Les dessous du web : la guerre du pare-brise
©vidéo Youtube Carglass ©Laurent HELAINE

Les dessous du web : la guerre du pare-brise

En amenant le sujet sur la place publique au travers de ces spots télévisés massivement diffusés aux heures de forte audience, Carglass met le doigt sur ‘quelque chose’.

La question étant « sur quoi ?».

Demandez autour de vous : tout le monde a remarqué cet acharnement à marteler ce ‘point fr’. Bien peu sont ceux qui ont une idée du pourquoi.

Avant de démarrer, je voudrais préciser trois points importants :

- Cette analyse est effectuée à partir de données en source ouvertes et obtenues légalement (en accord avec les règles de l’Open Source Intelligence).

- Cette analyse n’engage que moi, elle vise à illustrer à partir d’un exemple concret, la nature des informations disponibles et de leur exploitation potentielle à des fins d’intelligence économique.

- Cette analyse est une photo à un instant donné. Elle est donc, par essence, périmée au moment de sa publication. J’ai limité l’étude aux résultats sur ordinateur en France. Il conviendrait de faire la même analyse, surement très différente, sur smartphone.

4 cas se présentent donc :

1.      On tape carglass dans le moteur de recherche.

2.      On tape carglass.fr dans le moteur de recherche.

3.      On tape carglass dans la barre d’adresse.

4.      On tape carglass.fr dans la barre d’adresse. C’est la solution promue par la marque.


1.      On tape carglass dans le moteur de recherche.

Voici la page de résultat obtenue au moment où j’ai fait la copie d’écran.

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Cette page s’appelle la Search Engine Result Page ou SERP (retenez cet acronyme, je le réutiliserai). C’est celle de Google, mais j’aurai pu le faire avec un autre moteur de recherche.

On observe deux résultats en tête de page :

·      une annonce comme l’indique la mention « ANNONCE » en petit et gras devant l’URL. Il s’agit d’un lien payant (Paid) résultant d’un système d’enchères (Google Adwords) où la marque a payé pour apparaître à cette position sur l’intention de recherche Carglass. Elle paiera Google si l’internaute clique sur ce lien. Elle peut se voir reléguée en seconde position si une autre marque propose un montant plus élevé ou disparaître si la limite du budget défini (quotidien, hebdomadaire, etc.) est atteinte.

·      Un résultat naturel ou organique. Il est la conséquence des algorithmes de Google qui par une multitude de facteurs (connus ou non) détermine que ce résultat est le plus à même de répondre à l’attente de l’internaute en regard de l’intention de recherche.


2.      On tape carglass.fr dans le moteur de recherche.

Voici une copie d’écran de la SERP (vous vous souvenez de cet acronyme ?) obtenue à ce moment.

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Cinq annonces en Paid avant le résultat Carglass en organique! C’est donc pire pour la marque, si l’on cherche avec le .fr.

3.      On tape carglass dans la barre d’adresse.

On obtient la SERP du moteur de recherche défini en tant que « Moteur de recherche utilisé dans la barre d'adresse » dans le navigateur web. Ici avec Qwant, on ne trouve que des résultats organiques (hasard ?).

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4.      On tape carglass.fr dans la barre d’adresse.

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On arrive directement sur le site. On comprend aisément tout l’intérêt qu’a la marque de promouvoir cette 4ème option.

La distinction entre résultats payant et organique sur les SERP de Google tend à s’amoindrir au fil des années. D’abord sur fond de couleur (bleu, beige, vert, bleu ciel, violet, à nouveau beige puis beige plus clair), les résultats sont affichés depuis sur un fond blanc. Un ‘annonce’ (Ad chez les anglo-saxons) dans un rectangle orange puis vert, puis sans le cadre a rectangle a laissé la place à un ‘Annonce’ noir écrit en gras. L’intention étant clairement de favoriser les clics sur les annonces par les internautes un peu pressés, peu observateurs ou satisfaits par le résultat payant proposé.

©Search Engine Land

Contre quoi ou qui la marque se défend-elle ?

Au travers de ses campagnes publicitaires, Carglass lutte contre ses concurrents qui se positionnent sur les recherches ‘carglass’ et ‘carglass.fr’ qui représentent un volume de recherche respectivement de 165000 et 9900 recherches mensuelles.

Observons un peu l’écosystème Paid de Carglass et de ses deux concurrents ayant enchéri sur la recherche « Carglass » au moment où j’ai extrait ces données.

©Laurent HELAINE

A droite (A) Carglass et ses 442 mots en Paid (on parle de mots achetés).

©Laurent HELAINE

Ceux en rouge contiennent le mot « carglass » (on y trouve des recherches comme « carglass strasbourg », « carglass merignac » ou « carglass toulouse » etc.), les jaunes ne le contiennent pas (il s’agit de recherches comme « réparation pare brise », « changement pare brise », « assurance bris de glace » etc.)

En bas à gauche (B) un premier concurrent, en haut à gauche (C) un second.

©Laurent HELAINE
©Laurent HELAINE

En (D), (E) et (F) les mots qui sont achetés par deux des trois adversaires.

En (G) ceux qui sont achetés par les trois.

La taille des bulles est proportionnelle aux volumes de ces intentions de recherche.

On repère donc facilement en (H) l’immense bulle correspondant à « Carglass » et ses 165000 recherches /mois que se partagent les deux concurrents. Carglass a fait le choix de ne pas ‘sécuriser’ son propre nom et de laisser les deux challengers se ‘tirer la bourre’ (variante ‘cramer du budget’, on verra à quel point).

©Laurent HELAINE

De même, dans (G) on distingue la recherche « carglass.fr » et en (D) la recherche « carglass fr » avec un espace.

En (G), les trois autres recherches majeures en jaune, communes aux trois marques, sont « changer pare brise », « changement pare brise » et « fissure pare brise que faire » qui nous enseignent sur les comportements de recherche des internautes.

Les deux concurrents ont des stratégies assez différentes comme l’indiquent les couleurs :

(B) avec 176 recherches achetées déploie une stratégie très offensive et exclusive vis-à-vis de Carglass avec une majorité de recherches au format « carglass ville », certaines où l’enseigne est installée mais aussi d’autres où elle ne l’est pas.

©Laurent HELAINE

Cela parait évident car l’impact sur votre pare-brise ne se produit pas forcément dans une ville qui a un centre Carglass !

On note qu’avec 440 centres annoncés, Carglass ne semble pas couvrir l’ensemble des villes correspondantes en paid, ce qui laisserait l’exclusivité à (B) sur certaines de ces villes. On pourrait imaginer une stratégie systémique qui viserait les X villes de plus de 5000 habitants par exemple.

(B) ne cible aucun autre concurrent sauf curieusement https://breizhparebrise.fr/ à Rennes avec « breizh pare brise ».


(C) avec 168 recherches se positionne beaucoup moins sur des recherches « carglass ville » mais beaucoup plus sur des recherches ‘non-brandées’ telle que « impact pare brise », « réparation pare brise » partagées avec Carglass mais aussi « pare brise » qu’aucun des deux autres ne revendique.

©Laurent HELAINE

En terme de concurrents ciblés, (C) est moins exclusif que (B) puisque dans les gros volumes de (C) on trouve des recherches telles que « 123 pare brise » ou « rapid pare brise », « france pare brise » ou même « mondiale pare brise » (tabler sur les fautes d’orthographe ou de frappe des internautes peut faire partie d’une stratégie paid).

Et combien ça coûte d’essayer de grapiller du trafic à Carglass ?

Spoil : bien plus gros qu’une pièce de 2€.

Ce graphe parle lui-même, il donne un ordre de grandeur du budget alloué en regard du nombre de mots achetés. Et on localise aisément les deux concurrents de Carglass qui se sont positionnés sur la recherche « carglass ».

©Laurent HELAINE

C’est ce jeu de surenchères que l’entreprise souhaite éviter au travers de ses spots télévisés.

En bas à gauche, la myriade de concurrents qui font du paid mais de manière plus modérée. Certains se sont essayés, dans le passé, à acheter « carglass » mais semblent avoir abandonné.

Ce qui laisserait penser que la stratégie de l’enseigne est finalement payante.

Mais pour bien comprendre la raison de l’engagement ces budgets colossaux pour obtenir du trafic, il faut le représenter sous cette forme.

©Laurent HELAINE

Et là, on comprend aisément que pour les deux challengers (en paid) de Carglass, l’usage du paid search est une question vitale. Sans cela, ils seraient immédiatement relégués en queue de peloton (voir flèche), n’ayant pas une assiette suffisamment robuste en référencement organique.

Si Carglass est à cette place en termes de trafic, c’est bien grâce à sa stratégie de contenu, de ses efforts -certes optimisables- en référencement naturel et de sa stratégie drive-to-web au travers de ses publicités télévisées.

Dès lors, le paid est ici le parfait reflet d’une stratégie du faible au fort. Ce n’est pas toujours le cas.

Restent trois questions :

·      Qui sont les concurrents de carglass ?

·      L’enseigne déploie-t-elle les mêmes pratiques vis à vis ses concurrents ?

·      Est-il toujours bon finalement d’être une entreprise top-of-mind ?


·      Qui sont les concurrents de carglass ?

L’analyse a mis en évidence multitude d’enseignes présentes sur ce secteur extrêmement concurrentiel.

Disons que nous avons identifié la présence, dans l’environnement sémantique de carglass.fr, de sites tels que franceparebrise.fr, mondialparebrise.fr, 123parebrise.fr, glastint.com, ouiglass.com, europarebrise-plus.fr, glass-express.fr, amapiece.com, actiglass.fr, lorraineparebrise.com, dealglass.center, parebrisepro.fr, autoglassfrance.com, distriglass.fr, glassandbio.fr,mondialparebrise-sud.fr, avenirpare-brise.fr, ab-parebrise.com, universparebrise.fr, auto-glass-avignon.fr, mdg-glass.fr, comparateur-parebrise.fr, auto-glass-gard.fr, centre-pare-brise-hoenheim.fr, stwak.fr, webglass.fr, strasbourgparebrise.fr …

Dont 2 qui tentent actuellement une stratégie Paid et une demi-douzaine qui l’ont eu tenté ces derniers 24 mois, avec une diminution progressive du nombre d’acteurs.

•           L’enseigne déploie-t-elle les mêmes pratiques vis à vis ses concurrents ?

La réponse est positive apparemment. Mais elle semble cibler de tout petits concurrents. Est-ce pour annoncer la couleur et leur enlever toute velléité de venir marcher sur leurs platebandes ? Une stratégie « déni d'accès et interdiction de zone web », en quelque sorte.

•           Est-il toujours bon finalement d’être une entreprise top-of-mind ?

Et bien, curieusement, les numéros 2, 3 et 4 en termes de trafic sont à la fois plutôt pacifiques vis-à-vis de Carglass (un gentlemen’s agreement ?) et finalement peu ciblés par les petites marques. Il faut dire que leur nom est très loin d’égaler les 165000 recherches/mois du leader.

Conclusion :

Cette analyse portant sur l’usage du référencement payant dans un secteur extrêmement concurrentiel montre à merveille l’ampleur de la lutte acharnée que peuvent mener les entreprises sur le web. Leur seul but : accroître leur trafic pour ensuite convertir les internautes en clients. Parfois même, leur survie en dépend.

On aurait pu mener cette même analyse en n’étudiant que le référencement naturel qui est un terrain d’affrontements tout à fait similaires.

La difficulté pour beaucoup d’entreprises, c’est que cette confrontation n’est pas forcément visible, elle ne fait pas de bruit. Et pourtant les conséquences peuvent directement se faire ressentir en termes de chiffre d’affaires et de parts de marché. Tout au plus, pourront-elles constater (à condition de le suivre) une réduction progressive de leur trafic. Sans se demander pour autant à qui cela profite et que faire pour contrer cette tendance.

Et pour ceux qui penseraient que cela ne s’applique qu’au B2C, détrompez-vous. Avec l’avènement de l’« autonomous customer », le parcours d’achat, même sur des cycles d’achat longs, commence très en amont. Il s’agit donc d’être présent (et donc trouvable) très tôt, au moment des premières recherches sur le web.



Rémi SANTIFOLLER

Ingénieur consultant en Life Sciences

2 ans

Analyse très intéressante et vraiment instructive. Juste une question : Le tarif des mots est-il publique ? Puis-je savoir le prix actuelle pour le mot "pare-brise" par exemple et quelle entreprise le détient ?

🦏 Yoan BLANC

Manufacture Française d'OSINT / Oscar Zulu Crew

2 ans

Analyse très intéressante, merci pour ce travail. Mais au final qui est le grand gagnant de l'histoire? C'est Google, qui en permettant d'enchérir sur une marque concurrente peut faire monter les enchères et empocher plus d'argent. Et en plus ils nourrissent leur base de donnée gloutonne avec tousbles dates récoltés par analytics. Curieusement, Google interdit par contre les noms de marques concurrentes dans les textes des annonces... Bien content d'avoir viré tous les trackers et Google ads de notre site...

Simon Le Bayon, PhD

Responsable Produit - Microsoft Dynamics 365 "CRM"

2 ans

enfin des réponses à des vraies questions :) ... merci

Yann Gourvennec

Stratégie numérique, Photographie , Marketing de contenu, Auteur, Entrepreneur

2 ans

Analyse très fouillée beau travail Laurent. Me sont venues quelques réflexions. 1) Je me demande toujours comment on peut faire autant d'argent avec des pare-brises ... et surtout de la marge avec cette débauche de dépenses publicitaires. Il doit y avoir une explication. Autre réflexion connexe : il y a beaucoup de vendeurs de pare-brises ! 2) Je me demande quels sont les montants des budgets publicitaires en question et des budgets Paid en regard (en pourcentage du total publicitaire) et combien tout cela peut rapporter en regard … Je pars de l'hypothèse que c'est rentable. Mais me pose la question 3) As-tu pensé à faire une recherche sur les mots-clés organiques (non liés à la marque) ? + comparaison 4) Sur le B2B, tu as raison pour les ventes de produits standardisés (vente de masse en B2B) mais pas pour la vente complexe 5) Donner aux acteurs d'un marché la possibilité d'acheter la première position sur un moteur de recherche dominant est une pratique discutable. Le fait de l'avoir cautionnée en tant que Marketeurs l'est encore plus. Bien entendu, je comprends que tout cela doit être juteux. PS : Je n'ai pas tout compris des bulles qui semble représenter le budget peut-être ... ?

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