Les Lupercales, rite ancestral de purification et fertilité
Les Lupercales par Andrea Camassei (1602-1649)

Les Lupercales, rite ancestral de purification et fertilité

Chaque 15 février dans la Rome antique se jouait un rite sibyllin et envoûtant dont les origines demeurent mystérieuses. Les Lupercales semblent trouver leur justification dans plusieurs mythes, provenir de plusieurs instigateurs, invoquer plusieurs divinités et procurer plusieurs vertus. Voyage dans une festivité aussi nébuleuse que capiteuse, où purification et fécondation s’embrassent sous des odeurs de boucs et des hurlements de loups.

Faunus – ou Lupercus, petit-fils de Saturne, est le dieu des bergers et des troupeaux. Il leur assure la fertilité et les défend contre les loups, et parfois, la nuit, dans les bosquets sacrés, brise le silence par des oracles tapageurs. Au nombre de douze, les Luperques, prêtres de cette divinité favorable, sont désignés parmi les anciennes familles patriciennes de Rome des Quinctiliani et des Fabiani, auxquelles s’ajoute la famille des Julii, à partir de Jules César. A l’aube du 15 février, deux d’entre eux sont nommés par le grand prêtre officiant pour assister au sacrifice de deux boucs et d’un chien sur l’autel de la grotte du Lupercal. Les deux jeunes hommes vêtus d’un simple pagne en peau de bouc sont marqués au front par le sang de l’holocauste, après quoi ils doivent rire aux éclats.

Le couteau ensanglanté, trempé dans du lait, découpe en lanières le cuir des bêtes immolées. Les Luperques, totalement nus, éclusent du vin dans une course frénétique et euphorique autour du mont Palatin et dans la cité pour purifier la ville de leurs courroies bénies. Les femmes postées sur l’enceinte d’Urbs offrent volontiers leurs corps à la flagellation sacrée des lanières, pour la bonne cause : « elles sont persuadées que c'est un moyen sûr pour les femmes grosses d'accoucher heureusement et, pour celles qui sont stériles, d'avoir des enfants », nous explique Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres(100 ap. J.C.). 

Le soir, avant qu’un grand banquet ne vienne clore la fête, chaque jeune fille glisse dans une jarre un parchemin marqué de son nom, et chaque jeune homme tire au sort celle qui l’accompagnera pour le dîner. De cette loterie amoureuse placée sous les auspices de Junon, protectrice des femmes, du mariage et de la fécondité, bon nombre de couples vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants…

A l’évidence, le sacrifice dans la grotte symbolise la mort, l’éclat de rire des jeunes hommes annonce le retour du souffle vital, annonciateur de la renaissance de la nature, le bouc illustre l’allégorie de la fertilité. Mais le chien ? « Immolé comme une victime propre à purifier » ou « l’ennemi naturel des loups » ? Plutarque lui aussi s’interroge (ibid.).

Etrange coutume qui en trois mouvements mêle rite initiatique, sauvagerie et superstition, avec une date et un lieu chargés de sens. L’année romaine commençait en mars avec la première lune du Printemps. Févier, mois funeste, pluvieux et froid, « jours néfastes » selon Plutarque, est introduit par Numa Pompilius dans le calendrier romain et veut dire « purification », comme nous l’explique Ovide : « Februa, chez nos pères, signifiait cérémonie expiatoire. Enfin tout ce qui est expiation pour la conscience de l'homme était désigné sous ce nom chez nos ancêtres à la longue barbe. Ce mois s'appelle donc Februarius, parce que le Luperque asperge alors tous les lieux d'eau lustrale, avec des lanières de cuir, et en chasse ainsi toute souillure, ou bien parce qu'on apaise alors les mânes des morts, et que la vie recommence plus pure, une fois les jours passés des cérémonies funèbres », Les Fastes(15 ap. J.C.). Ce temps précédant les calendes de mars multiplie en effet les rites purificateurs : les Fébruales début février célèbrent la mémoire des morts, les Lupercales prolongent la purification personnelle et citoyenne, et chaque maison fait l’objet d’un grand ménage de printemps pour saluer et accueillir le renouveau de la nature.

Le point d’ancrage de cette cérémonie annuelle est la grotte du Lupercal, au pied du Mont Palatin, où la fameuse louve a allaité Romulus et Rémus. Les jumeaux fondateurs de Rome,abandonnés nourrissons dans le Tibre, ont en effet échoué sous un figuier sauvage – également appelé Caprificus, le figuier du bouc – à cet endroit précis. Romulus aurait donc crée les Lupercales pour rendre hommage à la louve nourricière qui l’a sauvé avec son frère d’une mort certaine. 

La course des Luperques dénudés pourrait trouver ses origines dans un épisode que Plutarque nous rapporte datant d’avant la fondation de Rome, où les jumeaux, ayant perdu quelques troupeaux, prièrent Faunus puis coururent nus rassembler le bétail sans être indisposés par la chaleur. 

Quant à la flagellation fécondatrice, elle remonte sans doute à l’enlèvement des Sabines qui n’ont pas assuré la prolificité nécessaire à la fondation d’une ville, et quelle ville. Romulus aurait dit : « Que m'a donc servi l'enlèvement des Sabines ? Sommes-nous plus puissants ? La guerre ! Voilà tout ce que nous avons gagné avec ces violences. Pour avoir à ce prix des épouses stériles, mieux eût valu s'en passer », Ovide (Ibid.). Selon le poète, une voix se serait élevée dans le bois sacré en réponse à l’injonction du fondateur de Rome (Faunus ?) : « Mères du Latium, qu'un bouc velu vous pénètre ». Un devin fit une interprétation plus douce de l’ordre divin et l’on comprend mieux pourquoi les romaines se prêtaient de si bonne grâce au jeu de la fustigation…

C’est aussi sur le mont Palatin que le roi Evandre, exilé d’Arcadie a fondé son royaume quelques siècles avant la fondation de Rome, qu’il avait nommé Pallantium en souvenir de sa ville natale. Ce fils d’Hermès passe pour avoir introduit en Italie l’alphabet et la religion grecs, et notamment le culte de Pan, spécialement vénéré en Arcadie.   

Qui de Romulus ou d’Evandre, dont Virgile disait rex Evandrus Romanae conditor arci* (le roi Évandre fondateur de la forteresse romaine), est-il le vrai fondateur de Rome ? L’Enéide (29-19 av. J.C.). Les Lupercales sont-elles nées à l’initiative de Romulus ou d’Evandre ? Honorent-elles Faunus ou Pan ? Les historiens ne parviennent à accorder leurs flûtes. Evandre les a très probablement introduites et Romulus enrichies…

En 494, le pape Gélase interdit définitivement le rite païen et immoral des Lupercales, et pour la faire oublier instaure la fête de la Saint Valentin de Terni, martyr du IIIe siècle, patron des amoureux, célébré le 14 février, veille des Lupercales. C’est la chute. La cérémonie antique tombe dans l’oubli, tandis que les jeunes gens, sous le regard bienveillant de Saint Valentin, tombent amoureux…

Albane de Maigret

super ambiance!je ne connais ni le maitre le tableau et le nom.Dans le style de poussin.merci Ewa pour le partage

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