Les paradoxes de l'intrapreneuriat

Les paradoxes de l'intrapreneuriat

La crise sanitaire n'a pu eu raison des programmes d'intrapreneuriat. En tout cas, si l'on en croit le premier baromètre publié tout récemment par Yumana, l'intrapreneuriat reste au coeur des démarches d'innovations, elles-mêmes indispensables à la survie des entreprises.

Ouf ! On a eu chaud ! C'est vrai qu'on revient de loin. En 2019, on a assisté à un véritable effet de mode qui s'est vu stoppé comme tout le reste par le premier confinement. Au plus fort de la crise, l'innovation a largement échappé aux directions en charge du sujet. Ensuite, les entreprises ont limité les coûts pour se recentrer sur l'opérationnel, et le chômage partiel n'a pas épargné ces fonctions (lire réinventer l'innovation pour sortir de la crise).

Maintenant que tout le monde retrouve une forme de normalité, il faut s'interroger sur les dispositifs qui vont favoriser le travail en commun et la créativité en dépit de la montée inexorable du télétravail durable. Le baromètre de l'intrapreneuriat tombe donc à point nommé pour réfléchir à ce qui fait le succès d'un programme d'intrapreneuriat.

Je vous engage évidemment à lire les 5 clés proposées par Yumana. Pour ma part, cela m'a conforté dans l'idée que l'intrapreneuriat se trouve au coeur de paradoxes qui rendent difficile l'innovation en entreprise. En voici trois :

Paradoxe 1 : le soutien du comex

C'est un grand classique, pour réussir son programme d'intrapreneuriat, il faut le soutien du comex (c'est-à-dire du comité exécutif). Ce critère arrive d'ailleurs en tête des facteurs clés de succès à 87%. Et les responsables de programme peuvent se targuer d'une belle réussite dans ce domaine : ils sont 85% à avoir un soutien total !

Pourtant, sur le podium des difficultés rencontrées dans la pratique, on trouve le manque de temps et le manque d'alignement des parties prenantes.

N'est-ce pas justement le rôle du sponsor de mobiliser l'organisation pour qu'elle alloue du temps aux intrapreneurs ? Et comment peut-on avoir un manque d'alignement si le sujet a été validé en comex ?

La réponse est simple, le soutien du comex est un soutien a priori. Dans certains cas, le sponsor va réellement s'engager, y croire et essayer de faire bouger certaines lignes. Mais dans la majorité des cas, il s'agit uniquement d'un affichage de l'ordre du discours. Et quand on touche à des priorités business, le soutien du comex s'évapore très vite.

Sans compter qu'il y a comex et comex. En effet, l'enquête montre que seulement 57% des programmes sont pilotés au niveau du groupe, ce qui veut dire que les autres sont portés par des filiales ou des business unit dont l'autonomie peut être variable et dont les marges de manoeuvre peuvent vite disparaitre en période de vaches maigres.

Ce qui m'amène au deuxième paradoxe, est-ce que l'intrapreneuriat relève de l'innovation ou du "business as usual" ?

Paradoxe 2 : l'innovation au coeur du business

L'ambition d'un programme d'intrapreneuriat est bien sûr d'avoir un impact significatif sur les activités de l'entreprise : développer de nouvelles offres, lancer de nouveaux produits. C'est d'ailleurs la première priorité selon l'enquête. Dans le même temps, 70% des programmes sont à l'initiative des directions de l'innovation qui peuvent assez vite être vues comme des empêcheurs de tourner en rond :

  • Elles ont souvent un accès direct au comex,
  • Elles bénéficient du soutien des directions ressources humaines qui voient dans l'intrapreneuriat une manière de favoriser l'engagement collaborateur et de promouvoir la marque employeur,
  • Elles détournent des salariés motivés et compétents de leurs activités courantes soit temporairement (70%), soit de manière quasi permanente sous la forme d'un détachement (30%).

Avoir un intrapreneur dans son équipe a toutes les choses de la perturber. Les managers ont donc toutes les raisons de résister, d'autant que les compensations sont en général inexistantes. On comprend que l'implication des managers soit citée comme le 2e facteur clé de succès !

Cette difficulté à faire vivre l'innovation au coeur même du business est finalement une déclinaison de l'antagonisme entre exploration et exploitation, pour lequel il n'y a pas de solution simple.

Paradoxe 3 : le ROI en incertitude

Dans la pratique, les responsables de programmes d'intrapreneuriat constatent que les bénéfices culturels et humains prennent le pas sur l'atteinte d'objectifs de transformation du business. Ce décalage peut à terme poser problème car c'est bien une vision "ROIste" qui a séduit le top management.

La culture du ROI est évidemment omniprésente en entreprise. Tous les projets sont passés au crible de cette analyse et c'est le projet qui présente le meilleur ROI qui est naturellement choisi.

Pourtant, proposer d'avoir une approche plus ROIste pour un programme d'intrapreneuriat crée plus de problèmes qu'il n'en résout car cela procède d'une double illusion :

  • "Il y a une relation directe entre un action et ses conséquences" : c'est une illusion classique du management qui incite à tout mesurer et à rechercher des solutions simples à tous types de problèmes.
  • "On peut prévoir à l'avance le potentiel d'un projet" : les travaux sur l'effectuation l'ont montré, en situation d'incertitude, on ne sait pas quel projet va décoller, notamment parce que cela dépend des rencontres et des associations (principe du patchwork fou).

Ce qui est remarquable, c'est qu'il existe de nombreux projets et initiatives qui échappent à la culture du ROI : citons par exemple la première participation des entreprises à Vivatech en 2016, le séminaire de remobilisation et de teambuilding qui vient d'être organisé ou encore le changement du nom d'une entreprise (pensez à TotalEnergies par exemple). Si ces projets ont bien lieu, c'est parce qu'ils correspondent à une conviction et non à un calcul.

Alors que faut-il faire ? Comme le dit Yves Barel dans "la quête du sens", il faut ruser avec le paradoxe. Voici quelques pistes :

Je suis impatient de lire vos commentaires et merci encore à Yumana pour ce baromètre très intéressant !

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"...solution miracle pour engager les collaborateurs..." : tout le problème est là. Si l'intrapreneuriat est un pansement sur une capacité défaillante de l'entreprise - du comex aux managers de terrain - à créer de l'engagement, sa finalité est dévoyée et son exécution repose sur des fondations molles. Aucune chance, dès lors, qu'il donne des résultats autres qu'incrémentaux.

Alain Bloch

Emeritus Prof. HEC Paris in Entrepreneurship, Co-Found. X-HEC Entrepreneur joint MSc, Hon. Chair Prof. CNAM in Marketing, Speaker & Author, Syntec Accred. Coach, Family Business Advisor, Serial Entrepreneur & Investor

3 ans
Christophe Stremez

strategy and innovation _ Industrial capital equipments

3 ans

Merci de cette synthèse. C'est et cela restera un sujet clivant en entreprise, entre les "explorateurs" et les "exploitants". Il faut des deux! Pourquoi demande t-on toujours au Comex? Et si l'on revenait à la base? Pinchot, Burgelman pronaient l'initiative personnelle, que l'on fait sortir du bois lorsque les acteurs sont engagés de manière informelle et que l'idée est validée par le marché. C'est du bottom-up! Pourquoi des programmes monstrueux alors que l'on est toujours en quête de légitimité? 1 à 2 programmes réussis permettront d'obtenir la légitimité auprès des autres BU qui reçoivent un contre-don, ce qui permet de les engager, sous la bienveillance du comex. Comment engager un manager opérationnel qui a des métriques d'exploitation? peut être en proposant une dose de critères quali sur la base du bien-être de ses collègues et de l'appétance de sa BU à l'innovation? Même si une idée n'a pas été au bout, même si quelqu'un sort d'un programme, on ne peut que célébrer les gains: on a crée du savoir pour l'organisation, aidé une personne à développer des compétences et à vivre une aventure extraordinaire, à diffuser une culture d'innovation! Comment mesurer cela dans la quête de ROI? Heureux de discuter de ces sujets.

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