Les «bourgeois bourrins», frères ennemis des «bourgeois bohème»
Pour faire simple, il s’agit d’un CSP + branché, généralement mâle, qui se détourne des «trois piliers de l’utopie bobo : justice sociale, mixité et protection de l’environnement». Utopie à l’agonie, insiste Chemla. Le boubour n’est pas un simple réac ou un beauf. Il s’est construit en réaction à ce qu’il considère comme un déploiement excessif du politiquement correct, des luttes antiracistes et féministes, de l’écologie… Le boubour, c’est le lâchage, marre de toujours faire attention à ce qu’on mange, à ce qu’on dit, à ce qu’on boit .
Ce qui est nouveau, selon l’auteur, c’est la posture rebelle et pseudo-antisystème des boubours, qui «parviennent à faire passer pour contestataire ce qui n’est que le rétablissement d’un ordre immobile». Car tout ce que veut le boubour, c’est jouir, comme avant, tranquille, «sans complexe, sans complexité, et sans culpabilité». Laisser libre court à ses instincts, faire parler sa nature sauvage fantasmée, désignée ironiquement comme son côté «bonobo».
Rien n’échappe à la boubourisation, «une esthétique et une éthique qui tendent vers le sauvage, le gras, le lourd, le brut», mais version «chic et branché». Comme l’ensauvagement de la mode masculine et du luxe avec l’increvable triptyque viriliste bûcheron-motard-rockeur, symbolisé par les dernières campagnes de pub de Dior (Sauvage, avec Johnny Depp)
Dans nos assiettes, c’est le retour de la cuisine bourgeoise (plats en sauce, gibier), le carnisme défiant des restaurants à la texane et l’appétence pour les os à moelle bistronomiques qui font la nique à la «menace» bobo-bio-végétarienne. Dans les salles de sport, c’est l’avènement du crossfit, la muscu hors de prix, à la dure et à la trique. Au lit, c’est la culture Tinder et Grindr, la consommation des corps sans pitié ni manières. Nicolas Chemla voit dans la culture numérique moderne, de Uber à Instagram, le même tropisme du choc, de la frime et de la domination…
Le pire, selon l’auteur, c’est qu’on a pour la plupart du boubour en nous - femmes y compris. «Cette attitude rassure et s’inscrit dans le processus actuel d’enfermement de chacun dans des identités figées» le boubour recherche avant tout «des sensations à la fois fortes et simples, une sorte de défonce tranquille, une béatitude vide et nirvanesque». Gare à la redescente.