Les animaux rêvent-ils ?
Les animaux sont-ils tous aptes à rêver ?

Les animaux rêvent-ils ?

Tous les animaux dorment, ou font preuve d’un état particulier « d’inactivité comportementale », c’est un fait avéré. Sont-ils pour autant tous aptes à rêver ? Qui n'a jamais observé un animal domestique s’agiter et gémir nerveusement durant une phase de repos, notamment les chats et les chiens ? Mais qu’en est-il des oiseaux et des reptiles, des poissons, voire des insectes ?

À la rencontre des rêves

Le sommeil est un processus se servant du ralentissement des fonctions vitales de l’organisme (baisse de l’état de conscience, diminution du tonus musculaire ou encore perte de vigilance) pour se régénérer et ainsi mieux stocker les informations reçues durant la phase d'activité.

Cet état est divisé en deux parties : le sommeil lent et le sommeil paradoxal.

Et c’est durant cette seconde phase que naissent les rêves.

Contrairement au sommeil lent, généralement passif et avec peu d’activité cérébrale, le sommeil paradoxal est actif et constitue une période d'intense activité cérébrale, semblable à celle de l’éveil.

Le relâchement musculaire total ainsi que les mouvements vifs de l’extrémité des membres et des yeux sont caractéristiques du sommeil paradoxal.

Sur le plan scientifique, l'étude des rêves porte un nom : l'onirologie (-Oniro étant tiré du terme grec « oneiros » qui signifie littéralement « rêve » ou « songe »).

À titre anecdotique, les dieux des songes chez les Grecs sont appelés les Oneiroi, des divinités qui personnifient les rêves.

Parmi eux se trouve Morphée, personnage bien connu pour son pouvoir d’endormir les mortels, d’où son rôle de Dieu du Sommeil.

L’origine du rêve chez les animaux

La capacité à rêver a longtemps été attribuée à l'homme.

Perçue comme une preuve d'intelligence supérieure vis-à-vis des êtres vivants non-humains, plusieurs études récentes ont démontré que la phase de sommeil paradoxal – et donc le fait d'être en mesure de rêver – est aussi présente chez les mammifères, les marsupiaux ou encore les oiseaux.

Le sommeil paradoxal serait apparu avec l’un des premiers mammifères, il y a environ 200 millions d’années.

Concernant les oiseaux, ce mécanisme serait né de manière indépendante quelques temps après, il y a environ 150 millions d'années.

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Arbre phylogénétique simplifié selon le premier ancêtre commun rêveur. Source : Science & Vie

D’autres recherches appuient le fait que le phénomène des rêves chez les animaux serait encore plus ancien.

L’Institut Max-Planck pour la recherche sur le cerveau, situé à Francfort, a démontré que les reptiles ont un système cérébral apte à créer une phase de sommeil paradoxal.

En effet, les scientifiques ont pu observer une activité cérébrale proche de l’éveil chez le Dragon australien (Pogona vitticeps).

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Le Dragon australien (Pogona vitticeps) présente des signes manifestes d'une activité cérébrale propice au rêve.

Le neurologue Gilles Laurent a ainsi rapporté son analyse au journal Sciences & Vie : « Notre découverte augmente la probabilité que le sommeil paradoxal ne soit apparu qu'une seule fois, chez l'ancêtre commun des mammifères et des reptiles. Cela peut même évoquer l’idée que l’ensemble des dinosaures (aviens et non aviens) aient pu rêver de leur vivant ».

L’ancêtre commun des vertébrés amniotes – dont les mammifères, les oiseaux et reptiles font partie – aurait vécu vers 350 millions d’années et serait alors le premier animal « rêveur ».

Remonter davantage la source des rêves

Les poissons font partie d’un groupe d’êtres vivants plus anciens encore.

Mais une chose est sûre : la grande majorité des poissons dort.

Reste à savoir si leur organisme est capable de mettre en place le sommeil paradoxal – ou un équivalent – tel qu'observé chez les oiseaux ou les mammifères.

En couplant une technologie avancée d’imagerie et l’incorporation de protéines fluorescentes, des chercheurs de l'Université de Stanford aux États-Unis ont pu enregistrer et visualiser au moins deux phases de sommeil chez Le poisson-zèbre (Danio rerio).

La première phase possède les mêmes caractéristiques que le sommeil lent : système cardio-vasculaire au ralenti et relâchement musculaire complet.

Puis la seconde qui correspond à une activité cérébrale accrue, avec une période d’éveil et des muscles entièrement lâches, autrement dit un sommeil paradoxal primitif.

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L'étude du poisson-zèbre (Danio rerio) a démontré les signes primitifs d'un sommeil paradoxal chez cette espèce.

Les premières traces d’activité onirique remonteraient-elles à 450 millions d’années au moins, période où les premiers vertébrés apparaissaient sur Terre ?

Malgré ces phases avérées de sommeil dichotomique, on ne peut pas encore affirmer que les poissons sont des rêveurs.

Philippe Mourrain, du Centre des Sciences du Sommeil et de la Médecine à Stanford, propose son analyse dans un article de Sciences & Avenir : « On sait que les poissons peuvent apprendre, ça veut dire qu'ils mémorisent et donc que leurs neurones peuvent peut-être rejouer des séquences durant la nuit. Si les rêves ne sont que la manifestation de ces reconnections, on peut l'envisager ».

Un dernier exemple qui viendrait renforcer la supposition de l'origine ancienne du sommeil paradoxal, et possiblement des rêves, est celui des arthropodes (insectes, araignées et crustacés).

En effet, les araignées sauteuses (Salticidae) ont une spécificité : des yeux surdéveloppés, adaptés à des déplacements rapides et une chasse précise.

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Un état de sommeil de type paradoxal a été observé pour la toute première fois chez des invertébrés terrestres, plus particulièrement chez les araignées sauteuses (Salticidae).

Des chercheurs se sont demandés si des mouvements oculaires pouvaient également s’observer chez ces araignées.

Il en résulte que leur sommeil est bien rythmé par une phase où la rétine s’agite régulièrement, et lors de laquelle des courbures nerveuses apparaissent au niveau des pattes.

Ces comportements sont caractéristiques d’un état semblable à celui observé chez d'autres animaux comme les mammifères.

Un intérêt évolutif… ou pas ?

Nombreux sont les bénéfices du rêve chez l'espèce humaine.

Ils sont notamment essentiels à l’apprentissage, à la mémorisation et à l’imagination.

Toutefois, cela comporte un fort inconvénient pour beaucoup d’autres animaux : la vulnérabilité.

Par exemple, les éléphants, connus pour leur excellente mémoire, dorment moins de 2 heures par jour !

Ils sont aussi capables de ne pas s’allonger durant 9 jours consécutifs, position favorable au sommeil paradoxal.

Pourtant considéré comme le ciment mémoriel de l’humain, le rêve ne semble donc pas vital chez nos amis pachydermes.

Autre exemple, celui des cétacés.

Malgré une structure neuro-cérébrale adaptée au sommeil paradoxal, ce dernier n’a jamais été observé chez ces mammifères.

Lors d’une stimulation, cette capacité à rêver serait automatiquement inhibée.

Alors quelle est la raison derrière la réduction, voire l'absence totale de cette phase de sommeil chez certaines espèces ?

Tout d’abord, il y a l'exposition aux prédateurs car « plus les animaux y sont exposés, moins ils consacrent de temps au sommeil paradoxal », explique Gilles Laurent de l'Institut Max-Planck.

Ainsi, un grand nombre d’herbivores, principales proies au sein de la chaîne alimentaire – appelée réseau trophique –, n’auraient pas cette « liberté de rêver ».

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Certains herbivores tels le zèbre n'ont pas la « liberté de rêver », du fait de leur vulnérabilité quasi permanente liée à leur forte exposition aux prédateurs.

Ensuite pour des questions mécaniques : chez les cétacés, la perte du tonus musculaire lors du sommeil paradoxal les ferait tout simplement couler, d’où l’inhibition systématique de leurs neurones.

Sinon, ils pourraient mourir d’hypothermie, mais également d’anoxie, car tous les cétacés ont besoin de remonter à la surface pour respirer.

Rêver : un processus évolutif complexe

Finalement, le sommeil est un mécanisme modelé par l’évolution, qui s’est parfois plié à des contraintes liées aux espèces et/ou à leur environnement.

Ses fonctionnalités sont riches et nombreuses : repos du corps et de l’esprit, stimulation de nombreuses enzymes et hormones, mémorisation, imagination, apprentissage.

Bien que les animaux ne pouvant pas en bénéficier s’en soit accommodés au point de ne plus ressentir le réel besoin de compenser ce manque, le sommeil – d’une quelconque forme, aussi réduite soit-elle – reste omniprésent chez tous les animaux.

Beaucoup d’études sont en cours à ce sujet, et bien des secrets restent encore à percer aujourd'hui par l'étude du rêve chez les animaux, humains y compris !


Un article proposé par Victor Meneghin pour Terra Nostra Magazine

Titulaire d'une licence en Biologie des Organismes et des Populations Environnement ainsi que d'un master en Écologie Opérationnelle, Victor est actuellement chargé de vie associative au sein de l'association Bretagne Vivante.

Passionné et très curieux du vivant, il souhaiterait s’impliquer davantage dans la gestion et la protection de l’environnement, tout en sensibilisant le grand public sur la nature qui nous entoure.

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Sources :

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