Les gentils peuvent-ils réussir comme les autres ?
A croire qu'ils sont soit rares, soit invisibles. A première vue, les gentils ne remplissent pas nos open spaces, ou plutôt ils n'avancent pas à visage découvert de peur de se faire écarter. Pourtant, le pouvoir de la gentillesse est immense, et même très utile pour atténuer les effets néfastes de notre société de plus en plus distanciée.
Pourront-ils être aussi partageurs une fois en entreprise ?
Par Florent Vairet Publié le 18 mai 2021 à 12:37
« On a toujours dit de moi que j'étais quelqu'un de gentil », reconnaît l'entrepreneur Yannick Alain. Quand il recevait le compliment (et ça lui arrivait souvent), il l'acceptait mais au fond, il n'en était pas totalement fier. Ou plutôt ne voulait pas être réduit à ce si simple adjectif. Et on le comprend. Dire à quelqu'un qu'il est gentil n'est pas toujours perçu comme une intention… gentille. Derrière le mot, on perçoit presque un demi-défaut, presque péjoratif, comme un compliment à double tranchant. La personne serait « bonne pâte » comme on dit, flexible mais presque docile, ou carrément pas très intelligente. L'ambiguïté de ce mot est telle qu'on a fini par avoir l'impression que finalement, c'est un peu nul d'être gentil. Et ce n'est pas la troupe du Splendid qui nous contredirait. Les aficionados du film « Le Père Noël est une ordure » se souviennent de la réplique : « Ecoutez, Thérèse, je n'aime pas dire du mal des gens mais effectivement elle est gentille ».
Quand le gentil n'est pas cette personne malléable à merci, c'est qu'il cache quelque chose. Que pense-t-on quand un collègue fait preuve d'une grande gentillesse. « Que va-t-il nous demander ? se questionne-t-on. Un reporting ? un café ? Vade retro, Satanas. »In fine, on arrête de croire à la gentillesse et on devient des « gentils résignés » comme les appelle Yannick Alain, dans son livre paru en février dernier « Les gentils aussi méritent de réussir ».
Pourtant, la gentillesse comporte de nombreuses vertus. Dans un article en anglais de la Harvard Business Review intitulé « Don't underestimate the power of kindness at work » (« Ne sous-estimez pas le pouvoir de la gentillesse au travail », en français), trois chercheurs écrivent, études à l'appui, que recevoir un compliment, des mots de reconnaissance et des éloges peut aider les individus à se sentir plus épanouis, à renforcer leur estime de soi, à améliorer leur autoévaluation et à déclencher des émotions positives.
D'abord, c'est quoi un gentil ?
Une fois qu'on a admis que la gentillesse est bonne pour l'humanité en général, et l'entreprise en particulier, il faut pouvoir concrètement définir un gentil. Dans son livre, l'entrepreneur caractérise ce drôle d'individu selon quatre axes principaux :
- La gratitude : le gentil n'hésite pas à remercier et à reconnaître la valeur ajoutée des autres.
- L'acceptation des différences d'autrui. Le gentil sait que chacun est différent et l'accepte dans sa singularité.
- Le gentil déborde de motivation, laquelle le pousse à l'action. « Une étape indispensable pour qui souhaite réussir et changer le monde », écrit-il.
- Le gentil cherche à faire le bien selon une éthique forte, ce qui en fait un leader inspirant.
- Le gentil n'est pas victime car il fait montre de responsabilité.
Autant de vertus qui construisent le philanthrope de l'entreprise selon Yannick Alain. Et d'ajouter : « Activer ce superpouvoir m'a apporté beaucoup de joie et de magie, cela a grandement contribué à mon bonheur et ma réussite ». Dans la foulée, il appelle à tout de suite relativiser la notion de réussite qui peut s'avérer inhibante. Il insiste sur le fait qu'elle est protéiforme. Pour vous, elle peut consister à éradiquer la faim dans le monde ou dans votre quartier, faire le plus d'argent possible ou gagner juste assez d'argent pour maximiser vos chances d'être heureux en dehors des heures de boulot. Quelle qu'en soit sa définition, pour l'auteur, une chose est sûre : être gentil devrait vous aider à réussir.
Les gentils salariés peuvent-ils vraiment dire non ?
Oh vous vous trompez, vous qui croyez être obligés de dire « oui » pour plaire à vos collègues, et surtout à votre hiérarchie. Vous courez tout droit vers une abnégation destructrice. « Si vous acceptez tout sous prétexte que c'est 'gentil' de votre part mais que vous n'êtes pas profondément aligné et d'accord avec vos choix, vous finirez immanquablement par développer du ressentiment envers vous et/ou les autres, croit savoir Yannick Alain. Dire non, ce n'est pas être 'méchant' avec les autres, mais c'est être gentil avec soi-même. Un gentil qui réussit, c'est un gentil qui sait dire non ! »
Alors pour réussir à lâcher un « non » sans craindre de braquer ses interlocuteurs, il en appelle à la méthode DESC théorisée dans les années 1970 par Gordon H. Bower et Sharon Anthony. Elle permettrait d'exprimer son désaccord tout en favorisant des échanges bienveillants et constructifs et repose sur quatre étapes :
1 - Décrire son désaccord en se reposant sur des faits objectifs.
2 - Proposer une solution pour améliorer la situation.
3 - Conclure avec du positif pour que tout le monde reparte de cette conversation avec enthousiasme.
A quoi bon être gentil avec ses collègues ?
La gentillesse donnerait plus de sens à la vie. Elle implique de se tourner vers les autres, de travailler la façon dont chacun nous perçoit. « Être gentil, c'est s'investir dans quelque chose de plus grand que nous », peut-on lire dans l'article. Les trois scientifiques établissent en effet que formuler des compliments nous rend encore plus heureux que de les recevoir. « Un compliment réfléchi et authentique nous oblige à penser à quelqu'un d'autre - son état mental, son comportement, sa personnalité, ses pensées et ses sentiments », écrivent-ils. Autant d'actes rendus difficiles par le télétravail qui entrave notre capacité d'empathie, d'attention à l'autre.
Et sans même parler des compliments, « les réunions Zoom d'aujourd'hui ont tendance à suivre des ordres du jour stricts qui ne laissent aucune place à aucun autre sujet ». Les notifications Outlook et Teams rendent les gens plus ponctuels, tout le monde arrive au même moment dans la réunion. Plus de place aux apartés amicaux qui faisaient du bien.
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Un autre effet de la gentillesse serait son effet démultiplicateur. « Donner de la gentillesse c'est en recevoir en centuple », selon Yannick Alain. Quand les gens reçoivent un acte de bonté, ils tendent à le rendre, et pas seulement à la même personne, mais possiblement à quelqu'un de nouveau. « Au sein d'une organisation, cela conduit à une culture de générosité dans une organisation », écrivent les trois auteurs dans HBR. Et le bien-être induisant la motivation, une entreprise a tout intérêt à participer à la culture de la gentillesse.
Quand on sait le rôle d'entraînement que peut avoir un dirigeant d'entreprise, lorsque ce dernier se montre bienveillant, il favorise de facto une culture de la collaboration bienveillante. Un vrai cercle vertueux.
Au fait, vente et gentillesse sont-elles compatibles ?
Le retour sur investissement est un concept très familier - en particulier - des entrepreneurs. Ils investissent du temps et de l'argent dans l'attente d'un gain qu'ils espèrent supérieur à la mise de départ. C'est le fondement du commerce. Vendre pour survivre. Pour certains, ce lien logique laisse peu de place à la bienveillance et la gentillesse qui toutes deux payent assez peu de salaires. Mais vous l'aurez deviné, Yannick Alain pense le contraire : « Ce n'est pas parce que je vends que je ne peux pas faire preuve de générosité et agir avec une intention profondément altruiste ! ». Autrement dit, commercer pour gagner sa vie tout en ayant l'intention sincère de rendre service à quelqu'un. Prêt à relever le défi ?
Florent Vairet
Consultant expérimenté en supply chain management et achats.
3 ansTout à fait d’accord la gentillesse n’est pas un aveu de faiblesse mais plutôt une vrai force pour construire avec les autres.