Les Dialogues de la Mobilité - Retour sur l'événement dédié à la mobilité des apprentis organisé par Opco EP
Plus de 160 participants, en provenance de nombreuses régions, se sont déplacés à La Rochelle mercredi 13 mars 2024, à l’initiative d’Opco EP, pour échanger sur la mobilité internationale des apprentis. Une journée marquée par de nombreux témoignages d’apprentis et d’entreprises, un partage de pratiques avec des CFA en pointe, les analyses des acteurs publics et des experts, ainsi que les nombreuses contributions et questions des participants.
Convaincu par l’utilité de l’apprentissage et la nécessité d’une ouverture à l’international, en écho avec sa propre trajectoire, Jean-François Fountaine, le maire de La Rochelle, accueille les participants, rassemblés dans la grande salle de l’Hôtel Mercure, sur le Vieux-Port. « Organiser cet événement était une évidence pour Opco EP, assure Aline Mougenot, présidente de l’opérateur de compétences : nous souhaitons favoriser un égal accès de tous les apprentis à la mobilité, nous finançons 20 % des contrats en alternance et nous sommes le gestionnaire unique des contrats transfrontaliers. »
Objectif de ces Dialogues de la Mobilité : « d’abord identifier les freins à la mobilité, notamment dans les petites entreprises, souligne Céline Schwebel, vice-présidente d’Opco EP, afin de mieux recenser les leviers de développement, car l’Opco n’est pas qu’un financeur, il se positionne aussi comme un facilitateur. »
Des ambitions fortes, un cadre réglementaire en évolution
Pour l’ancien ministre Jean Arthuis, infatigable promoteur des mobilités internationales, « il est temps de créer un espace européen de l’apprentissage propice aux mobilités, à l’instar de ce qui a été fait dans l’enseignement supérieur ». Le président d’Euro App Mobility juge indispensable de convaincre les entreprises qu’elles ont tout à y gagner : capacité à attirer, à développer les compétences linguistiques et transverses voire métiers, et à fidéliser.
L’ancien député européen salue la loi « Pour un Erasmus de l’apprentissage », qui ne règle pas tout, mais lève plusieurs freins. Adopté le 27 décembre 2023 par le Parlement, le texte « prolonge la loi de septembre 2018 qui a rendu obligatoire la désignation d’un référent mobilité au sein des CFA et prévu un financement des mobilités par les Opco », souligne Rachel Becuwe, cheffe de service adjointe au DGEFP. Et de détailler les nouvelles mesures phares : mise à disposition possible pour les mobilités de plus de 4 semaines, dispense de signature de la convention individuelle de mobilité par les partenaires étrangers dans certains cas, prise en charge des cotisations ATMP par les Opco…
Quant à la mobilité transfrontalière, angle mort de la loi de septembre 2018, elle commence à se mettre en place depuis l’ordonnance de décembre 2022, la signature d’un accord entre la France et l’Allemagne en juillet 2023, et une prochaine loi de validation dans chacun des deux pays voisins. D’autres accords bilatéraux devraient suivre.
Quels enjeux pour les entreprises, les alternants, les CFA ?
« Pour l’entreprise, le départ en mobilité d’un alternant, c’est une reconnaissance qu’elle lui propose et la possibilité de voir d’autres organisations du travail dans son métier, considère Alexandre Lacombe, maître d’apprentissage des Bouchers Régionaux en Charente-Maritime. Pour son apprenti en brevet professionnel, Baudoin Hosteing, parti deux semaines Outre-Rhin, à Oldenbourg, c’est « une découverte intéressante d’autres pratiques professionnelles mais aussi de lieux culturels ». Un avis partagé par Sabrina Brouta et Alexane Renault, tout juste diplômées de l’IGS en contrôle de gestion sociale, rémunération et avantages sociaux, et dont le séjour à Porto (Portugal) avec leur classe a constitué « une immersion ‘top’ » et l’occasion de renforcer leurs compétences en business english, cross culture et leadership.
Pour les établissements de formation, « les atouts des mobilités sont multiples, témoigne Philippe Plisson, directeur du CFA de la pharmacie de Paris : renforcer l’attractivité du cursus Deust préparateur-technicien en pharmacie, accroître les compétences des apprentis et les sensibiliser à certains enjeux métiers », comme la connaissance des plantes et maladies tropicales, au cœur d’un prochain séjour collectif au Maroc en avril 2024.
La mobilité vue par les CFA
(Source : un millier d’entretiens des conseillers Opco EP avec des CFA en 2023)
La mobilité vue par les TPE-PME
(Source : sondage OpinionWay de février 2024 pour Opco EP auprès de 300 dirigeants de TPE-PME)
Comment acculturer pleinement un CFA à la mobilité ?
Inscrire la mobilité internationale dans l’ADN d’un CFA n’implique pas seulement de multiplier les départs des apprentis, insistent les intervenants. La déléguée générale d’Euro App Mobility, Paola Bolognini, met notamment l’accent sur la professionnalisation des référents mobilité dans le cadre du projet Mona, qui a « permis de financer à 70 % une cinquantaine de postes temps plein pour les CFA concernés. Sans oublier le parcours de formation modulaire des référents, MOBLT (46 heures), sous l’égide d’Erasmus, ouvert à tous les CFA ».
« L’adhésion au projet Mona a été très structurante pour nous », analyse Hervé Huot, président du Cipecma (et par ailleurs vice-président de la CCI Charente-Maritime). L’organisme de formation a monté ses premiers partenariats, va accueillir des jeunes Espagnols et faire partir des apprentis français en BTS Support à l’action managériale en Espagne.
Historiquement impliqué dans la mobilité internationale (les premiers jumelages avec l’Allemagne ont été noués il y a 70 ans), le réseau CMA France est fortement engagé dans Euro App Mobility. « Nous plaidons pour que 100 % des apprentis aient un contact avec l’international, avec une expérimentation depuis un an de mobilités distancielles avec 4 pays, avance Philippe Perfetti, chargé de mission emploi-formation auprès de la direction générale. Nous préconisons aussi des mobilités pour les personnels du CFA comme levier d’acculturation. »
Identifier des partenaires à l’étranger, un enjeu-clé !
Illustration avec l’Urma Mayenne : 50 des 120 collaborateurs vont partir cette année en mobilité pour identifier de nouveaux partenaires ou accompagner les alternants. « Plusieurs formateurs ont proposé des projets de nouvelles mobilités et les alternants eux-mêmes sont force de proposition », indique Séverine Bouvier, directrice adjointe de l’Urma. Pour nouer de solides partenariats, « il faut multiplier les coups de fil, se rendre sur place, réfléchir à des destinations qui font sens dans les cursus », complète Vincent Chalain, référent mobilité internationale : Madagascar pour la chocolaterie, Gênes pour la fabrication de glaces artisanales ou encore le Sénégal pour la coiffure et les cheveux texturés ».
Autre levier de partenariat : les consortiums. Celui piloté par les MFR de Bourgogne-Franche-Comté accompagne ainsi des lycées professionnels et des CFA externes dans le montage des dossiers et la demande de financements auprès d’Erasmus+ France. « Un accompagnement pas-à-pas détaillé, accessible à de nouveaux entrants », précise Jean-Yves Métin, responsable du pôle éducation.
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Pour les mobilités avec l’Allemagne, les CFA peuvent solliciter ProTandem. L’agence franco-allemande subventionne des échanges franco-allemands collectifs de 2 à 3 semaines (envoi d’apprentis français et accueil d’apprentis allemands), et « propose un accompagnement sur-mesure, ajoute le délégué français, Marc Meyer : recherche d’un partenaire allemand, transport, hébergement, mise à disposition d’un interprète et d’un professeur Tandem, visites culturelles… ». Les jumelages entre villes, les instituts français et les ambassades peuvent aussi constituer de bons points d’appui à la recherche de partenaires.
Accompagner le montage du dossier et son financement
A quel moment les conseillers d’Opco EP peuvent-ils intervenir ? Dès l’élaboration du projet, pour les conseillers, puis dans le montage administratif de la demande de financement. Avec des modalités de prise en charge incitatives à partir de quelques jours en mobilité : 500 euros par alternant pour financer les missions du référent mobilité, auxquels s’ajoute un forfait par alternant selon le type de mobilité. Pour une mise à disposition de l’apprenti, le CFA percevra 500 euros par semaine, avec un plafond à 2 000 euros ; pour une mise en veille du contrat, il percevra 300 euros par semaine, avec un plafond de 3 000 euros, les mobilités ultramarines faisant l’objet de dispositions spécifiques (voir les modalités exactes).
Les participants ont posé de nombreuses questions relatives au financement dont les réponses peuvent être trouvées sur la FAQ d’Opco EP. Précision importante : ces financements sont cumulables avec ceux d’Erasmus+, lorsque la mobilité est d’au moins deux semaines. « Il y a plusieurs modalités, selon le niveau de certification visé par l’apprenti », explique Sylvain Scherpereel, du département promotion de l’agence Erasmus+ France, Education & Formation. Pour les niveaux 3 et 4 (bac et infra-bac), les CFA peuvent déposer une demande de financement pour 3 ans et pour un nombre limité de mobilités, mais ils peuvent aussi demander une accréditation pour une période de 7 ans. Pour les certifications du supérieur, ils doivent obligatoirement obtenir la charte Eche. Et ces financements peuvent être complétés par d’éventuelles aides directes des conseils régionaux aux apprentis (exemple, en Nouvelle-Aquitaine).
Bon à savoir : Dans le périmètre d’Opco EP, 7 mobilités sur 10 sont des mobilités courtes et collectives.
Des mobilités réussies au service des enjeux métiers
Spécialisée dans la restauration de documents anciens, La Reliure du Limousin, PME de 88 salariés, a créé son CFA interne en 9 mois, avec l’appui d’Opco EP, ouvrant une première promotion de 9 apprentis en septembre 2022. Un lieu de formation aux savoir-faire rares, sans équivalent en Europe. « Au printemps 2023, nous avons pu organiser une mobilité collective de deux semaines au Cap, en Afrique du Sud, pour aider le musée d’Iziko à restaurer une fresque abîmée, raconte Théophile de Bonnaventure, DG de l’entreprise et du CFA. Un levier de mobilisation, de coopération, de motivation pour les alternants. Nous avons pu en embaucher sept à l’issue de leur CAP Arts de la reliure. » D’autres mobilités sont prévues dans cette PME résolument tournée vers l’international.
Brigitte Sicard, dirigeante de deux salons de coiffure dans l’agglomération de Tours, vante elle aussi les bienfaits de la mobilité des apprentis : « mes deux alternantes, qui sont parties à Rome et à Bruxelles au cours d’un séjour collectif avec leur classe, se sont investies dans la préparation du séjour, ont découvert d’autres pratiques, et peuvent aussi partager ces expériences avec la clientèle, qui y est très sensible ». Également dirigeante d’un CFA de la coiffure, elle souhaite proposer au moins un voyage à chaque apprenti durant son cursus.
Les freins à lever, les leviers à mobiliser
Camille Godineau, 18 ans, et Clémence Bourasseau, 17,5 ans et demi, suivent une mention complémentaire pâtisserie, glacerie, chocolaterie, confiserie à la MFR Saint-Michel Mont-Mercure. La première est partie à Oslo (Norvège) pendant 3 semaines, un voyage sans accompagnateur mais préparé avec un formateur connaissant le pays. Au programme, fabrication de macarons chez un patron français et visites culturelles. La seconde a effectué sa mobilité à Stockholm (Suède), découvrant des spécialités régionales et une autre organisation du travail.
Pour que ces mobilités se passent au mieux, « il faut les évoquer dès les journées portes ouvertes et au cours de réunions avec les familles, qui ont besoin, tout comme les jeunes, d’être rassurées, explique Christelle Massé, responsable mobilité européenne à la MFR. Les enjeux européens sont abordés dans les cours d’enseignement général, ainsi que le vocabulaire utile relatif au séjour et au métier, on implique les apprentis dans l’organisation du séjour et la réservation de leurs billets. Les apprentis sont logés et nourris gratuitement, afin qu’ils n’aient pas de reste à charge, à l’exception des loisirs personnels et des cadeaux souvenirs. » Pour les mobilités en Allemagne, l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) propose un outil en accès libre sur son site : la plateforme parkur, pour améliorer ses compétences linguistiques.
« Il faut aussi convaincre les entreprises, notamment les plus petites, parfois réticentes à laisser partir un apprenti plusieurs semaines », complète Rafael Ferreira, directeur du CFA CMA Charente-Maritime : la mobilité est un levier de responsabilisation et de maturité, une réponse à la recherche de savoir-être côté employeurs ».
Comment identifier et valoriser les acquis de la mobilité ?
Pour identifier les apports des mobilités, les CFA peuvent remettre à l’apprenti un livret à remplir durant son séjour et/ou lui demander de produire une synthèse écrite (rapport d’étonnement sur les plans culturel, linguistique et professionnel). Certains organismes proposent des outils spécifiques, tels que le guide des cinq compétences transversales AKI-App ou un jeu de cartes pédagogique à destination des CFA, envoyé par l’OFAJ sur demande.
« On peut aussi réfléchir à des micro-certifications liées aux métiers, des niches de compétences, inscrites ou non au Répertoire spécifique », suggère Jean-Philippe Audrain, président de la Fnadir, qui organise ses journées nationales d’information et d’échange cette année à Bruxelles, les 6 et 7 juin, sur le thème de la mobilité internationale des apprentis.
La valorisation de ces acquis de l’expérience internationale peut prendre de multiples formes : prise en compte dans le relevé de notes du CFA, remise d’un Europass mobilité, acquisition d’unités facultatives de mobilité pour certaines certifications (notation par l’entreprise d’accueil et par le CFA français) voire validation de modules à l’étranger dans le cas de mobilités plus longues. C’est le cas du CFA Espi (immobilier), qui permet aux apprentis d’acquérir « jusqu’à un semestre de crédits ECTS à l’étranger, notamment au Québec », relève Cyril Garaud, responsable des relations internationales.
Les aspirations à la mobilité peuvent également se concrétiser après l’obtention du diplôme : ainsi, un certain nombre d’apprentis peuvent s’inscrire à France Travail et faire une demande de financement Erasmus+ en tant que stagiaire de la formation professionnelle. « Dans un marché du travail de plus en plus européen, nous accompagnons les demandeurs d’emploi dans la recherche d’un emploi dans un autre pays en nous appuyant sur le portail européen Eures », indique Florence Dumontier, directrice Europe et relations internationales de l’opérateur public.
Par ailleurs, France Travail « propose des outils sur emploi-store.fr pour estimer son niveau d’anglais, réaliser des Mooc ou encore se tester en entretien virtuel », ajoute Hervé Jouanneau, directeur du développement des compétences dans les territoires. « Et finance plusieurs milliers de formations de langues, tout comme les conseils régionaux, ou abonde le CPF des bénéficiaires ».
Des pistes d’action pour booster la mobilité des apprentis
Pour rendre les mobilités plus naturelles, l’université de la Rochelle est partie prenante du projet EU-Conexus depuis 2019. Son président, Jean-Marc Ogier, qui coordonne ce projet d’étroite coopération avec huit universités européennes dans des régions littorales, souhaite établir des cartes de compétences pour aboutir, à terme, à des diplômes européens. Il favorise le job shadowing pour tous les personnels universitaires, des séjours où les professionnels échangent avec leurs homologues étrangers sur leurs pratiques professionnelles. Avec l’ambition de développer à terme beaucoup plus fortement les mobilités en apprentissage.
« Au plan national, le développement des mobilités exige un travail sur la qualité des données, assure Rachel Becuwe, cheffe de service adjointe au DGEFP, ce qui devrait passer par la création d’un groupe de réflexion dédié ». Car les dernières données disponibles sur les mobilités des apprentis français remontent à 2018-2019 et sont sujettes à caution. Deuxième axe : la poursuite des travaux de simplification, avec les concertations en cours sur la mise en œuvre de la dérogation de signature de la convention de mobilité dans certains cas et sur les modalités de prise en charge par les Opco des cotisations employeurs ATMP. Sans oublier les discussions avec les 11 Opco sur l’éventuelle convergence de leurs prises en charge des frais de mobilité.
« Nous avons en fait besoin d’un processus de Bologne pour l’apprentissage en Europe sur les niveaux bac et infrabac, plaide Arnaud Muret, directeur général d’Opco EP. Nous souhaitons être volontariste et force de propositions pour parvenir à systématiser les mobilités des apprentis. Nous avons par exemple entamé des échanges avec le CFA CMA Charente-Maritime pour l’aider à faire partir en mobilité, à terme, un apprenti sur deux. Enfin, Opco EP doit continuer à informer, sensibiliser et recenser les pratiques et outils existants pour donner plus de lisibilité aux acteurs : nous allons donc produire un Livre blanc pour capitaliser à partir de cet événement du 13 mars 2024, qui a tenu toutes ses promesses. »
Responsable coordination administrative
9 moisBéatrice Gaudnik-Magassa