Les joies de la microentreprise
Les joies de la microentreprise
« Je me souviens comme si c’était hier de la joie éprouvée à l’idée de devenir mon propre patron. Enfin j’allais procéder à ma manière, travailler à mon rythme, mettre dans chaque mission ma touche personnelle, et non celle de mon supérieur. Enfin je n’aurais plus à obéir à ces ordres de la hiérarchie allant à l’encontre de mes valeurs. Enfin j’agirais en mon âme et conscience !
Vous l’aurez compris, j’étais pleine d’enthousiasme. Après vingt-cinq années de salariat, je franchissais le Rubicon.
Les premières semaines de préparation et de création de l’entreprise ont passé très vite, et je me suis rapidement rendu compte des multiples imperfections des différentes administrations françaises dont on parle si souvent. Eh bien, je dois vous avouer qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Un exemple : cinq appels, cinq interlocuteurs différents, cinq réponses différentes. Vous comprenez très vite qu’il convient de tout noter, les dates et heures des appels, les noms des interlocuteurs… Privilégiez les écrits et surtout soyez très clairs (voire simplistes) dans vos messages. Haut les cœurs, il faut passer par là, en essayant de ne pas trop s’énerver et gaspiller de l’énergie qui sera bien utile par ailleurs.
Car avoir sa propre entreprise, cela signifie ne JAMAIS s’arrêter de travailler. En toute légalité, car le droit du travail n’est pas passé par la microentreprise.
35 heures par semaine ? Ha ! ha !
Heures supplémentaires limitées ? Peuchère…
Le travail le dimanche est interdit en Alsace ? Allons donc :-).
Quant aux jours fériés… Ma foi, tout dépendra du chiffre d’affaires (où en suis-je par rapport aux objectifs ?), de la charge de travail (combien de mots me reste-t-il à traduire sur la commande pour tel client ?), des projets en cours (où en est le site internet ?), etc. Avec de la chance, oui, on arrivera peut-être à prendre quelques jours de congés....
Et pour ce qui est de tomber malade, il est grandement préférable de l’éviter, à moins d’avoir souscrit une excellente assurance privée. Toujours prudente en matière financière, j’ai préféré parier sur une santé de fer et un système immunitaire sans faille.
Tout microentrepreneur un peu sérieux et réaliste comprend très vite que l’équation est simple, il n’est guère nécessaire de se transformer en Hercule Poirot ou en Miss Marple pour le découvrir : plus tu travailles, plus tu gagnes.
Cela ne vous rappelle pas vaguement un certain discours politique ?
On aurait presque tendance à regretter le salaire qui tombe à la fin de chaque mois, de façon régulière et automatique, quelle que soit l’implication qu’on a eue (ou qu’on n’a pas eue).
L’autre grande découverte à propos de la microentreprise, c’est qu’on est très seul… tout en étant très nombreux. En effet, dès le départ, en phase de création, tout le monde met la main à la pâte :
* le chef d’entreprise se renseigne sur les dispositions légales, assiste à des réunions sur la création de microentreprises, se rend à la Chambre de commerce pour obtenir des informations, contacte l’URSSAF et son centre des impôts pour obtenir des précisions.
* la traductrice prépare CV, lettre de motivation, site internet, profil LinkedIn, organise son poste de travail, achète matériels, fournitures et logiciels indispensables à l’activité.
* la comptable effectue toutes les démarches de création, prépare tous les documents administratifs (c’est principalement elle qui s’irrite), ouvre un compte auprès de la banque.
* le commercial établit le plan d’action et le prévisionnel d’activité, répertorie les clients à cibler, et prépare la prospection. Une fois la société officiellement enregistrée et opérationnelle, il va devoir vendre les qualités de la traductrice et lui trouver des commandes.
* l’informaticien : comment vous dire... Il aurait été très utile d’avoir un informaticien dans l’équipe, malheureusement cela n’a pas été possible, il faudra se débrouiller sans… Certes, Monsieur s’est occupé de l’installation des équipements (imprimante scanner, serveur de sauvegarde, réseau wifi…). Mais en journée, Monsieur travaille. Ce sera donc la traductrice qui gérera (ou pas) tous les problèmes techniques : impressions demandées qui ne s’éditent pas, étalonnage de l’écran qui se dérègle tout seul, problèmes de récupération de documents PDF, mises à jour intempestives qui se déclenchent toujours quand il y a un travail urgent à terminer… Faites preuve de commisération envers cette brave traductrice : elle fait de son mieux dans le domaine informatique, mais qu’est-ce qu’elle rame (sans jeu de mots) !
Évidemment, le principe de la microentreprise étant de ne pas recourir à des employés, vous aurez compris que le chef d’entreprise, la traductrice, la comptable et le commercial ne sont qu’une seule et même personne : moi !
Alors quand je me réjouissais d’être mon propre chef, j’avais raison… mais en partie seulement.
La traductrice a bien vite réalisé que si une commande tombe le vendredi, et que la traduction est demandée pour le lundi suivant, le chef d’entreprise et le commercial l’accepteront sans hésiter un seul instant. Objectifs, chiffre d’affaires, monnaie sonnante et trébuchante à la fin du mois… tout le monde connaît la musique. Peu importe si la traductrice doit s’y coller le week-end pour rendre la traduction dans les délais impartis.
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Leçon n° 1 : en microentreprise aussi, le chef a toujours raison.
Et quand la traductrice se rend compte le 16 du mois que la comptable a oublié de lui verser son salaire du mois précédent, c’est juste “Bad luck” (pas de chance), mais on ne peut pas licencier la comptable. La logique est imparable : si l’on vire la comptable, on vire aussi la traductrice. Et il n’est pas question de faire appel à un comptable externe, car en microentreprise, il faudrait le payer sur ses deniers personnels. Et puis, à y regarder de plus près, la comptable a tout de même des qualités : elle édite les factures correctement et rapidement, suit les réceptions des paiements et relance les clients quand ils sont en retard. D’ailleurs, la comptable ayant géré l’argent de la société avec prudence, et versé des salaires jusqu’à présent raisonnables, il a même été proposé d’octroyer une prime de Noël. Modeste, certes, mais pour une première année d’activité, c’est chouette. Le patron a dit oui à la proposition de la comptable, et la traductrice est bien sûr ravie.
Leçon n° 2 : en microentreprise, tout le monde est logé à la même enseigne. On touche tous la même paie et si l’un des compères est licencié, tout le monde l’est, et on peut juste dire adieu à l’entreprise ! Cela aide grandement à regarder les choses sous un angle nouveau.
Vous me croirez si je vous annonce que le plus terrible dans l’équipe, c’est le patron ? Il a créé d’immenses tableaux de chiffres sur Excel, avec des formules automatiques, et les passe au crible tous les jours, évalue, compare, apprécie l’évolution. Et il arrive que le couperet tombe. Il peut y avoir plusieurs explications à un mauvais chiffre mensuel :
• les commandes réceptionnées ne sont pas suffisantes. La commerciale n’a pas été assez active ? On manque de clients réguliers ? Il va falloir repartir en prospection.
• le tarif horaire est trop bas : le commercial a accepté des commandes pas assez bien payées ? Ou la traductrice est-elle trop lente ? Ou trop perfectionniste ?
Quelle que soit la raison, la conséquence sera la même pour tout le monde : le salaire du mois ne sera pas bon. Ce qui explique pourquoi, même si les acolytes ne sont pas toujours d’accord entre eux, ils ont les mêmes intérêts et rament (eh oui, encore) dans la même direction.
Salariés du privé ou fonctionnaires, au lieu de tirer à vue sur les collègues ou la hiérarchie, méditez cette leçon n° 3 !
Sans compter que la traductrice connaît parfaitement tous les chiffres, aussi bien que la comptable et que le chef, et ne peut guère les contester. Elle a rapidement compris qu’elle doit travailler plus, plus vite, accepter davantage de commandes — en bref être plus rentable — pour que tout le monde puisse s’en sortir financièrement. Ce qui représente une sacrée entorse à ses valeurs personnelles, mais elle n’a pas vraiment d’autre choix si elle veut éviter de mettre la clé sous la porte et s’en aller chercher un autre patron.
D’où des commandes qui sont acceptées alors qu’on a largement dépassé les 35 h, et une fâcheuse tendance à travailler le week-end. Le fameux adage “Quand on aime, on ne compte pas !” est tellement véridique !
Leçon n° 4 : en microentreprise, tout le monde est solidaire parce que tout le monde connaît la situation et tout le monde comprend les tenants et les aboutissants. En entreprise, ce sont les faits et les chiffres qui comptent, pas les idéaux !
Et quand le bureau de la traductrice (installé dans un coin du salon) déborde de piles de documents le week-end, c’est la propriétaire des lieux, la décoratrice, et la femme de ménage qui s’en mêlent, se plaignent et ronchonnent.
Et dire qu’il y a des moments où j’arrive à me sentir seule dans mon nouveau job ! »
Voilà le premier bilan que je tirais quelques mois après avoir créé ma petite entreprise. Alors que je relis ces lignes quelques années plus tard, je me dis que tout lecteur un peu sensé s’imagine que gérer une microentreprise rend schizophrène.
L’expérience ne conviendra certes pas à tout le monde. Elle requiert (entre autres) détermination, persévérance, autonomie, créativité, organisation et rigueur, capacité d’adaptation, de résistance aux vents défavorables, de remise en question…
Mais elle permet d’apprendre énormément, sur soi et sur nos relations avec les autres. Celui qui saute à l’eau et crée sa microentreprise aura l’occasion d’appréhender les différents « personnages » qui l’animent, de comprendre qu’il est multiple dans son unicité, et d’aborder ses relations avec les autres sous un angle bien plus vaste et avec une indulgence accrue.
J’ai le sentiment d’être devenue « pleinement responsable » : lorsque l’on assume tous les rôles, il est impossible d’accuser le chef ou le collègue d’être la cause des échecs. À l’inverse, en cas de succès, l’on ne pourra que se féliciter !
Une microentreprise permet également de réaliser les limites inconscientes que l’on s’est posé, pour apprendre peu à peu à les dépasser. Et curieusement, on apprend aussi à l'inverse à poser des limites face à l'extérieur, à ne pas accepter une commande qui n’est pas rentable ou à négocier un meilleur tarif.
Rien n’est jamais acquis, chaque jour amène son lot de nouvelles aventures. Mais c’est vous qui choisissez la destination et la manière de vous y rendre. Et ça, franchement, c’est fabuleux !
En conclusion, je dirais que créer son entreprise est l’une des expériences les plus enrichissantes et les plus passionnantes que l’on puisse vivre. Quel que soit le résultat. Au pire, vous en ressortirez grandi et aurez acquis une sacrée expérience. Au mieux vous aurez une vie professionnelle riche, variée et stimulante.
Et vous ? Avez-vous cédé à la tentation de l’entrepreneuriat ? Si oui, en êtes-vous satisfait ou le regrettez-vous ? Si non, qu’est-ce qui vous retient ?
Directeur financier
2 ansBelle analyse et surtout belle aventure!! ..