Les colonnes d'Orion
Il y a quelques années, la direction nous annonçait une « réorganisation du site » : construire des bâtiments neufs pour les unités, en les regroupant en bas du parc du Bois Perrin et vendre les anciens murs et une grande partie du parc à la ville de Rennes.
Les déménagements s’étaleront de 2015 à 2020. Les premiers se feront dans un contexte institutionnel, ne permettant pas de penser ces bouleversements, dans une perspective plus ou moins consciente de faire table rase du passé. Lorsque les déménagements suivants se sont annoncés, nous nous sommes regroupées à quelques-unes et nous avons créé une association « Tangram » avec l’idée de collecter la mémoire de ces lieux qu’il nous fallait quitter. Plusieurs projets seront engagés avec des artistes qui aboutiront, grâce au soutien de notre chef de pôle et de la direction du CHGR, à deux expositions photos, un livret de témoignages, et des films captant quelque chose de la mémoire de ces lieux, lieux qui ont accueilli des enfants et des jeunes des années 1960 à 2020.
Deux bâtiments, dont celui d’Orion, ont été démolis car ils n’avaient pas d’intérêts architecturaux, les autres ont vocation à être réhabilités en logements.
Orion, dernier nom de ce bâtiment du nom éponyme de la dernière unité, il s’est appelé avant corsaires, accueil commun… Nous avions repéré des fresques dans la cour de ce bâtiment, qui nous touchaient beaucoup par leur qualité picturale et leur valeur de témoignages. Il n’était pas possible de toutes les conserver, trois colonnes, soutenant un préau ont pu l’être, mobilisant la direction des plans et travaux.
Les fresques étaient assez abimées, une rénovation s’imposait.
Nous avions informé les différentes unités de ce projet. L’atelier d’arthérapie de Yolande Amiand a proposé de s’y engager avec 4 jeunes :
"La rénovation s’est inscrite dans le temps, ça a cogité, ça a fantasmé…"
Il a fallu des temps de séchage, les enfants ont dû être d'accords et la météo favorable, pour permettre le travail à l’extérieur. Cette temporalité a permis aux enfants, aux jeunes de faire évoluer le projet et d’apporter des modifications, en fonction du résultat.
Il faudra discuter avec eux pour qu’ils acceptent de garder le thème et des traces des fresques originales, leur premier mouvement étant de tout « refaire à neuf », ils durent donc faire avec ce « cahier des charges ». Pendant le chantier, près de 25 personnes se sont arrêtées pour questionner, féliciter et tout simplement discuter. Nous avons présenté la démarche et aussi les possibles pour les olympiades (fête du Bois Perrin). Cela a été l'occasion pour un infirmier et la pédiatre nouvellement arrivés de se présenter. Des soignants se sont donnés des nouvelles. Deux enfants ont été étonnés de la relation amicale que certains adultes avaient ensemble... « ils viennent d'où tous ces gens-là ? »
Un adolescent s’est adressé à nous avec des questions techniques : « ça sert à quoi? ça bouge ? c’est solide ? ». La jeune R. qui peignait ce matin-là a été très valorisée par les commentaires, elle-même donnant des explications sur la fabrication des couleurs.
Un autre jeune est venu demander ce qu’étaient ces colonnes. Il put faire le lien avec ce bâtiment Orion, où il avait été hospitalisé. Il ne se souvenait plus des fresques, mais au travers de ces colonnes, il a pu évoquer un peu de son histoire : « j’y ai passé du temps » ; Petit souvenir dans son histoire chaotique, faite d’abandons successifs, une petite trace du passé dans le présent. Il reviendra plusieurs fois dire bonjour, incluant les colonnes dans sa géographie relationnelle.
Une unité a invité cette équipe de rénovation, à venir voir le totem qu’ils vont installer dans leur cour, comme de bons voisins (certains jeunes sont vite inquiétés par le voisin, celui qu’on voit de loin et qu’on ne connait pas).
Recommandé par LinkedIn
Nous avons parlé de Tangram, pourquoi certaines personnes avaient eu l’énergie de recréer une association pour mettre en valeur la vie institutionnelle et le lien entre l’avant et l’après.
"Il y a eu beaucoup de rires. Plein d'autres choses encore bref, la base de notre travail !! De beaux instants."
Il y eu aussi des discussions, aurait-on dû laisser les colonnes dans leur état originel, et faire un travail de restauration en s’orientant vers un travail technique ? Cela nous aurait conduit à faire fi du souhait des jeunes de l’atelier d’y laisser aussi leur marque, et ainsi de réinterpréter ces traces du passé.
Outre la créativité de l’atelier Arthérapie, « traces du passé dans le présent », et des effets thérapeutiques qu’un tel projet a eu pour les jeunes concernés ; donc outre ces effets dans le soin, cette aventure des colonnes, illustre combien ce projet à œuvrer aussi sur le plan institutionnel, en mettant en relation de multiples personnes :
- Des personnes qui se rencontrent rarement, par exemple la direction des plans et travaux avec les services de soins, actualisant combien nous travaillons tous au service des enfants, des jeunes accueillis ;
- Des professionnels du soin qui se rencontrent rarement, chacun étant occupé dans ses espaces respectifs ;
- Des enfants, des jeunes avec des professionnels de différentes unités, en « bons voisins ».
Un grand merci à tous ceux et celles qui ont rendu possible cette installation et cette rénovation, particulièrement à la direction des plans et travaux, à Yolande et aux jeunes qui ont redonné vie à ces fresques, à ces piliers de préau devenus colonnes.
En arrivant au centre du Bois Perrin, elles nous accueillent, accrochent notre regard, avec leur couleur vive. Et le phare, n’est-il pas une invitation à nous orienter, à s’appuyer sur les traces du passé, en leur inventant, en leur créant, en leur donnant une juste place. Parions que ces colonnes feront date dans le nouveau centre du Bois Perrin, qu’elles seront l'occasion de se souvenir ou d’interroger ce qu’elles font là, d’où elles viennent, de quelle histoire ou de quelles histoires elles sont la trace.
De Yolande Amiand, infirmière, arthérapeute et Evelyne Quénéa, psychologue, trésorière de l’association Tangram.
Directeur adjoint chez CH G.Regnier
1 ansMerci d'avoir engagé ce travail afin de garder la mémoire et susciter l'intérêt. Le petits écureuils du Bois Perrin viendront ils leur rendre visite de temps en temps ? Qui ose le pari ?
Dessinatrice - projetrice chez Centre hospitalier Guillaume Regnier
1 ans"nous travaillons tous au service des enfants et des patients accueillis ". il était important de garder ces traces et le résultat est très réussi. Elles tiennent bien leurs places ces 3 colonnes.