Les Credit Default Swaps (CDS) ou parier sur la faillite
« I do believe CDS have been miscast, much as poor workmen tend to blame their tools » Blythe Masters, créatrice du premier CDS.
Comme le laisse entendre cette déclaration de leur créatrice, les CDS, produits dérivés de crédits complexes, sont souvent considérés comme toxiques par les professionnels du milieu financier et les observateurs extérieurs. En amplifiant la volatilité des marchés et en précipitant des institutions financières vers l'abîme, ils sont devenus, lors de la crise des subprimes en 2008, l’un des symboles de l'excès de Wall Street. Pourtant, près de quinze ans plus tard, ces instruments financiers controversés continuent de diviser les opinions et d'influencer les marchés mondiaux.
Qu’est-ce qu’un CDS ? Histoire, fonctionnement et intérêt.
Son histoire…
D’un point de vue historique, les CDS ont vu le jour au sein de la banque d’affaires JP Morgan en 1994. JP Morgan a accordé cette année-là un crédit de 4,8 milliards de dollars à la compagnie pétrolière Exxon pour se prévenir des risques liés à une marée noire déclenchée par l’échouage du navire pétrolier Exxon Valdez. Or, une telle ligne de crédit ne pouvait être détenue en totalité par la banque sans affecter grandement son bilan et augmenter son taux de refinancement (taux auquel les banques commerciales empruntent aux banques centrales). Une équipe d’opérateurs de marché dirigée par Blythe Masters travailla alors sur un moyen de transférer une partie du risque de cette ligne de crédit en créant un nouveau type d’instrument financier de crédit. Ces nouveaux produits furent rapidement standardisés et restructurés par JP Morgan afin d’être plus largement commercialisés et ils prirent alors le nom de CDS. Ces nouveaux CDS furent finalement adoptés par l'ensemble des institutions bancaires internationales et connurent une demande très importante dans les années 2000.
Mais concrètement c’est quoi ?...
Les Credit Default Swaps (CDS) sont des produits dérivés de crédit permettant de s’assurer contre le risque de défaut de paiement d’un crédit d’un sous-jacent émetteur de dette (entreprise ou souverain). L’acheteur du CDS acquiert le droit de vendre l’obligation qu’assure le CDS à sa valeur nominale (sa valeur lors de son émission) ou de recevoir en cash la valeur nominale de cette obligation en cas d’occurrence d’un aléa de crédit. En contrepartie, l’acheteur verse au vendeur une prime à intervalles réguliers jusqu’à échéance du CDS, ou bien jusqu’à la survenance d’un aléa de crédit. Cette prime correspond à la valeur du CDS au moment de son achat, mais évolue selon le cours du sous-jacent et la probabilité de défaut. En cas d’aléa de crédit, un ultime paiement est effectué par l’acheteur et le CDS est alors dénoué soit par livraison du sous-jacent, soit par le versement de la valeur nominale de ce sous-jacent selon le contrat et la volonté de l’acheteur.
Les CDS sont des contrats de gré-à-gré, c’est-à-dire que les transactions se font directement entre les parties contractantes. Il n’y a pas de marché organisé comme le marché boursier. Il n’existe à l’origine aucune chambre de compensation sur le marché des CDS, ni de mécanisme d’appel de marge. Le marché des CDS est donc un marché très opaque sur lequel il est difficile de connaître avec précision les modalités d’échange. Cependant, les CDS sont régulés par l’International Swap and Derivatives Association (ISDA), une organisation regroupant des intervenants majeurs sur les marchés financiers dérivés de gré à gré. Son principal but est de fournir des contrats de référence pour les transactions sur produits dérivés de gré à gré. Du fait de cette standardisation, la durée d’un CDS est en général de 5 ans.
Si le marché des CDS est si important, c’est en raison de l’avantage que procurent les CDS en permettant de gérer les risques de crédit de manière plus efficiente puisque le CDS ne tient compte que du risque de crédit et non du risque de taux (tout comme une obligation). Ainsi, le CDS répond précisément à une demande d’assurance qui sans cela ne serait pas satisfaite.
Un CDS est défini par différents paramètres :
· L’entité de référence sur laquelle porte le CDS (généralement une obligation ou un bon du trésor), qualifié d’actif sous-jacent du CDS.
· Le montant notionnel, valeur utilisée pour calculer les paiements sur un instrument financier.
· La prime, également appelée spread, valeur du CDS qui varie sur les marchés financiers en fonction de l’offre et de la demande
· La maturité, qui désigne l’échéance du CDS
Les actifs sous-jacents des CDS sont aujourd’hui majoritairement des obligations de bonne qualité (les obligations notées entre AAA et BBB représentent environ 60% du marché des CDS). Parmi les protections les plus demandées, on retrouve des pays comme la Turquie, le Brésil, l’Afrique du Sud ou encore la Russie mais également des sociétés publiques ou privées et des banques comme Deutsche Bank.
Le montant notionnel d'un CDS est exprimé en points de base par rapport à l'encours notionnel (l'encours de la dette de référence). Ce montant ne fait l’objet d’aucune transaction mais permet de calculer la prime. Ainsi, un CDS à 5 ans de 300 pdb sur une obligation indique que l'acheteur devra payer 3% du notionnel (donc de la valeur fluctuante de l’obligation sous-jacente) chaque année, pendant 5 ans, au vendeur, en l'absence d'aléa de crédit.
La prime du CDS est égale à la différence entre le taux de la dette sur laquelle porte le CDS et le coupon sans risque. Le montant de la prime (donc le montant que l’acheteur doit payer au vendeur pour acquérir puis pour conserver jusqu’à l’échéance un CDS) augmente donc à mesure que la qualité du crédit diminue. Cependant, comme les CDS sont des produits négociés de gré à gré, sur lesquels peu d'informations sont disponibles, il est possible qu'un spread s'écarte de sa valeur théorique. Ces écarts sont très recherchés par les fonds arbitragistes.
La maturité du CDS sera dans la plupart des cas égale à l'échéance de la dette sous-jacente. Passée la maturité, le CDS est dissous, qu’il ait été activé ou non.
Comme tout contrat d’assurance, le versement de l’indemnité (en cash ou par le droit de vendre le sous-jacent à sa valeur nominale) dépend de la survenue d’un événement de crédit précisé dans le contrat du CDS. On parle d’aléa ou d’évènement de crédit lorsque survient le non-remboursement de tout ou partie d’un crédit.
· Si aucun événement de crédit n’intervient avant l’échéance du crédit, l’acheteur d’un CDS aura payé la prime pour rien.
· Si l’événement de crédit est déclaré, cela déclenche le dénouement des CDS. Dans ce cas, il faut déterminer la valeur nominale des obligations pour calculer le montant de l’indemnisation que l’acheteur de CDS détenant des obligations couvertes par ces derniers pourra réclamer.
On distingue par ailleurs généralement deux types de CDS :
· Les CDS single-name, pour lesquels il n’y a qu’une seule créance sous-jacente.
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· Les CDS sur indice, pour lesquels le risque porte sur un panier de créance ou un indice.
Dans le cas d’un CDS portant sur un panier de créance, il est fréquent que l’évènement déclencheur de l’assurance porte non pas sur un seul événement de crédit mais sur plusieurs événements conjoints. Ainsi, si un émetteur fait défaut, aucune indemnité n’est perçue, mais si plusieurs émetteurs font défaut, alors l’assurance du CDS est activée. Ce type de CDS permet, par exemple, à un établissement de crédit de s’assurer contre un risque extrême sur une zone géographique ou un secteur économique tout en payant cette assurance moins cher qu’un CDS sur chacune de ses créances.
Les CDS : des produits à l’usage progressivement détourné
Outre leur rôle d’assurance contre les risques de défaut de crédit, les CDS présentent d’autres utilités qui peuvent expliquer le développement rapide de ces instruments financiers au début des années 2000.
En effet, les CDS sont également un instrument de dette synthétique. Ils permettent au vendeur de CDS de prendre une position équivalente à une détention de dette. Ainsi, leur utilisation réalloue l’exposition au risque de crédit, initialement portée uniquement par les prêteurs ou détenteurs d’obligations, entre les institutions financières. En effet, l’achat d’un CDS transfère le risque de crédit de l’acheteur vers le vendeur (qui devra être en mesure de lui verser son indemnité en cas d’évènement de crédit du sous-jacent).
De plus, le marché des CDS permet d’améliorer la liquidité du marché des obligations, en assurant, en cas de défaut, l’existence d’un acheteur en dernier ressort (le vendeur du CDS). Toutefois, dans la mesure où le marché des CDS n’est pas organisé, il ne bénéficie pas des garanties apportées par l’existence d’une chambre de compensation comme sur les marchés organisés (appels de marge par exemple). De fait, le risque de contrepartie (le risque de défaut du vendeur de CDS) peut malgré un récent renforcement de la réglementation, être élevé.
Enfin, les CDS, du fait des anticipations de taux de défaut qu’ils représentent permettent de conjecturer des périodes de fortes craintes sur la solvabilité des banques. Ainsi, l’un des premiers indicateurs du début de la crise financière à l’été 2007 a été la chute brutale des indices calculés à partir des CDS sur un panier d’obligations adossées aux crédits subprimes. De même, la détérioration de la situation des pays émergents en 2023 a été d’abord perceptible sur les marchés par la forte augmentation des primes de CDS sur les titres souverains de ces pays.
Le cas de la société Washington Mutual est particulièrement illustratif de l’intérêt des CDS pour évaluer les probabilités de défaut de crédit : les taux de défaut anticipés ont augmenté fortement dès le mois de décembre 2007, soit plus de 9 mois avant sa faillite, pour atteindre plus de 40% fin janvier 2008. Pareillement et dans un souci d’analyse à plus court terme, avant sa faillite, le prix moyen d'un CDS-5 ans de Lehman Brothers assurant une dette de l’entreprise de 10 millions de dollars a augmenté de 152 000 dollars à 194 000 dollars en seulement une semaine. Les probabilités de défaut estimées à partir des CDS peuvent donc constituer un indicateur avancé des faillites des entreprises ou des Etats concernés.
Au-delà de ces utilités assez bénignes pour le marché, de nouveaux usages des CDS pouvant se montrer plus nocifs se sont développés à partir de 1998.
Bien que les CDS aient été conçu à des fins de couvertures pour protéger les possesseurs d’obligations d’un défaut de crédit, ces derniers ont rapidement été également utilisé à des fins d’arbitrage (pour obtenir un profit en profitant d’écarts de prix temporaires) et de spéculation. Cet aspect spéculatif des CDS a particulièrement attiré les fonds d'investissement, notamment les Hedge Funds. Utilisés comme instruments de spéculation, les CDS peuvent être achetés sans avoir aucun actif à protéger. On parle alors de « CDS à nu ». Les acheteurs ne se couvrent donc pas contre un risque de non-remboursement, mais spéculent sur la santé financière des emprunteurs. L’un des exemples les plus emblématiques de cette spéculation est l’achat par Michael Burry (rendu célèbre par le film The Big Short) de CDS à nu sur un ensemble de crédits subprimes pour spéculer sur l’imminence de la crise. Il avait estimé que ces crédits contractés par des Américains en situation financière délicate ne pourraient pas être remboursés intégralement. L’éclatement de la crise des subprimes, en 2007, lui donna alors raison, ce qui permit à son fonds spéculatif de générer une plus-value de plusieurs centaines de millions de dollars.
Ce phénomène de spéculation sur le défaut de crédit au moyen des CDS a un effet pervers. La spéculation sur les CDS entraîne l’augmentation de la prime de ces derniers affectant de fait la confiance dans ces sous-jacent. Ainsi, ces émetteurs de dettes se voient contraints d’emprunter à des taux plus élevés, ce qui accroît encore leurs difficultés financières.
Cette spéculation à nu a d’ailleurs été accusé d’avoir alimenté la crise de 2008, mais aussi d’avoir joué un rôle non négligeable dans la crise des dettes souveraines européennes en 2011-2012. Pour conserver une stabilité des marchés financiers, on hésita même, en raison de l’opacité des CDS et de l’importance de la spéculation sur ces derniers, à déclarer une restructuration de la dette grecque. On ne connaissait ni le nombre ni le volume des contrats CDS qui se déclencheraient sur une telle décision qui serait interprétée par les agences de notation comme un événement de crédit.
Enfin, les CDS peuvent également être utilisés pour permettre aux banques de réduire leurs exigences prudentielles en fonds propres. En effet, les ratios prudentiels obligent les banques à détenir une certaine partie de leurs dettes en fonds propres. Or, dans la mesure où les CDS constituent une garantie contre le défaut de l’émetteur de l’obligation, la détention d’un CDS diminue les exigences en capitaux propres puisque le fait de protéger ses dettes permet de baisser ces exigences. Cela permet alors aux banques d’accroître leur activité de prêt. L’inconvénient d’une telle pratique est la plus forte exposition des banques au risque systémique car elles sont plus exposées au risque de défaut de crédit.
De ce constat, diverses pratiques qui se sont montrées particulièrement dommageables pour la stabilité financière mondiale ont fleuri sur le marché des CDS.
On trouve parmi celles-ci l’intermédiation bancaire par les opérations miroir. Lorsqu’une banque veut réduire son exigence de fonds propres sans réduire son exposition au risque de défaut sur ses obligations, elle peut alors acheter un CDS à une autre banque et lui vendre un CDS identique. Économiquement, cette opération est neutre sur son risque de défaut qui reste identique mais les exigences en fonds propres sont plus faibles du fait du traitement réglementaire différencié.
En effet, les exigences en fonds propres l’acheteur connaissent une forte réduction et le vendeur ne subit qu’une augmentation relativement faible de ses exigences en fonds propres puisque rien ne l’oblige à mettre de côté des fonds pour garantir la transaction. De fait, le marché des CDS ne comptait absolument aucun mécanisme de compensation pour lutter contre le risque de contrepartie.
Ce dernier point a particulièrement attiré les assureurs sur le marché comme vendeurs de CDS. Le vendeur reçoit en effet les primes du CDS et augmente ses avoirs sans nul investissement en capital et avec un risque de survenance d'événement de crédit relativement faible. Et cela même si le coût dans le cas d'un défaut serait élevé…
Cette pratique accroît subséquemment le risque systémique. D’autant que les positions en CDS sont plus opaques que les détentions de dette, car elles sont portées hors-bilan et avec une valeur de marché initiale nulle, ce qui augmente encore l’attrait des CDS dans une optique de prise de risque.
Rédigé par Jonathan Brunet
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