Les entrevues en confinement #3 : Privel Hinkati, sportif de haut-niveau en aviron
Privel Hinkati, athlète Caennais devait participer aux Jeux Olympiques (JO) d’été de Tokyo en aviron sous les couleurs du Bénin. En octobre 2019, il avait décroché la 5e place des qualifications, de la zone Afrique à Tunis. En raison de la crise pandémique, le Comité international olympique (CIO) et le gouvernement japonais ont décidé de repousser les Jeux Olympiques du 23 juillet au 8 août 2021. Rencontre avec un sportif de haut-niveau confiné à Caen, motivé à réaliser son rêve olympique.
« Le report des Jeux Olympiques de Tokyo était inévitable », regrette Privel Hinkati, rameur franco-béninois. Celui qui représentera le Bénin dans la discipline de l’aviron aux Jeux Olympiques de Tokyo, tient à respecter son programme d’entraînement malgré le confinement, et l’avenir incertain de la compétition. Confiné à Caen (Normandie), il cherche tant bien que mal à préserver son niveau, en ramant dans le garage de sa résidence deux fois par jour. « Il faudra garder la motivation pendant quatorze mois », assure-t-il.
Né à Hérouville-Saint-Clair en 1988, ce franco-béninois, ingénieur informatique à la mairie de Caen, rythme ses journées entre le télétravail et le sport. Pendant le confinement, il aide les gens à garder la forme. A la demande du service des sports d’Hérouville-Saint-Clair, il a mis en ligne sur YouTube des séances de sport, pour tous niveaux.
La discipline de l’aviron, il l’a découverte à 14 ans, lors d’une initiation en centre-aéré. Il commence la pratique sportive à la Société nautique Caen-Calvados. « C’est très technique, il faut des années d’apprentissages pour exercer à haut-niveau et exploiter son potentiel physique. » Fan des Jeux Olympiques, il participe en tant que spectateur aux Jeux Olympiques de Pékin (2008) et de Londres (2012). C’est le déclic, il veut devenir athlète participant. Il essaye d’entrer en équipe de France, mais le niveau d’aviron est très élevé.
Un ambassadeur du sport
Grâce à sa double nationalité, il peut concourir sous les couleurs du Bénin, le pays de ses parents. Ce pays ne compte aucun rameur. Privel crée la Fédération béninoise d’aviron en 2013, ce qui lui permet de s’aligner sur les compétitions internationales (championnat, qualification aux Jeux Olympiques et participation aux Jeux Olympiques). Au-delà du défi sportif, cette aventure est aussi une performance humaine. « Je souhaitais y démocratiser la pratique de l‘aviron ». Pari réussi, la fédération compte à Cotonou cinquante jeunes licenciés.
Le rêve olympique
Dans le cadre de ses études d’ingénieur, Privel part en 2013 un an à Washington (États-Unis) et s’entraîne dans l’un des meilleurs clubs du pays. Malheureusement, il rate la qualification pour les Jeux Olympiques de Rio en août 2016. Le mauvais souvenir de Rio effacé de sa mémoire, le Caennais persévère et parfait sa technique. Il reste une dernière étape à franchir : la qualification olympique d’aviron pour la zone Afrique. Les régates se tiennent du 14 au 16 octobre 2019 sur le lac de Tunis. Au terme de la finale du skiff 2000 mètres homme, il décroche avec sa 5e place la sélection aux JO.
"Dans 90% des cas, la performance
est liée à l'argent"
L’année prochaine, il affrontera dans une épreuve individuelle les trente meilleurs mondiaux, et sera le premier rameur béninois à participer aux JO. Niveau classement, il se positionne en « milieu de tableau. Les quinze meilleurs athlètes s’entraînent toute la journée, explique-t-il. Dans 90% des cas, la performance est liée à l’argent. Si je pouvais faire comme eux, je gagnerais quelques centièmes de secondes et quelques places », ce qui lui permettrait de faire la différence, sur la ligne d’arrivée.
Une vie entre parenthèse
Le sport de haut-niveau implique des mois de sacrifices. Sa vie est guidée par des heures d’entraînements. Il a commencé il y a sept ans un programme intensif. Avant l’aube, il rejoint seul la base d’aviron de Caen où il effectue deux heures de rame par jour sur le Canal de l’Orne, entre Caen et Ouistreham. En hiver, les aptitudes mentales sont primordiales pour défier la souffrance « avec le vent, la pluie et le froid ».
Une fois par mois, le « coach » de la Société nautique Caen-Calvados vient filmer son entraînement. « J’envoie la vidéo à mon entraîneuse, elle corrige mes fautes et précise les points à perfectionner » pour progresser. Son entraîneuse, il l’a rencontrée pendant ses études d’ingénieur aux États-Unis. « Elle me suit à distance et prépare mon programme. Je suis restée avec elle, car une relation de confiance s’est nouée entre nous, et c’est essentiel à ce niveau de la compétition. » Pour être au sommet de sa forme, au moment opportun, Privel s’est entouré d’un kiné et d’un préparateur mental « pour que la tête et l’esprit soient en phase. »
Organiser et financer son projet olympique
Dans l’année de préparation des jeux, Privel aimerait se consacrer à 100% à son projet olympique. « Je dois concilier ma carrière sportive avec mon travail pour payer mes charges », concède-t-il. De novembre à mars, il a dû gérer aussi la logistique des compétitions, le stylisme des vêtements, le lancement de son site Internet, et la recherche de sponsors.
"100 000 euros de budget annuel"
Pour surmonter les difficultés matérielles et financières, Privel démarche, tel un entrepreneur, les entreprises caennaises. Le sportif a besoin de 100 000 euros par an pour s’entourer d’un entraîneur professionnel, financer des stages d’entrainements et les déplacements en compétition, ainsi que l’achat de son skiff (bateau individuel). « On m’a pris pour un fou au début ! », se souvient encore Privel. Ses victoires renforcent la crédibilité de son projet, et c’est ce qui lui importe le plus.
La décision du report des JO est lourde de conséquences. « Je n’avais pas prévu de prolonger un an de plus », précise-t-il. « L'après JO en 2021 sera pour moi l'amorce d'une autre vie. La possibilité de partager plus de temps avec mes proches ». Mais avant cela la longue bataille continue, il devra trouver de nouveaux mécènes susceptibles de l’aider une année supplémentaire, dans une période économique particulièrement compliquée.
✍️ Elise Delanoë et Nicolas Samson-Agnez