Les émotions d'accomplissement
La famille des émotions d’accomplissement comprend les émotions que nous ressentons lorsque nos compétences sont en jeu durant une activité (p.ex., résoudre un problème), lorsque nous anticipons les résultats de cette activité, ou encore lorsque nous sommes confrontés aux résultats de cette activité (p.ex., la réussite ou la résolution du problème). Compte tenu de leur spécificité, il n’est donc pas étonnant que ces émotions soient spécialement étudiées dans le cadre de l’apprentissage scolaire. En effet, de telles émotions sont ressenties fréquemment par les élèves car leurs compétences sont en jeu dans quasiment toutes les activités scolaires, qu’il s’agisse des cours, des révisions, des exercices, ou de l’évaluation des connaissances.
Dans ce contexte, il s’agit donc d’identifier les émotions qui vont faciliter l’apprentissage et celles qui vont interférer avec lui. En résolvant un problème de mathématiques, par exemple, l’élève peut ressentir certaines émotions au cours de la résolution du problème ainsi qu’au moment où le résultat est obtenu. Ces dernières émotions peuvent même être anticipées et donc ressenties tout au cours de la résolution du problème, lorsque l’apprenant sait qu’il possède (ou non) les compétences et les connaissances nécessaires à sa bonne résolution.
Les émotions en lien avec la réussite et celles en lien avec l’échec
Les émotions d’accomplissement ont été beaucoup étudiées par Reinhard Pekrun. Après une étude approfondie des émotions ressenties par les élèves en classe, Pekrun propose de considérer deux types d’émotions. Il distingue ainsi les émotions en relation avec la réussite scolaire qui sont la joie, la fierté, l’espoir et le soulagement, de celles en relation avec l’échec qui sont la tristesse, la frustration, l’anxiété, la colère, la honte, le désespoir, et l’ennui.
Pekrun a pu mettre en évidence un lien entre les émotions ressenties pas les élèves en classe et leurs résultats. Il a en effet montré, dans une étude longitudinale, qu’il était possible de prédire le succès scolaire des élèves en se basant sur les émotions ressenties pendant les cours. Cette étude a porté sur un ensemble de 3 425 élèves suivis pendant 5 ans. L’âge moyen des élèves en début d’étude était de 11 ans et demi. Le choix a été fait de suivre la progression des élèves dans le domaine des mathématiques, une discipline connue pour être génératrice d’un niveau d’anxiété élevé chez les élèves. Cette étude a été réalisée au moyen de questionnaires permettant d’évaluer les émotions ressenties par les élèves durant leurs cours.
Cette étude a permis de mettre en évidence des liens réciproques entre les émotions ressenties et les notes en comparant les données d’une année à l’autre. D’une part, les émotions ressenties dans les cours ont permis de prédire statistiquement la réussite ou l’échec de l’élève l’année suivante. Par exemple, le fait de ressentir des intensités fortes de joie et de fierté durant les cours de mathématiques a permis de prédire la réussite de l’élève l’année suivante. D’autre part, sur la base des notes obtenues lors d’une année donnée, il a été possible de prédire les émotions ressenties l’année suivante. Par exemple, l’obtention de bonnes notes a permis de prédire des niveaux d’intensité élevés de joie et de fierté l’année suivante.
Un même type de résultat a été obtenu avec des niveaux d’intensité élevés pour les émotions de tristesse, de frustration, d’anxiété, de colère, de honte, de désespoir et d’ennui, prédictives de notes inférieures l’année suivante. De la même façon que précédemment, les notes médiocres obtenues ont permis de prédire des niveaux élevés de tristesse, de frustration, d’anxiété, de colère, de honte, de désespoir et d’ennui l’année suivante.
Des émotions silencieuses
Sur la base de ces résultats, il semble important pour les enseignants de prendre en compte, dans la mesure du possible, les émotions ressenties en classe par leurs élèves. Le problème est que certaines émotions sont liées à des patterns expressifs peu marqués. L’ennui ou le désespoir, par exemple, peuvent être considérés comme des émotions silencieuses, au contraire de la colère, par exemple, que l’enseignant repérera aisément.
Par ailleurs, l’ennui, dont l’intensité est relativement faible en début de scolarité, aurait tendance à augmenter avec le temps. L’enthousiasme, une autre émotion d’accomplissement, présenterait un pattern opposé, avec une intensité élevée en début de scolarité et une tendance à décroître avec le temps.
Des émotions activantes et désactivantes
Pekrun considère les émotions d’accomplissement « positives » comme « activantes », en ce sens qu’elles tendent à augmenter les efforts consentis par les apprenants dans des tâches scolaires. Ces émotions peuvent être déclenchées par le caractère agréable d’une tâche ou par un épisode de réussite. Les émotions « activantes » renforceraient la motivation et permettraient également une meilleure régulation des stratégies métacognitives d’apprentissage, en améliorant la flexibilité des stratégies, et inciteraient par-là les apprenants à choisir des stratégies cognitives plus favorables pour l’apprentissage. Enfin, elles auraient comme conséquence une augmentation des ressources attentionnelles allouées à la tâche.
Comme nous l’avons vu dans de précédents articles de KeyEmotion Lab, l’attention, tout comme la mémoire jouent un rôle clef dans l’apprentissage et ces systèmes cognitifs dépendent largement de l’émotion. Nous avons vu combien l’évaluation d’un stimulus comme étant pertinent pour l’individu capture son attention et comment cette allocation attentionnelle facilite l’encodage mnésique, ceci, notamment, du fait des interactions fonctionnelles entre l’amygdale, l’hippocampe et le cortex préfrontal.
S’agissant des émotions d’accomplissement « négatives », l’ennui serait une émotion dite « désactivante », en ce sens qu’elle engendrerait une chute des accomplissements et une baisse de la capacité à apprendre. Toutefois, certaines émotions négatives, telles que la frustration, pourraient être considérées comme « activantes », dans le sens où elles seraient bénéfiques à l’apprentissage. En effet, elles pourraient conduire à une augmentation de l’engagement métacognitif de l’élève ou de sa motivation à s’investir dans la tâche.
Le modèle « contrôle-valeur »
Pekrun a proposé le modèle « contrôle-valeur » qui rend compte du déclenchement de la plupart des émotions d’accomplissement. Ce modèle est basé sur deux mécanismes. Le premier mécanisme correspond à l’évaluation subjective par les apprenants de leur capacité à contrôler ou à maîtriser un test ou un domaine donné. Le second mécanisme correspond à l’évaluation subjective par les apprenants de la valeur (ou de l’importance) accordée au fait de réussir un test ou de la valeur attribuée à la matière elle-même.
Selon le résultat de ces évaluations, différentes émotions d’accomplissement sont générées. Prenons l’exemple d’une situation dans laquelle l’élève attribue peu de valeur à la matière ou au fait de réussir. Dans ce cas, quel que soit le niveau de contrôle, l’anxiété sera faible. Ce faible niveau d’anxiété n’est pas forcément positif dans la mesure où il pourrait résulter du fait que l’élève accorde une importance insuffisante à l’école ou à la matière étudiée. Au contraire, un élève anxieux avant une évaluation montre que cette évaluation est importante pour lui et qu’il lui paraît important de la réussir.
Dans le cas où l’élève évalue la matière ou le fait de réussir comme importants pour lui et qu’il évalue ses capacités de contrôle et de maîtrise comme étant suffisamment élevées pour réussir, alors son anxiété restera relativement basse. Un cas plus inquiétant correspond à la situation où l’élève attribue une valeur élevée à une matière donnée ou au fait de réussir, mais possède un sentiment subjectif de contrôle faible. Dans ce cas, l’impression de ne pas pouvoir réussir quelque chose qui, pourtant, lui paraît important résultera en un niveau d’anxiété particulièrement élevé.
En somme, certaines émotions d’accomplissement, tout comme les émotions épistémiques, constituent une ressource potentielle considérable pour l’optimisation de l’apprentissage. Prendre en compte ces mécanismes dans tout système pédagogique, et à quelque niveau que ce soit, représente aujourd’hui une nécessité.
Si vous souhaitez en savoir plus sur les émotions d’accomplissement ou sur les émotions en général, contactez-nous !
J’accompagne les dirigeants et les organisations à (re) trouver du sens et à se (re) mettre en action - Co- dirigeante chez FORM'UTIL - Révéler autrement 💫🧩
5 moisMerci pour cet article : Excellente illustration !
Senior Consultant Director, Strategic Insights, Analytics and Technology (SaaS), Corporate coach with a strong Interest in a fairer, healthier, more sustainable society
6 moisTrès intéressant merci. Et si vous rajoutez la petite part d'élèves neurodivergents pour qui ces mécanismes peuvent être amplifiés ou altérés, on comprend d'autant plus que cette compréhension des émotions et compétences émotionnelles doit faire part de toute formation d'enseignants;
Co-fondatrice de KeyEmotion Lab
6 moisSur le plan pratique, quelles sont les retombées possibles ? À l’école par exemple ?
Je suis Haut Potentiel Émotionnel (HPE) 🪆🪞🧳 et en route pour créer « CaMaNi » pour une nouvelle approche en recrutement, en connaissance de soi et en marketing relationnel, tournée vers des concepts novateurs.
6 moisMerci de souligner qu’il existe plusieurs familles d’émotions. Cela permet de se repérer plus facilement