Les mastodontes SWIFT, Visa et Mastercard sous la pression d’initiatives domestiques ?

Les mastodontes SWIFT, Visa et Mastercard sous la pression d’initiatives domestiques ?

Dans un contexte de guerre commerciale et où la géopolitique gagne du terrain sur l’économie mondiale, pourquoi certaines puissances étrangères ont-elles décidé de créer leur propre standard de paiement face aux géants américains Visa et Mastercard, ou leur propre réseau alternatif à SWIFT ?

L'Union Européenne à l'assaut de Visa et Mastercard

Le 2 Juillet 2020, seize grandes banques, représentant 5 pays européens (dont les françaises BNP Paribas, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, La Banque Postale, le groupe BPCE et la Société Générale) ont lancé les premiers travaux d’un nouveau schéma de paiement paneuropéen baptisé EPI (European Payment Initiative), soutenu par la Banque Centrale Européenne et la Commission européenne.

Cette initiative européenne, ciblant une phase opérationnelle en 2022, a pour objectif de créer une solution de paiement numérique unifiée, s’inscrivant dans la continuité du SEPA, utilisable partout en Europe et proposant une alternative crédible aux géants américains Visa et Mastercard. Il en va de même s’agissant du paiement mobile, oligopolisé aujourd'hui par Apple et sa solution Apple Pay mais également par d'autres géants américains de la Tech comme Google ou PayPal et par de nouveaux acteurs chinois (Alipay, Hipay et WeChat Pay) qui gagnent du terrain.

Plus concrètement pour les consommateurs et commerçants européens, ce projet vise à établir un processus pour tous types de transactions retail (carte, virement, mobile, internet, retraits d’espèces et y compris paiements en magasin). Celles-ci seront communes à toute la zone SEPA en s'appuyant sur trois points essentiels :

  •  Le paiement instantané (fondé sur le système TIPS de règlement instantané et le SEPA Instant Credit Transfer [SCT Inst].
  • Le service Request to Pay, qui permet d'envoyer une demande de paiement au débiteur.
  • Le portefeuille électronique (Wallet).

Les bénéfices escomptés de ce futur standard de paiement européen sont multiples :

  • Offrir une véritable alternative et d’accéder à de nouveaux services comme le paiement immédiat « cashless » de personne à personne via la carte bancaire.
  • Répondre aux attentes des commerçants avec la possibilité d’offrir de nouveaux services à leurs clients.
  •  S’appuyer sur les paiements instantanés.

De précédentes initiatives en la matière

Bien que plusieurs initiatives de standardisation, à l’échelle européenne, aient été menées dans le passée (EAPS, Monnet, Nexo), EPI visa à défendre la souveraineté domestique, à l’instar d’autres initiatives.

En 2014, la Banque Centrale de Russie a établi MIR (signifiant « paix et monde » en russe) pour être le système de paiement national afin de sécuriser les transactions financières suite aux défaillances techniques des deux systèmes américains ainsi que de se prémunir de sanctions américaines liées à la crise ukrainienne. MIR est accepté dans toute la Russie et dans 8 autres pays voisins et permet à ses titulaires d’effectuer des retraits d’espèces, l'achats en ligne et hors ligne ainsi que d’effectuer des paiements sans contact et par téléphone portable. Ce réseau de paiement propre à la Russie concurrence directement Visa et Mastercard en étant un remplacement local à ces services.


D'autres réseaux interbancaires menacés

EPI et MIR ne sont pas sans rappeler les initiatives russes et chinoises alternatives au réseau SWIFT.

L’avènement de ces deux systèmes, CIPS (China International Payment Service) pour la Chine et SPFS (System for Transfer of Financial Messages) pour la Russie sont motivés par différentes raisons :

  • Dans un contexte d’augmentation des tensions géopolitiques, la menace de déconnexion à SWIFT et l’extraterritorialité des sanctions américaines sont les deux principales menaces, émises par les Etats-Unis qui pèsent sur la Russie. Celles-ci l’ont conduit à créer son propre système de transferts bancaires indépendant, afin d’éviter toute forme d’exclusion au réseau SWIFT, à l’image de l’Iran. 
  • Quant à la Chine, sa première motivation est d’opérer des virements en Renminbi (RMB) alors que cette devise n’est pas pleinement convertible sur le marché des changes, plutôt que de se prémunir d’éventuelles sanctions politiques.

En quelques chiffres, 865 banques de 89 pays sont connectées à CIPS directement ou indirectement. Le système de règlement chinois attire particulièrement les pays exposés aux sanctions américaines, comme la Russie, l’Iran et la Turquie, ainsi que les pays africains qui reçoivent des projets d'infrastructure dirigés par la Chine dans le cadre de l'initiative « Nouvelle route de la soie » de Pékin. Pour SPFS, plus de 300 banques y sont connectées et jusqu'à 18% des échanges entre banques russes sont transférés par ce biais. Ces chiffres sont à remettre dans la perspective où SWIFT est utilisé par plus de 11 000 institutions financières étalées sur 200 pays.

SWIFT, Visa et Mastercard continueront de jouer un rôle prépondérant

A ce stade, il n’est pas jugé assez crédible que CIPS et SPFS soient de vrais concurrents à SWIFT, au-delà de la faible acceptation de ces réseaux et face aux solutions innovantes de SWIFT telles que SWIFT gpi. Ces réseaux devront davantage se démarquer afin d’inciter les banques, ainsi que leurs clients, à se tourner vers eux. Néanmoins, les échanges locaux, ou ceux mettant en cause des opérations qui pourraient être assujetties à des « filtrages positifs », pourraient échapper à SWIFT. La coopérative belge restera le seul réseau mondial mais ces deux alternatives pourraient donc prendre une place croissante sur ces deux régions (Russe, Chine et pays limitrophes) et pour des transactions spécifiques telles que des échanges avec des acteurs ciblés par des entités américaines ou européennes. L’argument d’indépendance de ces deux systèmes par rapport aux Etats-Unis sera-t-il suffisant pour se démarquer ?

Tandis que pour l’European Payment Initiative, il est encore trop tôt pour juger du succès de cette initiative face aux deux mastodontes américains. Il est possible que EPI ait un certain succès : le modèle économique cible permettra à tous les intervenants de s’y retrouver financièrement, les aspects fonctionnels et techniques et de capacité sont de fait couverts puisque les acteurs existants traiteront les transactions de demain (synergies des réseaux nationaux d'aujourd’hui pour en faire un réseau global demain).

Néanmoins, Visa et Mastercard continueront de jouer un rôle majeur pour les transactions en dehors de l’Europe ou celles n’incluant « qu’un interlocuteur » du paiement en Europe (par exemple un touriste américain utilisant sa carte bancaire en Europe).

Auteur : Nicolas DELTHEIL

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