Les leçons d'une élection
C’était ma première campagne, et je l’ai vécue avec intensité. C’était la moindre des choses. C’était ma première campagne, et je l’ai vécue aussi avec la soif de redécouvrir un territoire dans lequel j’avais le bonheur d’habiter depuis vingt. Hormis mon score un peu modeste, qui ne m’a pas permis de me hisser au second tour, je n’ai pas été déçu.
Je n’ai, en effet, été déçu ni par les rencontres, ni par les échanges, et encore moins par les débats qui ont jalonné ce parcours du combattant. Campagne éclair, dans une situation politique ultra-tendue, ce baptême du feu m’a appris pas mal de choses. Mais c’est surtout mon contact avec le terrain qui m’aura le plus influencé. La première « circo » de Loir-et-Cher est un territoire contrasté, où une agglomération « moyenne » se dresse face à une géographie rurale à la douceur bucolique.
Il n’y a presque rien de commun entre les quartiers nord de Blois, et les terroirs viticoles aux couleurs chamarrées de verts, d’ocre, et de jaune, sous le beau ciel bleu de l’été.
Non, presque rien, apparemment, entre cette micro-métropole et une étendue rurale qui sent bon la France de toujours. Pourtant, ce que j’ai vu, en parcourant, les paysages verts ou gris de notre très chère première circo, pourrait se résumer en trois mots : attentes, espérance et perplexité.
Les attentes sont nombreuses, par exemple, celle d’un nouvel élan économique qui accrocherait le potentiel du territoire à la remorque d’une économie mondialisée. Puis il y aussi les besoins d’une mobilité plus efficiente, d’une plus grande connexion avec les métropoles. Lors de ma rencontre avec le MEDEF, j’ai réalisé combien il était compliqué d’être un entrepreneur loir-et-cherien : il est en effet difficile d’appréhender le futur avec sérénité. Certes, notre territoire n’est pas un désert industriel. Il compte même quelques fleurons dans le domaine agro-alimentaire.
Mais la performance industrielle ne peut pas se résumer à quelques "poids lourds", au demeurant excellents, qui tireraient à eux seuls la richesse et l’emploi. Il faut aussi des sous-traitants, des savoir-faire, des partenaires, bref un écosystème productif et innovant. C’est de cette manière que l’on partage largement la réussite économique.
Et c’est peut-être ce qui inquiète le plus certaines PME industrielles. On s’interroge sur les opportunités nouvelles et sur notre capacité à les appréhender. « Aller plus loin » dans la réindustrialisation.
Si plus personne ne conteste la nécessité de cette stratégie, il s’agit désormais de savoir comment s’y prendre. Les nouvelles politiques renouent avec la notion d’Etat stratège. L’agenda public contient en effet un volet destiné à promouvoir la montée en puissance de nos capacités productives. Mais les subventions facilitent-elles vraiment le développement de l’innovation ? Pour le moins, on attend de l’Etat-providence les subsides qui mettraient le Loir-et-Cher à l’abri de l’obsolescence économique. Mais est-ce là la bonne solution ? Faut-il vraiment que l’Etat, ses délégataires, les collectivités « mettent au pot » pour que le tissu économique loir-et-cherien accouche d’externalités ? Ne faut-il pas plutôt alléger, moins contraindre, favoriser les initiatives économiques qui veulent s’installer sur notre territoire ?
De même, ne faudrait-il pas repenser l’aménagement au plus près du terrain, prendre en main la réalité des besoins, plutôt que de décider en haut, pour tout et pour tous, dans le secret des ministères, l’organisation de nos espaces ?
La crise du bâtiment est déjà là. Elle précède une autre crise, qui touchera l’accès au logement. Moins on construit, plus il est difficile de se loger. Et si on ne loge plus dans nos territoires, ou alors mal, on n’implantera pas non plus des industries. Car ni les ingénieurs, ni les agents de maitrise, ne pourront s’y installer. Une offre résidentielle suffisante est un prérequis au développement économique.
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Le Zéro Artificialisation Nette ( ZAN) et par extension toutes les règlementations qui pèsent sur la construction, mettent entre parenthèses les besoins du territoire et ses attentes économiques.
Eu égard à la faible densité du Loir-et-Cher ( deux fois inférieure à la moyenne nationale ), on peut comprendre que les contraintes foncières soient mal comprises. D’ailleurs, ce ne sont pas les professionnels de la construction qui vous diront le contraire. La production de logements est à son plus bas niveau. En moins de deux ans, on a réduit son volume des deux tiers.
Malgré cela, il ne faut pas lâcher l’espérance. Une espérance tenace et tranquille, une espérance qui en réalité ne quitte pas les Loir-et-Cheriens d’une semelle. Ici, on croit au potentiel du territoire. Dans les espaces ruraux, au sein des syndicats d’agriculteurs, cette espérance récuse l’antagonisme entre l’homme et la nature. On espère secrètement qu’agriculture et écologie fassent un jour bon ménage. On est vigilant, attentif à la qualité des cours d’eau. On déplore que le bio, inflation oblige, se fait plus rare dans le panier de la ménagère. On se soucie de l’impact des intrants, et on rêve aussi d’une autre façon de cultiver la terre.
Autre espérance, celle des quartiers nord de Blois. Étalé sur de longues bandes engazonnées, ce gros village de béton n’a presque pas changé depuis un demi-siècle. Fort de ses seize mille âmes, de ses marchés aux accents exotiques, et d’une population plus jeune qu’ailleurs, la « ZUP » espère à bas bruit un cadre de vie renouvelé, mais aussi un avenir pour sa jeunesse.
Et lorsque l’on discute avec ses habitants, certains d’entre eux vous confient leur perplexité à l’égard de quelques immeubles défraichis : « Comment peut-on laisser les bâtiments dans cet état, entend-on ? » Un sentiment de doute à l’égard d’une gouvernance aussi discrète qu’indolente, et finalement assez peu engagée dans la politique de la ville.
Perplexité encore que celle des salariés de l’usine Poulain qui ne se résignent pas à la fermeture de leur usine. Une incompréhension largement partagée par tous les blaisois pour qui la chocolaterie est indissociable de leur ville. Dans le cortège qui emmène les manifestants, de la préfecture vers la vielle fabrique historique, nous discutons avec les syndicalistes de la CFDT. Sous une pluie battante, ils nous expliquent la situation. Le site, qui emploie 109 personnes, va cesser sa production. Celle-ci serait transférée dans l’est de la France. Economies d’échelle, problème de productivité, ou simple Monopoly capitalistique, les explications fusent mais le mystère qui entoure la décision des actionnaires reste entier.
Enfin, c’est au bord de la Loire, au pied d’un château magnifique, que nous rencontrons la patronne d’un hôtel-restaurant qui s’apprête à rendre son tablier. Elle songe à fermer boutique. En cause les charges qui augmentent, tandis que les clients se font moins nombreux. Elle évoque les problèmes de pouvoir d’achat, les ouvriers qui venaient déjeuner dans son établissement et qui désormais troquent le plat du jour contre une gamelle préparée à la maison. Elle parle aussi de son unique employée, qu’elle devra tôt ou tard licencier. Pourtant, elle aurait bien voulu l’augmenter. Mais au vu des énormes cotisations qu’il fallait verser, cela n'en valait presque pas la peine. Le bénéfice pour l’employée était bien mince : moins d’une centaine d’euros seulement. Un problème que tous les petits patrons connaissent, je veux parler de l’écart rédhibitoire entre le brut et le net pour les salaires modestes.
Et c’est encore dans ce décor de carte postale que nous sommes interpellés avec véhémence. « Qu’avez-vous fait pour nous ? » lance le couple à qui nous tendons un tract. Colère, incompréhension, sentiment d’abandon, ils n’iront pas voter, nous disent-ils. « Cela ne sert à rien ». La discussion s’engage. Les échanges sont vifs, sans détours, et même un peu violents. On comprend que pour eux la vie est dure. L’emploi est rare, il est précaire. La réforme des retraites est mal comprise, nous leur expliquons qu’on ne peut pas faire autrement, sous peine de détruire notre pacte social. Un débat s’ensuit. Des questions pertinentes appellent des réponses un peu techniques. Pas simple d’expliquer les garanties d’équité que notre parti a fait valoir en protégeant les carrières longues. C’est sûr, c’est plus facile de convaincre quand on est démago.
Mais en dépit de cet échange tendu, je n’ai que de bons souvenirs. Il ne faudrait pas oublier les maires de nos communes rurales. Ils nous ont tous accueillis avec respect, et parfois même très chaleureusement. La France des villages est toujours là. Elle n’a pas bougé. L’air de rien, ses valeurs, ses traditions constituent de près ou de loin le socle de notre culture. La France est une nation « terrienne ». Et pour que le mot « territoire » ne soit pas un mot creux, il faut compter avec les réalités rurales. Ces réalités sont économiques, sociales, culturelles. Elles ont aussi des attentes, des espérances, des sujets de perplexité. On pense à la mobilité, bien sûr, mais on pourrait aussi évoquer l’offre de soins, les services publics et l’emploi.
Voilà à quoi sert une campagne, à prendre le pouls d’un territoire, pas seulement à convaincre les électeurs. Car c’est sur le plan des réalités concrètes et existentielles qu’une offre politique passe l’épreuve de vérité. Ce ne sont ni les slogans, ni les grandes idées qui passionnent nos concitoyens. Les attentes, les espérances, les sujets épineux et complexes forment la matière de l’action politique. Prenons-les à bras le corps sans nous payer de mots !
Président chez Croissance Patrimoine Plus
5 moisExcellent point de vue ! Ce n’était qu’une mise en bouche 😉😉à très vite