L’entreprise a rendez-vous avec son collectif
Un dirigeant me confiait hier ses craintes face à la période actuelle qui lui paraissait « au fond plus difficile et plus risquée que la période de confinement ».
Après s’être révélée parfois sous son meilleur jour durant la crise, l’entreprise est aujourd’hui profondément et durablement bousculée : son organisation, son collectif, sa stratégie sont remises en question au regard de la période à la fois extrêmement riche et perturbante qu’elle vient de vivre et qu’elle a maintenant à affronter.
Tout changer ou retrouver un cadre rassurant ? Le contexte est quelque peu schizophrénique pour les dirigeants ; en dehors des aspects économiques vitaux, ils doivent à la fois voir loin pour donner de la perspective dans un environnement totalement incertain et agir au plus près pour faire face à une réalité mouvante. Changer certains paradigmes oui mais lesquels et pour quoi faire demain ?
Nous avons pu ces dernières semaines mon équipe et moi échanger avec plus de 250 managers d’entreprises de tailles et de secteurs très variés lors d’ateliers de « déconfinement ». Ils nous ont offert le meilleur poste d’observation qui soit sur les enseignements de cette crise, les risques et les enjeux aujourd’hui.
Nous avions envie de les partager avec vous.
Une entreprise révélée, source de fierté
Le premier constat, d’ailleurs partagé avec nombre de confrères, est qu’avec cette crise, les entreprises se sont révélées parfois différemment de ce qu’elles pensaient être. Elles ont, dans leur large majorité, démontré des ressources et des ressorts incroyables de mobilisation et d’inventivité pour leurs clients et leurs collaborateurs, le tout avec une rapidité et une pertinence parfois stupéfiantes.
La principale raison : c’est la force du LÂCHER-PRISE. Les organisations se sont défaites des nombreux carcans qui les complexifient et les ralentissent, des routines sclérosantes, des barrières psychologiques et techniques. Elles ont fait confiance à priori à des collaborateurs autonomisés par la force des choses et ont laissé s’exprimer des initiatives qui se sont révélées payantes.
L’entreprise a expérimenté, pour de vrai et à grande échelle, des concepts qu’elle agite parfois comme des drapeaux de modernité : agilité, digitalisation et adaptation autant de postures parfois surjouées.
Et surtout, l’entreprise a su être authentique et sincère.
Au final, elle a donné à l’humain sa juste place : la plus importante.
Et ce choix s’est révélé payant : nombreuses sont les entreprises à avoir vu, pendant cette période, leur taux de satisfaction client et leur climat interne s’améliorer : qui eut cru qu’il fallait une crise de cette ampleur pour intégrer cette valeur fondamentale ?
« Aujourd’hui, tout le monde recherche la recette miracle pour conserver ces nouvelles vertus. Et là c’est plus compliqué ! »
C’est plus compliqué, tout d’abord parce que ces bouleversements se sont inscrits dans un contexte extraordinaire et temporaire. Dans une situation d’urgence et de gravité, les équipes se sont concentrées sur l’essentiel. Elles se sont fédérées naturellement autour de mêmes objectifs et de priorités moins nombreuses. Quelque chose de plus difficile à reproduire en temps normal où l’envie de tout faire à la fois et de satisfaire tous les enjeux est souvent improductive.
Parallèlement à ces découvertes positives, des risques de différentes natures émergent.
Une entreprise bousculée qui doit faire face maintenant à de multiples risques.
Premier risque : la fragmentation du collectif voire sa désintégration.
Ces dernières semaines, ce n’est pas UN mais DES collectifs qui se sont développés.
Nous avons vu émerger pendant le confinement : les « urgentistes », ceux qui ont été en première ligne pour sauver l’entreprise, les « 2èmes lignes » à la manœuvre mais moins visibles, puis les “lost in isolation”, ceux qui ont pu se sentir plus à distance, voire marginalisés.
Et lors du déconfinement, des « tribus » se sont créées : les “speed office”, ceux qui veulent revenir dès maintenant, ceux qui veulent rester chez eux pour des raisons personnelles ou de craintes sanitaires et les « heureux confinés » qui ont trouvé leur équilibre dans le cocon personnel et familial.
Au-delà de leur hétérogénéité, ces acteurs de la crise ont tous des attentes et des besoins différents qui sont parfois très difficilement conciliables.
Une étude récente souligne d’ailleurs que pour un quart des salariés, la motivation professionnelle s’est dégradée au fil des semaines, un taux qui monte à 50% pour ceux qui se sentent en situation de détresse élevée.
Certains dirigeants se sentent désarmés face à ce difficile retour au bureau alors mêmes qu’ils souhaitent une rapide reprise d’activité pour garantir la pérennité de l’entreprise.
Certains voient du désengagement avec ce difficile retour des collaborateurs au travail. Je ne suis pas sûre que ce soit le coeur du sujet.
Il y a d’autres raisons, plus profondes et qui nous questionnent tous : quelle place et quel sens donner à un collectif versus l’individu? Lequel prime sur l’autre? Quels sont les avantages du collectif, qu’est-ce qui nous rassemble ...? Cela touche les fondements mêmes de l’Entreprise.
« Le premier enjeu est donc est à la fois de retrouver une raison d’être ensemble, de recréer un collectif et de favoriser les conditions d’un ré engagement durable ».
Deuxième Risque : laisser s’installer une organisation transitoire
Nous sommes entrés dans une phase qui nous oblige à mettre en place une organisation hybride. Le risque est de faire, inconsciemment, de cette organisation transitoire la norme future.
Le déploiement du télétravail est un succès. Tous nous le disent même ceux qui y étaient réfractaires avant le confinement. Toutefois, il a aussi ses limites, à la fois en termes de fonctionnement et de collectif.
« Quel est le modèle cible de mon organisation pour les années à venir ?»
Cette réflexion est essentielle et doit rapidement trouver sa réponse car les habitudes se prennent vite et un retour en arrière sera difficile.
Troisième risque : la perception d’un déphasage stratégique
C’est celui de la perception d’un décalage entre la stratégie de l’entreprise décidée avant le confinement et les grandes évolutions actuelles et futures. C’est le fameux « Voir loin, agir près ». C’est la combinaison d’une préoccupation à court terme des managers et collaborateurs qui se questionnent beaucoup sur le sens de leur action. Et se demandent si la stratégie, les priorités, les projets du moments sont encore les bons. Et à plus long terme si leur entreprise est, ou sera dans la course pour le monde d’Après !
Or, les dirigeants ont été happés par l’urgence ces dernières semaines et ont eu peu de temps pour se pencher sur l’Après. On les comprend. Il s’agit maintenant d’ouvrir le chantier. Rapidement.
« Le troisième enjeu est donc d’assurer le présent tout en donnant rapidement des perspectives dans un monde d’incertitudes et d’imprévus »
Si la période qui s’ouvre est à la fois vertigineuse et passionnante par le nombre de questions qu’elle pose, il y a une bonne nouvelle !
Les managers et collaborateurs sont nombreux à vouloir être acteurs et non simples spectateurs de cette nouvelle étape. Ils ont su agir et s'adapter en période de crise. Ils veulent être partie prenante de l'avenir de leur entreprise. ll y a de l’envie. Il faut leur donner la capacité d’agir.
On a beaucoup parlé d’intelligence collective ces dernières années. C’est le moment de l’expérimenter et de lui donner toute sa puissance. Chiche ?
#Formation #Coaching #management #soft-skills
4 ansMerci pour cette analyse. Et en effet, une question primordiale se pose actuellement : « Quel est le modèle cible de mon organisation pour les années à venir ?... Se défaire des nombreux carcans qui complexifient et qui ralentissent nos organisations". Faire confiance à l'humain, favoriser l'engagement : de belles missions pour les dirigeants !
Head of Communications | EDF
4 ansL’entreprise authentique au risque du lâcher-prise :/) Un bon petit coup d’accélérateur vers l’organisation agile ! Merci pour ce très bon post Nathalie Lelong
People first
4 ansUne période de déconfinement en effet plus délicate qu’imaginée, qui exacerbe les non-dits et accélère nos modèles sociétaux et d’entreprise de demain. Un challenge excitant.
Tres beau constat. Je ne vois pas de 2eme risque. Un mode de fonctionnement s'est mis en place pour répondre à une urgence donnée. Celle-ci passée, sa raison d'être disparaît. Le 3eme risque n'est-il pas plutôt le problème que vous avez très bien posé ?