L’empreinte digitale, cet élément de réputation qu’on oublie si (et trop) souvent !

L’empreinte digitale, cet élément de réputation qu’on oublie si (et trop) souvent !

Article rédigé par le blog du communicant 

Ces derniers temps, l’affaire médiatique de Mehdi Meklat a contribué à remettre sous les projecteurs un élément de réputation que les médias sociaux ont amplifié pour le meilleur ou pour le pire : l’empreinte digitale. Pourtant, aussi étonnant que cela puisse être, la chronique n’en finit pas d’épingler des cas de personnalités publiques (ou ayant une vie publique) en exhumant des propos dérangeants, insultants ou totalement contradictoires avec l’image qu’elles entendent cultiver. Le Web social a beau être un tuyau incessant de contenus. Il n’en demeure pas moins une implacable mémoire avec laquelle tout communicant doit apprendre à gérer. Les années passent et les faux pas continuent.

Pendant longtemps, il était l’icône des médias. Il avait pignon sur rue sur France Inter, chez Canal + ou encore dans Les Inrockuptibles. Lui, l’ex-chroniqueur anonyme sur le Bondy Blog, côtoyait désormais les stars de l’antenne. Il incarnait l’alibi du jeune de banlieue parvenu à briller sous les rampes médiatiques. Il venait même d’être adoubé par l’ex-Garde des Sceaux au cours d’une interview où Christiane Taubira lui répondait avec bienveillance en le qualifiant de « porte-voix de la jeunesse des quartiers populaires (…) à l’avant-garde d’une nouvelle génération venue de banlieue » (1). Dans la foulée, Mehdi Meklat était invité le 16 février dernier à débattre de son dernier livre dans la respectée émission de François Busnel, « La Grande Librairie » sur France 5. Et là, patatras ! Son empreinte digitale lui revient en pleine figure.

Tweet qui roule, peut beaucoup mousser !

Le cas de Mehdi Meklat est intéressant à plus d’un titre. Au-delà du fait qu’il vient s’ajouter à la déjà longue liste de ceux qui pensaient proférer des insanités (anonymement de surcroît) en toute quiétude sur les réseaux sociaux et miser sur l’impunité numérique, c’est également la façon dont ce passé digital lui est revenu en pleine figure qui est instructive. En effet, tandis que le jeune homme discourt tout en rondeur à propos de son roman sur le plateau de François Busnel, des twittos s’étranglent de la duplicité de l’auteur. Eux se souviennent effectivement qu’il n’a pas toujours été cette gentille caution médiatique du môme de banlieue, symbole propret d’ascension sociale. Ils ne se privent dès lors pas de lui rappeler aussitôt sa double vie sur Twitter entre 2012 et 2015 où il sévissait sous le pseudonyme de Marcelin Deschamps. Et de remettre à la surface de la timeline d’anciens tweets particulièrement violents et diffamatoires (2) comme « Faites entrer Hitler pour tuer les Juifs », « J’aime la mort comme vous aimez la vie de Mohamed Merah troublante de beauté » ou encore « Marine le Pen je vais l’égorger selon le rite musulman » (sic !).

La controverse rebondit alors dans les jours suivants et la star déchue se voit contrainte de reconnaître que Marcelin Deschamps et lui-même ne faisaient qu’un tout en essayant maladroitement de justifier que cet avatar twittesque était en fait juste un personnage maléfique et en supprimant au passage plus de 40 000 tweets (3). Peine perdue !

Comme le relève fort pertinemment la journaliste et philosophe des médias Clara-Doïna Schmelck (4) : « à l’heure des réseaux sociaux, l’œuvre littéraire et l’homme ne font qu’un. Impossible de s’adosser à un moi maléfique. Tout d’abord, parce qu’il s’exprime sur un support où les mots ont une portée de diffusion publique, et non privé, comme ce fut le cas aux siècles derniers. Les messages haineux de 140 caractères sont répétés, amplifiés, commentés ».

L’autre point à relever est la façon dont s’est enclenché le mécanisme par lequel le passé en ligne sulfureux du jeune est revenu sur le devant de la scène médiatique. Comme le raconte la journaliste du Monde, Louise Couvelaire, c’est une enseignante de 46 ans qui est à la manœuvre des premiers tweets dénonciateurs. Bien qu’elle ne compte que près de 660 abonnés, elle ressort les archives qu’elle avait déjà tentées de faire connaître publiquement lors de l’interview avec Christiane Taubira. Cette fois, les tweets ne passent pas inaperçus. Notamment auprès de Joann Sfar. Romancier, réalisateur et dessinateur connu, il s’indigne à son tour de ce qu’il découvre et relaie auprès de sa communauté d’abonnés qui rassemble 41 000 twittos. La polémique est dorénavant inéluctable. Les articles outrés se multiplient. L’ancienne ministre de la Justice exige des excuses du jeune homme de même que François Busnel qui supprime les extraits de l’émission où Mehdi Meklat apparaît. Dr Meklat et Mr Hyde ne peuvent désormais plus continuer à manier le double discours.

Errare humanum est, perseverare diabolicum

Contrairement à ce que d’aucuns pourraient penser, ce type d’anecdotes où des personnes publiques sont prises en flagrant délit d’incohérence ou de duplicité mal assumée, est beaucoup plus fréquent qu’il n’y parait. Et le phénomène touche absolument tous les secteurs comme le montrent les trois exemples qui vont suivre. Le premier concerne un certain Grégoire Kopp. Depuis deux ans, il est le responsable de la communication d’Uber en France. Mais le moins qu’on puisse dire est que cette nomination a connu à l’époque un écho plus retentissant que prévu. Le jeune homme provient en effet du secrétariat d’Etat aux Transports où est précisément géré l’explosif dossier des VTC et des taxis classiques. Sur le sujet, Grégoire Kopp version Etat n’est pas le dernier à tweeter avec virulence et cadence de métronome sur toutes les dérives qu’Uber commet un peu partout dans le monde. Là aussi, au-delà du possible conflit d’intérêt que pourrait présenter ce transfert, l’empreinte digitale de Grégoire Kopp va lui être resservie d’emblée par le journaliste de Télérama, Olivier Tesquet. A peine a-t-il officiellement signé son embauche chez Uber que tous ses tweets d’antan lui sont compilés par un tweet acide du journaliste ! Et d’embrayer alors sur une jolie pagaille médiatique autour de ce grand écart effectivement déroutant !

Dans le même genre, le footballeur Serge Aurier s’est vu pareillement rattrapé par la patrouille lors de son transfert au Paris Saint-Germain (bien avant son impayable dérapage live sur Periscope où il insultait son entraîneur et se moquait ouvertement de Zlatan Ibrahimovic). A l’été 2014, le défenseur droit de Toulouse n’est pas encore connu mais il est déjà très entreprenant sur Twitter. Il y tient notamment des propos très peu élégants et respectueux à l’égard de la gent féminine. Son nouveau club nettement plus médiatisé ne veut pas risquer la polémique d’autant que les premiers buzz commencent à circuler. Il exige donc de sa recrue de remettre complètement à zéro son compte. Pour cette fois, le bad buzz est évité. Mais l’impétrant ne retiendra visiblement pas la leçon de l’empreinte digitale puisque l’épisode Periscope fera quant à lui grand bruit en 2016 !

Une troisième affaire a agité les médias sociaux en octobre 2016. Deux journalistes du site Buzzfeed France constatent après enquête et recoupement que plusieurs profils digitaux (dont notamment @lacathelinierre) ont d’étranges convergences avec le profil officiel de l’acteur Lorant Deutsch. Problème : ces comptes n’hésitent pas à tenir des paroles particulièrement fascisantes et morbides dès que l’acteur est critiqué d’une manière ou d’une autre par des internautes. Le sujet enfle rapidement dans les médias. Pour se défausser, l’acteur plaidera une usurpation d’identité mais force est de reconnaître que le doute persiste devant la masse de messages trouvés par les journalistes de Buzzfeed France.

Intégrer le marqueur temporel

S’il est une catégorie qui elle a bien compris que l’implacable mémoire des réseaux sociaux constitue un enjeu majeur de communication, c’est bien celle des hommes et femmes politiques. Ces derniers se voient sans cesse renvoyer à la figure d’anciennes déclarations sur Twitter ou ailleurs ! Expert avéré de la réputation digitale et doctorant à l’Université Catholique de Louvain en Belgique, Nicolas Vanderbiest confirme que l’empreinte digitale est un marqueur temporel dont il faut impérativement tenir compte. Pour appuyer ses observations, il prend notamment l’exemple de l’actuel candidat à la présidentielle 2017 du Parti Socialiste, Benoît Hamon. Un vieux tweet de ce dernier en date du 7 août 2010 continue encore à régulièrement lui être objecté. La raison ? Nicolas Vanderbiest l’explique (5) : « Le marqueur temporel est une trace numérique qui va être captée dans le passé pour être ranimée dans le présent. Ce faisant, tout le contexte communicationnel de l’émetteur (son âge, son état d’esprit du moment, les normes auxquelles il se réfère au moment de la publication, etc.) dans lequel le message a été produit change au profit du contexte du flux dans lequel celui-ci va être réinvoqué. Dans le cas de Benoit Hamon, c’est une question de normes communicationnelles qui n’étaient pas les mêmes au moment où il était simple militant par rapport au moment où il est candidat à la présidentielle (..). Seulement, en quelques années, ces normes peuvent drastiquement évoluer ».

Alors face à ces inlassables archéologues digitaux prompts à ressortir des profondeurs du Web social des messages qui prennent une autre résonnance en fonction du moment où ils sont réinjectés dans les réseaux sociaux, que faire ? S’en tenir à du très politiquement correct ? S’interdire toute prise de position ? Invoquer la fameuse citation « à l’insu de mon plein gré » du cycliste Richard Virenque alors suspecté de dopage sur le Tour de France 1998 ? Croire aux miracles du nettoyage Web que promettent certaines agences de communication ?

Toutes ces questions peuvent en effet constituer de tentantes parades pour contrer ou estomper des propos qu’on n’assume plus pour diverses raisons. Le problème est que vouloir esquiver ou mettre sous le tapis est un leurre réputationnel dangereux. Surtout si le dit message a fait l’objet d’un débat agité. Il est alors quasi certain que des captures d’écran auront été effectuées et qu’elles ressortiront le cas échéant.

Le mieux est encore de plaider « coupable » en cas de cadavre digital dans le placard plutôt qu’aller s’enferrer dans des embrouillaminis à la Mehdi Meklat où son Marcelin Deschamps était en réalité un personnage de fiction fétide pour mieux stigmatiser et dénoncer le racisme. Ce genre d’argument fleurant la mauvaise foi risque au contraire de faire empirer la situation. Autant admettre, s’excuser et tenter de repartir de bon pied. Ensuite, à l’heure où chacun peut vérifier les dires de l’autre, il s’agit plus pragmatiquement d’être le plus authentique possible dans son expression. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille verser dans le sirupeux, la lénification ou le consensus mou. Simplement, il faut se tenir prêt à assumer ce que l’on souhaite partager. C’est la réputation qui est en jeu et même la crédibilité. Les aspérités peuvent se concevoir (à condition de ne pas d’égarer dans le sexisme, le racisme, l’homophobie et autres dérives que le faux nez de l’anonymat excite malheureusement trop souvent) mais elles doivent pensées et incarnées avec justesse et sincérité. Et surtout à visage découvert !

Ajout du 26/02 : Depuis que ce billet a été publié, un nouveau cas de « rattrapage du passé Twitter » s’est ajouté avec l’actrice Oulaya Amamra. Récompensée comme « Meilleur espoir féminin » aux Césars 2017, elle a été attaquée par des internautes qui lui ont rappelé les tweets homophobes qu’elle avait diffusés deux ans plus tôt. Lire l’article d’Atlantico à ce sujet.

Sources

(1) – Louis Couvelaire – « Le chroniqueur Mehdi Meklat rattrapé par ses tweets haineux » – Le Monde – 21 février 2017

(2) – Martine Gozlan – « Derrière le chouchou médiatique Mehdi, l’abominable Meklat des tweets » – Marianne.fr – 20 février 2017

(3) – Louis Couvelaire – « Le chroniqueur Mehdi Meklat rattrapé par ses tweets haineux » – Le Monde – 21 février 2017

(4) – Clara-Doïna Schmelck – « Le moi maléfique de Meklat n’est pas un personnage » – Intégrales Productions – 21 février 2016

(5) – Nicolas Vanderbiest – « Elections françaises: les candidats aux prises avec l’impitoyable mémoire du réseau » – RTBF Info – 20 février 2017



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