Les pays du Nord ont une dette envers ceux du Sud
Des chefs d'État des pays du Nord et du Sud, des financiers, des experts du climat, des organisations de la société civile… se retrouvent à partir de jeudi, à Paris, pour trouver des voix et moyens de refonder le système financier mondial. Deux thématiques, d'une part la lutte contre la pauvreté et d'autre part le changement climatique, serviront de fil rouge pour les discussions, qui s'annoncent âpres dans un contexte de fragmentation géopolitique. Partie prenante des débats, l'ONG One, planche depuis de longs mois sur des sujets souvent techniques, comme les droits de tirage spéciaux, les fonds climats, les nouveaux financements innovants - essentiels pour rediriger l'attention vers les pays les plus vulnérables.
Qu'attendez-vous, concrètement, du sommet « pour un nouveau pacte financier mondial ? » qui s'ouvre ce jeudi à Paris, à l'initiative du président Macron ?
Depuis que le président Macron a fait l'annonce de ce sommet à Charm el-Cheikh, en novembre dernier, au moment de la COP27, nous suivons de très près, au sein de One, avec quelques autres grandes ONG, les préparatifs et le contenu. Nous voulons peser sur les conclusions qui pourraient en ressortir et faire en sorte que ce sommet soit le plus utile possible. Pour situer un peu le contexte : ce sommet intervient après que plusieurs États se soient, enfin, mis d'accord sur l'idée que, face au changement climatique, il fallait créer un fonds pour indemniser les pays vulnérables du Sud, du fait des pertes et préjudices qu'ils ont subis compte tenu des activités industrielles du Nord, responsable d'une grande majorité des émissions de gaz à effet de serre. On le voit, ces dernières années, le Sud subit de plein fouet les conséquences les plus catastrophiques du changement climatique.
Reste qu'une fois la décision actée, les réponses concrètes se faisaient attendre, notamment pour savoir comment procéder, qui allait contribuer, avec quelle clé de répartition… Emmanuel Macron a, donc, eu l'idée de réunir des décideurs au plus haut niveau politique, des chefs d'État, des dirigeants d'institutions, la société civile pour poursuivre les débats. Une personnalité a été déterminante dans la réflexion du chef de l'État français, c'est Mia Mottley, la Première ministre de la Barbade, très engagée sur les sujets climatiques et qui a sorti son pays de nombreuses difficultés. Elle est à l'origine de l'initiative de Bridgetown, qui vise à changer les règles des institutions de Bretton Woods pour financer les infrastructures adaptées au changement climatique dans les pays vulnérables. Il faut dire que près de 80 ans après la création des institutions de Bretton Woods, Fonds monétaire international et Banque mondiale, force est de constater que les règles de fonctionnement du financement international ne sont plus adaptées à la nature et à la convergence des crises qu'affronte notre monde.
Nous avons souhaité contribuer à la fois sur l'agenda du sommet et une fois celui-ci acté sur le fond des mesures : pour nous il était par exemple essentiel que soient abordées ensemble les questions parfois perçues comme rivales du changement climatique d'une part et du développement d'autre part. Il ne faudrait en effet pas croire que les enjeux de développement soient moins importants aujourd'hui alors que ces dernières années, avec le Covid, l'inflation, les dérèglements climatiques répétés, l'extrême pauvreté est à son plus haut niveau depuis 30 ans, la faim concerne de plus en plus de millions de personnes et une cinquantaine de pays sont à nouveau pris à la gorge par le poids de leur endettement.
Quelle devrait être la contribution de la société civile dans ces débats ?
Concrètement, on attend de ce sommet qu'il débouche sur de véritables financements transformateurs. Selon les estimations, les montants nécessaires pour y parvenir sont de l'ordre de 2 % du PIB mondial par an, soit 2 000 milliards de dollars. Ce sont des montants qui peuvent paraître élevés, mais il faut avoir en tête par exemple que c'est plus de 10 fois ce montant qui a été dépensé pour faire face au Covid à l'échelle du monde. La question, c'est : préfère-t-on faire les bons investissements structurants en temps utile, ou attendre les après-catastrophes pour consacrer beaucoup plus d'argent à écoper ? Regardez ce que coûtent et coûteront les dégâts causés par le phénomène climatique El Niño : plus de 3 000 milliards de dollars.
Africains, Asiatiques, Latino-américains, Européens, le cadre est assez inédit mais peut-il pour autant garantir des avancées majeures pour les pays les plus vulnérables ?
Pour nous, c'est une bonne chose que ce sommet ait lieu. Parce que c'est la première fois que vont se retrouver autour de la table, des chefs d'État du monde entier, aussi bien du Nord que du Sud, alors que généralement, dans les grandes instances internationales G7, G20, Club de Paris…, ce sont les États du Nord qui prennent les décisions et ceux du Sud qui attendent la réalisation des engagements pris (et sont souvent obligés de constater qu'il ne se passe pas grand-chose). Donc l'idée que les États du Sud puissent être associés à la discussion, c'est quelque chose de très important, parce que les réponses à nos problèmes globaux se situent aussi bien au Nord qu'au Sud. Plusieurs responsables d'institutions seront également représentés, à commencer par la Banque mondiale et son président, Ajay Banga, qui vient de prendre ses fonctions, et dont ce sera une des premières prises de parole. Nous espérons qu'il viendra, lui aussi, avec des solutions dans son escarcelle.
Et puis enfin, ce qui est important pour nous, c'est que ce sommet aboutisse, à la fois sur des décisions fortes présentées dans la déclaration finale, mais aussi sur des démarches qui pourront se poursuivre dans d'autres moments internationaux qui arrivent, comme la COP 28, le prochain G20, ou les réunions annuelles de la Banque mondiale et du FMI qui vont avoir lieu au mois d'octobre. En ce sens, ce peut être aussi un exercice d'accélération de conversation mondiale, notamment pour définir ensemble ce qu'on considère comme des biens publics mondiaux, et alimenter ainsi les instances plus formelles.
Quelles réformes peuvent être engagées sur le plan de la solidarité financière internationale afin que les pays du Sud poursuivent leur développement tout en s'attelant à répondre aux défis climatiques. Comment ne pas opposer développement et exigences climatiques ?
C'est tout l'écueil qu'il faut éviter. Je le disais : nous ne voulons pas voir mis en compétition ou en rivalité ces deux enjeux. Car les tsunamis, les inondations, feux de brousse, la fréquence des sécheresses en Afrique subsaharienne qui a été multipliée par trois depuis les années 1970, tous ces évènements ont un impact direct sur l'accès à l'alimentation, la pauvreté, la résurgence des épidémies et le développement d'un pays. En fait, les deux sont malheureusement intimement liés. Il faut donc que ce sommet soit capable d'appréhender les besoins aussi bien des pays intermédiaires que des pays les plus vulnérables. Or avec l'architecture du financement mondial actuel, nous voyons bien que les pays les plus vulnérables n'ont pas accès à un certain nombre de financements indispensables.
Le problème, c'est donc l'argent…
D'où justement la nécessité de mobiliser 2 % du PIB mondial et nous pouvons les mobiliser. Il ne s'agit pas d'aller chercher tout cet argent dans les caisses des États du Nord. Nous avons bien conscience que les budgets de nos pays ne sont pas extensibles à l'infini. Les territoires nationaux ont aussi leurs priorités. L'aide publique au développement doit évidemment demeurer parmi les priorités, mais ce n'est pas l'essentiel. On doit surtout pouvoir utiliser à meilleur escient le système financier mondial à commencer par la Banque mondiale, le FMI, les banques multilatérales de développement, qui, aujourd'hui, ont les moyens de faire beaucoup plus que ce qu'elles font. D'être plus réactives, de prendre plus de risques, quitte à revoir leur ratio de prêts sur fonds propres, de mieux cibler les pays qui ont le plus besoin de leur appui. On estime qu'avec de nouvelles règles, la Banque mondiale pourrait tripler son financement à destination des pays vulnérables et à revenu intermédiaire, pour atteindre les 1 200 milliards de dollars. Et puis ces intuitions pourraient aussi faire plus et mieux pour inciter l'investissement privé à se faire dans des pays qui en ont besoin (par exemple pour assurer leur transition énergétique) en lui apportant des garanties qui rééquilibrent la faible notation de ces États, qui le « dérisquent » en quelque sorte. C'est comme cela qu'on peut libérer de l'argent. Chez One, nous avons pour slogan « Free the funds », ça veut dire « libérez l'argent ». Car cet argent, on sait qu'il existe. Quelle meilleure utilité pourrait-il trouver que de venir offrir un espace budgétaire à des pays qui sont, en ce moment, confrontés à de si graves crises ?
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Face à ces crises, les États les plus vulnérables ne disposent plus d'espaces budgétaires et n'ont souvent plus accès aux marchés financiers car très lourdement endettés. Est-ce que vous direz que ces pays, notamment africains, sont une nouvelle fois tombés dans le piège de la dette ?
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Nous avons quelque 120 millions de personnes supplémentaires qui sont tombées dans l'extrême pauvreté. Il y a une crise alimentaire absolument majeure en ce moment même dans la Corne de l'Afrique. Beaucoup de pays se retrouvent à nouveau dans la situation dans laquelle ils étaient au début des années 2000. Oui, pris dans le piège de la dette. Il y a ceux, comme le Ghana ou la Zambie, qui sont au bord du précipice, c'est-à-dire du défaut de paiement. C'est une situation extrêmement grave, lorsqu'un pays est en défaut de paiement, ça veut dire qu'il ne peut plus emprunter sur les marchés financiers, donc globalement, il ne peut plus rien faire. Et puis il y a ceux qui sans être arrivés jusque-là sont confrontés à ce dilemme insupportable : payer les intérêts de la dette ou payer ses fonctionnaires ? En avril dernier, le Kenya a fini par sacrifier ses fonctionnaires au profit de sa dette…
Si on veut aller au bout de la réflexion sur la refonte des institutions et du financement international, les agences de notation doivent être incluses dans les discussions. Si nous ne parvenons pas à faire cela, on aura toujours l'impression d'un cercle vicieux : on l'a vu au printemps 2020, lorsque le G20 adopte les initiatives du cadre commun de restructuration des dettes des pays les plus pauvres, ceux qui ont décidé de solliciter ce cadre pour voir leurs dettes restructurées ont été sanctionnés par les agences de notation.
La Chine est fortement impliquée et sera autour de la table, quid des autres acteurs, notamment privés, quelle est votre réflexion sur ce qui devrait être leur part face à ces défis colossaux ?
Il me paraît évident qu'on ne peut plus traiter de ces sujets sans placer le secteur privé devant ses responsabilités. Quand vous avez des mesures d'allègement des dettes qui sont adoptées uniquement par des États créanciers, ça veut dire que le pays qui va en bénéficier n'aura certes plus à payer les intérêts de sa dette à ces derniers, mais il aura toujours à payer les intérêts de sa dette au secteur privé qui, lui, n'a pas fait le même effort. En d'autres termes, ce à quoi renoncent les États créanciers finit dans les poches du privé créancier…
De nombreux pays, notamment africains, regrettent que les promesses ne soient pas toujours tenues. L'exemple le plus récent concerne les droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international. Il y a deux ans, au sommet sur le financement des économies africaines de Paris, Emmanuel Macron avait promis aux pays du Sud quelque 100 milliards de dollars par an, grâce à une réallocation des DTS.
C'est un enjeu absolument majeur du sommet. Nous sommes à un moment où globalement, les pays du Sud ont fini par s'habituer à ce que les engagements pris dans ces rendez-vous ne soient pas respectés. Vous venez d'évoquer la réallocation des DTS, annoncée il y a deux ans pour un objectif de 100 milliards de dollars qui n'est toujours pas atteint. On pourrait aussi citer l'engagement pris en 2009 à Copenhague, de financer un fonds climat de 100 milliards aux pays vulnérables et qui n'est toujours pas respecté 13 ans plus tard. Si on compte les arriérés, ça fait beaucoup de retard et d'argent. Finalement, on parle de la dette des pays du Sud, mais les pays du Nord ont aussi une dette. Une de nos campagnes chez One interpelle ainsi le monde : « Qui a une dette envers qui ? » Si on ne s'acquitte pas de nos engagements, ça veut dire qu'on a une dette envers les autres. Ce sera un enjeu très important de ce sommet que de commencer par s'acquitter de ces dettes pour, d'une certaine façon, retrouver une crédibilité et pouvoir travailler ensuite plus sereinement, dans un partenariat réciproque et enfin respectueux.
Votre ONG plaide pour la mise en œuvre d'une taxe sur les transactions financières, tout le monde n'est pas convaincu, quelle est votre approche sur ce débat ?
Concrètement, en matière de « financements innovants » (c'est-à-dire de nouvelles poches dans lesquelles trouver une partie de cet argent dont nous avons besoin), il y a trois options qui ont été discutées ces derniers mois, une taxe sur les transporteurs maritimes, une taxe sur l'extraction fossile et une taxe sur les transactions financières. Chez One, c'est cette dernière qui a notre préférence et que nous avons portée dans les débats, parce que c'est celle qui pourrait rapporter le plus, jusqu'à 400 milliards de dollars par an si elle était appliquée à l'échelle du G20 et y compris sur les transactions intrajournalières et le trading à haute fréquence….
La France s'est très vite positionnée…
En effet, la France est bien avancée sur le sujet des taxes internationales. Depuis 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, une taxe sur les transactions financières dites Tobin avait été adoptée, rapidement, en à peine quelques mois. L'année dernière elle a rapporté quelque 2 milliards d'euros.
Ce qu'on voudrait, c'est que ce type de taxes soit étendu à l'échelle au moins des pays du G20, parce que clairement, les transactions boursières et financières, ont le plus bénéficié de la mondialisation, même en période de crise… Je devrais dire surtout en période de crise tant il est vrai que les crises, y compris les plus dramatiques, s'accompagnent de leur lot de spéculation. Si on étendait son adoption, les recettes qu'on en retirerait pourraient servir à financer la solidarité internationale, à lutter contre le changement climatique et pour le développement.
Parmi les financements innovants les plus prometteurs, on parle beaucoup d'une taxe sur le transport maritime, qui devrait être au cœur de la prochaine réunion de l'Organisation maritime internationale. Qu'en pensez-vous ?
Les discussions actuelles semblent plutôt se diriger vers cette solution-là, c'est une piste d'avenir, parce qu'elle a le potentiel d'être universel. Après, la question, c'est dans quelle mesure est ce que les transporteurs maritimes, avec de telles recettes, vont vraiment soutenir la solidarité internationale ? Parce qu'on pourrait aussi les imaginer, avec ces recettes, choisir de financer leur propre transition écologique. Comme souvent, le diable se cache dans les détails… et c'est peut-être ça l'un des rôles indispensables de nos ONG : venir dénicher le diable (sourire).
Cet échange est également paru dans Le Point Afrique, le 21 juin 2023.
Communication & Marketing 360°
1 ans👏🏾👏🏾
CAIO | Durabilité et décarbonation | Entrepreneur | Executive | Board Member
1 ansLes 3 options de financement innovants ne peuvent-elles pas se cumuler au lieu d'être mutuellement exclusives ? Pourquoi devoir en sélectionner une seulement ? Les débats sur les dettes passées du Nord ou du Sud permettent-elles d'ouvrir des perspectives d'avenir constructives ?
Expert in international cooperation for statistics development
1 ansOn le savait depuis des siècles