la réalité et sans la publicité ciblée, on supporte des slogans cocasses du type : "Vous n'avez pas de cheveux, nous avons le shampoing qui vous les rendra !", "Votre panari est plus gros que votre orteil, nous avons la crème qui vous le guérira!", etc.
Les professionnels en Communication marketing font tellement preuve d'empathie qu'on se surprend à acheter une boite de pâté pour chat sans tenir compte de l'usager final, notre animal domestique. Sauf que si il ne termine pas sa pâté, on n'hésitera pas à opter pour celle qu'il aime, peu importe la couleur ou le dessin sur la boite.
Et c'est bien là, la différence entre l'empathie du design, de l'empathie du marketing. C'est le même mot, la même méthode employée, sauf que le designer ne parle pas de client cible, mais d'usager.
Si on revient à la politique municipale, loin de moins l'idée de comparer une campagne à la promotion marketing d'une boite de nourriture pour chat, j'ai trop de respect pour l'engagement politique. Néanmoins, prêtons-nous un instant à cette analogie, au fond nos élus.es ne doivent-ils pas jouer le jeu d'être un produit marketing pendant leur campagne? Un produit avec des slogans, des images avantageuses et des messages qui interpellent et surtout qui sont compréhensibles par le plus grand nombre.
Mais alors quand demande-t-on réellement aux citoyens ce qu'ils veulent et quelles sont leurs problèmes au quotidien que nous pouvons résoudre pour eux?
Quand les services de la ville peuvent-ils savoir que Simon était très énervé quand il s'est rendu compte que sa voiture est partie à la fourrière car elle gênait le déneigement des rues? Comment savons-nous que Geneviève est très contente des nouveaux horaires d'accès à la piscine municipale car c'est justement quand elle sort de son travail?
C'est justement le travail des designers de se mettre à la place de Simon et de Geneviève pour comprendre leurs problèmes du quotidien. Qui ou quel service d'une ville, d'une municipalité réunit les différentes échelles entre le Designer, l'Architecte et l'Urbaniste? On voit assez rapidement se dessiner de nouveaux métiers transversaux pour répondre aux défis des villes intelligentes.
J'ai choisi une photographie de mon quotidien pour accompagner cet article. On peut y voir un vélo cadenassé à un poteau de signalétique de stationnement, avec une étiquette d'identification des services de la ville de Montréal. L'Empathie peut aussi s'exprimer au travers de scénarios fictifs inspirés d'une image.
Le prochain article traitera de l'importance de définir les problèmes pour être capable de trouver les solutions adéquates. On continuera de suivre les différentes phases du Design Thinking (1/ Empathie, 2/ Définition, 3/ Idéation, 4/ Prototypage, 5/ Test) appliqué à l'innovation urbaine tout en formalisant les nouveaux défis et les nouveaux métiers associés.