LES MICRO-NOUVELLES de l'été -10- "Précaution"
Inspiré du mot de Hubert Dupuy - 1984 caractères
Comme chaque matin, Hubert prenait son thé dans un gobelet ignifugé à opercule scellé, cerclé d’un anneau de carton sommant l’utilisateur de faire attention à ne pas se laisser surprendre par la température du liquide lors de son absorption. Il était assis bonhommement sur sa chaise qui le cintrait solidement à la taille pour éviter une chute intempestive vers l’avant, pouvant entraîner quelques dommages corporels hors contrat. Posant délicatement le récipient sur ses lèvres fines et ointes d’une graisse solaire protectrice hydrofuge, il pensait doucettement à son déjeuner du midi qu’il avait programmé dans son agenda électronique. Il était serein car il ne manquerait pas d’être prévenu par de petites secousses électriques au poignet à l’heure pile à laquelle il devrait laisser de côté ses saisies comptables au bureau pour ne pas avoir de retard. La lumière du bar était douce. Elle n’était certes pas suffisante pour qu’Hubert puisse lire le prix affiché de son thé aux plantes médicinales mais il ne fallait pas que l’éclairage lui abima la rétine et que la révélation du prix élevé de sa boisson lui causa un micro-choc émotionnel qui, à exposition régulière, pouvait provoquer des traumatismes irréversibles de son cortex préfrontal. Ses gants à usage unique accrochaient l'anse de la tasse qui ne pouvait lui échapper... sauf si son radar de table tombait en panne pour ne pas lui indiquer l'approche d'un quidam qui aurait pu le bousculer au moment où il but. Ses lunettes protectrices lui assuraient des rétines intactes face à toute projection intempestive de liquide. Au poignet, son « liptip » lui indiquait 13.2 de tension pour des battements cardiaques de 68… Une ballade de Chopin achevait d’ajouter de la sérénité au tableau. Hubert fermait les yeux… ouvrait les narines et inspirait avec délice l’odeur âpre et rassurante de l’eau de javel qui transpirait du sol. Une sirène de police passait au loin. Et tout à coup, il se sentait bien… en sécurité… libre…
Directeur et co-fondateur de L'Institut Supérieur de l'Événement
6 ansC'est alors que qu'un bip familier émis par son détecteur de personne retentit. Ne pouvant réprimer un sursaut bien naturel et une inquiétude fort légitime de ne pas savoir qui viendrait interrompre la quiétude de son cocon professionnel, le voilà posant un regard craintif à la porte de son bureau bien fermée. A la vitesse d'ouverture de cette dite porte, il reconnut le grand Olivier Shetom qui, bousculant tout sur son passage, entra hilare en braillant "Hé Hubert? Tu sais ce qui se passe quand une blonde passe la frontière franco-belge?... Eh ben le QI moyen des deux pays augmente. Ha! Ha! Ha! Elle est pas belle celle-là!!". Evidemment le coup dans le dos qui accompagnait la chute de cette magnifique histoire fut fatal au café... Deux temps, trois mouvements, Olivier retira sa chemise et c'est tout torse nu qu'il entreprit d'éponger vigoureusement le café sur la table, dont le radar intégré était en plein affolement. Là dessus, il ralluma un cigare entamé la veille et se lança dans la description de sa matinée "La vache, je ne trouvais pas mon casque de scoot en me réveillant, alors je me suis dit que j'avais dû le laisser au Macumbacoucouilles hier soir. Aucune idée de comment je suis rentré! Et comme j'étais en retard au réveil, je suis parti à fond de poignée sans casque en me disant que je n'allais respecter aucune des conditions de sécurité. Me suis éclaté! Ya des crétins de cyclistes qui vont reprendre le métro, je peux te l'assurer." Inutile de vous dire combien Hubert fut abattu. D'abord pour sa table et puis aussi pour son dos. C'est que le grand Olivier Shetom, quand il tape dans le dos, il tape dans le dos. "Mais Olivier, comment peux-tu être aussi imprudent" réussit-il à lancer. Ce fût une aubaine pour notre gaillard qui après avoir jeté sa chemise à la poubelle utilisait maintenant son pantalon pour le faire tourner au dessus de ça tête en hurlant "Mais je fais ce qui me plait! Ce qui me chante! Je suis libre !!!! Tiens j'ai envie d'uriner, je vais essayer un nouvel endroit... Qu'est-ce que tu dirais si je me soulageais sur la jante d'un camion de la Croix Rouge?". Sans attendre la réponse, il disparut du bureau laissant Hubert abasourdi et salement déprimé. Par PRÉCAUTION, celui-ci refermât promptement la porte et décidât tout de go d'oublier au plus vite cette intrusion pour confortablement retrouver le tableau excel de son bonheur comptable.