Les perles de la Vologne, trésor des ducs de Lorraine - Marie Chabrol

Les perles de la Vologne, trésor des ducs de Lorraine - Marie Chabrol

Dans la poursuite des articles autour de l'exposition "Perles et atours" actuellement présentée au sein de Pôle Bijou Galerie, Marie Chabrol, fondatrice de Legemmologue.com site internet dédié à l'actualité du secteur de la joaillerie : présentations de collections, actualité juridique du secteur, rencontres avec des créateurs et des maisons, expositions, sorties d'ouvrages spécialisés, ventes aux enchères... nous a fait l'immense plaisir de nous autoriser à publier un article qu'elle a écrit pour la revue Le Pays Lorrain, juin 2013. Le Pays Lorrain, revue régionale fondée en 1904, est depuis 1951 la revue officielle de la Société d'histoire de la Lorraine et du Musée lorrain.

Bonne lecture à tous !

Durant près de quatre siècles – de la fin du XVe siècle au XIXe siècle –, les perles d’eau douce ont contribué à la richesse et à la renommée du duché de Lorraine. Issues de moules présentes dans les rivières vosgiennes comme la Vologne, le Neuné ou le Barba, elles ont aujourd’hui totalement disparu et sont oubliées. Leur exploitation fut pourtant prospère à l’époque de la Renaissance.

Les origines des perles d’eau douce

Sans entrer dans les détails de la classification des perles, il existe deux types de perles : celles qui sont produites par des mollusques vivant dans un milieu salin – principalement les mers et les océans – et celles qui sont produites par des mollusques vivant en eau douce – lacs, rivières, étangs…

Tous les mollusques produisent des perles. C’est un mécanisme de protection contre une agression extérieure, le plus souvent un parasite de la classe des cestodes (1). Le cycle de formation de la perle dans la moule d’eau douce – ou mulette perlière – est complexe : il faut d’abord que la larve de mulette grandisse dans les branchies d’une truite fario ; qu’elle survive ensuite dans son milieu aquatique naturel et s’enfouisse pour poursuivre sa croissance ; enfin, qu’elle soit contaminée par un cestode, qui doit avoir fait son cycle dans le tube digestif d’un gardon. Afin de se protéger, la moule va sécréter du carbonate de calcium (CaCO3) sous forme d’aragonite – communément appelée nacre – et entourer le parasite afin de l’expulser de sa coquille.

Aujourd’hui, la perle fine est minoritaire sur le marché, la perle de culture a pris le dessus. Le procédé de fabrication est similaire. L’homme introduit un corps étranger dans un mollusque afin de pousser celui-ci à produire de la nacre autour. Au bout de plusieurs mois, on obtient les perles qui ornent aujourd’hui le cou des élégantes…

Les perles qui ont contribué à la renommée du duché de Lorraine proviennent principalement de trois rivières bien connues des Vosgiens : la Vologne, le Neuné et le Barba.

La Vologne naît entre le Hohneck et le col de la Schlucht. Elle prend sa source dans le jardin d’altitude du Haut-Chitelet. Le Neuné naît sur la commune de Gerbépal, dans le parc naturel régional des Ballons des Vosges, et finit par rejoindre la Vologne par sa rive droite. Le Barba naît sur le territoire de la commune du Tholy, au col de Bonnefontaine. Il rejoint la Vologne sur sa rive gauche à Docelles.

La mulette perlière, dont le nom scientifique est Margaritifera margaritifera, a été décrite par le célèbre naturaliste Carl von Linné (2) en 1758. Elle a été identifiée en France dans le bassin de la Vologne, mais aussi en Bretagne ou encore dans le Massif central. Abondante dans les rivières lorraines, l’espèce s’est raréfiée au point de presque disparaître. D’autres espèces de mulettes ont été signalées en Lorraine et dans d’autres régions françaises, comme Unio crassus (Philipsson, 1788).

Les perles de la Vologne étaient généralement d’un blanc laiteux mais pouvaient aussi être roses, violacées, grises, bleutées et même rougeâtres. Le naturaliste Jacques-Christophe Valmont de Bomare (1731-1807) écrivait, au XVIIIe siècle : « Il y en a de différentes couleurs, de blanches, de jaunâtres, de verdâtres et de noirâtres ; la couleur blanche parait leur être la plus naturelle ; elles n’ont ni le vif éclat, ni le bel orient des perles marines. » (3).

Quelques repères historiques

La présence de ces fameuses perles est attestée dès le XIIIe siècle. Selon le gemmologue Jean-Paul Poirot (4), le duc de Lorraine Ferry III aurait fait construire la maison forte de Château-sur-Perle pour surveiller la Vologne, alors parfois surnommée La Perle. Mais c’est la carte de Lorraine gravée par Martin Waldseemüller et éditée en 1513 par Jean Schoot, de Strasbourg, qui nous en livre la première mention. À côté de la Vologne figure dans un cartouche l’inscription latine « In hoc flumine reperiuntur margaritæ », qui signifie « On trouve des perles dans ce fleuve ».

Trois ans plus tard, en 1516, lorsque la duchesse Renée fait son entrée à Nancy, elle est accueillie par ces vers : «Très haute souveraine princesse / De Lorraine et de Bar duchesse / Bien soyez venue à Nancy/ (…) / Tous nos trésors vous sont ouverts / Doulceur longuement désirée / En ce bon pays de Lorraine / Où perles et mines sont trouvées / Salines et choses souveraines." (5)

Toujours au XVIe siècle, Nicolas Volcyr, connu comme étant l’historiographe et le secrétaire du duc Antoine de Lorraine, en fait une description en 1530 : « Nous adjouterons que en la rivière de Voullogne décourant entre Arches et Bruyères, venant du costé de l’ancienne Tour de Perle (ancien Château-sur-Perle, ndlr), se trouvent margarites et unions que l’on nomme perles de bonne apparence et fines… Et en y avait de la grosseur d’un pois, lesquelles selon l’advis des orfevres lapidaires et maistres ouvriers approchent les orientales. » (6)

En 1533, c’est de Symphorien Champier, médecin du duc Antoine et membre comme Nicolas Volcyr ou Martin Waldseemüller, du Gymnase vosgien (7), que nous parvient une description très complète des propriétés thérapeutiques que l’on prête, à l’époque, aux perles de Vologne et de Neuné. Champier explique dans son ouvrage Campus Elyseus Galliae que l’on trouve « en Lorraine (…) des fontaines si fertiles en pierres précieuses et en perles que la plus grande partie de la Germanie se sert de ces perles qui non seulement sont appréciées par les experts étrangers, mais sont de plus préférées aux indiennes et orientales ». Il insiste sur les vertus curatives liées à l’utilisation de ces perles « qui s’opposent à l’obscurité de la vue et à la blancheur de l’oeil, qui retiennent le flux cataménial, nettoient les dents, dessèchent les sueurs, s’attaquent aux crampes d’estomac et du cœur, purifient le sang du cœur et restent tempérées dans la chaleur et dans le froid la sécheresse et l’humidité » (8).

On sait par ailleurs que les apothicaires de Catherine de Bourbon et Marguerite de Gonzague, épouses successives d’Henri, marquis de Pont puis duc de Lorraine, préconisaient l’utilisation de poudre de perles pour la fabrication de pâtes dentifrices. Cette poudre était mélangée à du musc, de la civette et de l’ambre gris pour la parfumer.

Parmi les membres du Gymnase vosgien, Jean Herquel (9), chanoine de Saint-Dié, reprend en 1541 une chronique du XIIIe siècle écrite par Richer, moine de Senones (10). Cette chronique cite un serviteur du duc Gérard d’Alsace, qui érigea, au XIe siècle, un ermitage au bord du lac de Longemer et ajoute que la Vologne, qui prend naissance dans ce lac, fournit des perles égales à celles d’Orient en beauté et en taille.

En 1547, le médecin et naturaliste lillois François La Rue (Franciscus Rueus) décrit dans son ouvrage De gemmis aliquot « un fleuve dans les montagnes des Vosges, en Lorraine, fertile en perles qui ne sont pas très éclatantes [mais dont] on recherche parmi elles celle qui a été embellie par les colombes, lesquelles, après avoir dévoré les plus pures, les rendent (…) dans leurs excréments » (11).

À la fin du XVIe siècle, Thierry Alix, président de la Chambre des comptes de Lorraine, insiste dans sa Description des singularités du duché de Lorraine sur la présence dans la Vologne de «coquilles ressemblantes aux moules, dans plusieurs desquelles se tirent des perles de fort belle eau », et dans le Neuné de « perles comme en ladite Vologne, mais en plus grande quantité » (12).

La représentation graphique la plus importante sur ce sujet se trouve sur une planche de la Pompe funèbre de Charles III, duc de Lorraine. Ce recueil d’estampes, commandé par le pouvoir ducal à Claude de La Ruelle, maître des cérémonies du duc Henri II, illustre de façon très détaillée les cérémonies funèbres du duc Charles III en 1608. Il a été publié en 1609 à l’abbaye de Clairlieu, à Villers-lès-Nancy. Son frontispice présente toutes les richesses de la Lorraine, en 18 vignettes. L’une d’entre elles, titrée Volona (Vologne), montre une nymphe portant un collier et des bracelets de perles et tenant dans sa main droite un écheveau de rangs de perles. À ses pieds jaillit la Vologne, charriant des moules pleines de perles. La représentation est coiffée de l’inscription «Volona Margaritifera suas margaritas ostentat» : «La mulette de la Vologne offre ses perles».

Au XVIIIe siècle, dom Calmet rapporte que l’on a trouvé des perles dans l’étang Saint-Jean, près de Nancy, et à La Voivre, entre Étival-Clairefontaine et Saint-Dié. D’autres ouvrages abordent ce sujet jusqu’à la fin du XIXe siècle. Citons le naturaliste anglais Martin Lister (1638-1712) (13), qui écrit en 1699 que la quasi-totalité des perles françaises provient de Lorraine ou de la région de Sedan. Lister rapporte qu’un marchand parisien lui aurait présenté une perle d’eau douce – a priori lorraine – de 23 grains (5,6 carats), estimée à 400 livres, et lui aurait assuré avoir vu des perles pesant jusqu’à 60 grains (14,7 carats) (14). Un poids exceptionnel pour des perles fines ! L’abbé Charroyer, curé de Girecourt-sur-Durbion et érudit vosgien, possédait une collection de perles que Voltaire admira en 1754. Il semblerait qu’il se moquât et déclarât : « La perle est le cercueil d’un ver ! »

Le XIXe siècle nous apporte un document écrit par le botaniste lorrain Dominique-Alexandre Godron (1807-1880) sur l’histoire du domaine de Château-sur-Perle, intimement liée à celle des perles de la Vologne. Son travail fut publié en 1870 dans les Mémoires de l’Académie de Stanislas (15). Enfin, en 1982, Jean Paris publia un travail sous le même titre : Les Perles de Vologne et le Château-sur-Perle (16).

Surexploitées, les mulettes de la Vologne se raréfient dès le XVIIIe siècle. L’historien lorrain Nicolas-Luton Durival écrit, en 1778 : « [Leur] pêche s’en fait ordinairement en juin et juillet. Il y a soixante ans, elle était encore abondante ; mais elle l’est beaucoup moins aujourd’hui que ce n’est plus qu’un objet de curiosité. » (17). Le Figaro du 26 mars 1892 explique, dans un article sur les perles d’eau douce, qu’« elles foisonnaient jadis dans la Vologne et quelques autres rivières des Vosges, mais en ont à peu près disparu complètement » (18). Cette disparition est définitive au XXe siècle. À cela, de nombreuses raisons : la surpêche de la mulette mais aussi le développement des industries papetières et textiles en bordure de la Vologne, qui polluent ses eaux. Cette pollution provoque la raréfaction des espèces animales permettant le cycle de croissance des moules et des cestodes, les truites fario et les gardons. Plus de truites, plus de perles…

Les conditions de pêche

Dès le XVIIe siècle, la pêche des mulettes perlières est réglementée. Les comptes du receveur de Bruyères pour les années 1617, 1618 et 1619 nous apprennent que la pêche des perles revient à parts égales au duché de Lorraine, qui ne possède alors que la moitié de la Vologne, et au chapitre de Remiremont, qui possède l’autre moitié. Pour l’année 1617, il est noté que « les eaux de la Vologne, depuis le lieu où les ruisseaux des deux mers (Longemer et Gérardmer) s’assemblent jusqu’au pont de Frambémesnil, sont présentement laissées et admoniées aux habitants et communauté de Grainges pour en jouir et pescher à leurs bons points et advantages durant le temps et espace de 25 ans qui ont commencé au premier jour de janvier 1616 (…) à la redevance annuelle de 50 fr qu’ils payeront par moitié à Son Altesse et à l’église de Remiremont ». Cela confirme que le pouvoir en place ne s’octroyait pas de réserve de pêche pour les perles.

La même année, un mandement (admm – b 3795) du duc Henri II demande « aux gens des comptes d’allouer au comptable une somme égale à celle qu’il a déboursée ». Il commande de « pescher, recueillir et amasser, en la rivière de Vologne et le ruisseau de Neuné, grande quantité de coquilles qui engendrent et produisent perles et dans partie desquelles ont été trouvées environ 50 perles, aucunes desquelles sont rondes, nettes, bien lustrées et les autres en partie plates, en partie longuettes et en partie caboches, dont aucunes ne sont assez belles ».

Pour ce qui est de la valeur de ces perles, les comptes d’Antoine Verrier (admm – b 3798-3800), établis en 1618, précisent qu’une « dépense » a été faite « pour les frais de 2 pêches de coquilles ou mères-perles que le receveur a fait faire en rivière Vologne et le ruisseau Neuné et dont 22 ont été remises à Son Altesse et pour un portrait de laditte rivière et dudit ruisseau et des villages y situés, avec description de ce sujet ». Le duc de Lorraine a fait payer la somme de « trente-sept frans » pour « les fraiz de deux pesches de coquilles ou mères perles que, par mandement, il a faict faire, pendant l’esté dernier, l’une en la rivière de Vologne, de la quelle il nous a envoyé quatre vingtz trois perles, et de l’austre pesche dans le ruisseau de Neuny [Neuné, ndlr], dont nous avons eu vingt deux perles ». Ces sommes sont importantes et prouvent que les ducs de Lorraine accordaient beaucoup d’importance à cette production.

Un document étonnant, publié en 1702, Orgia alicapellana ou Festes d’Alichapelle, attribué au curé de Champs Jean-Claude Sommier, célèbre le caractère précieux des perles vosgiennes en ces quatre vers : « La Vologne, surtout, vray Gange de la Voge / Attire du Prieur et la veue et l’éloge. / Il y voit se former et les perles et l’or / Qu’on trouve dans son sein, qui brillent sur bord. » (19).

Au XVIIIe siècle, Léopold instaure des garde-perles, qui devaient veiller à la conservation des mollusques dans les ruisseaux lorrains et qui réglementaient leur prélèvement : « Il y a (…) des Officiers et Garde-perles établis pour la conservation des perles en ce ruisseau », écrit Jean-Aimar Piganiol de La Force (1673-1753) dans sa Nouvelle description de la France. « La pêche s’en faisoit autrefois exactement plusieurs fois chaque année ; mais elle est assez négligée à présent, et il n’en a été fait que deux sous le règne de Sa Majesté Polonoise : on ne sçait pourquoi. Au-reste, les Garde-perles sont au nombre de trois. » (20).

On peut citer, à titre d’exemple, Nicolas Pierron, de Fiménil, laboureur et garde-perles. Il est exempté de toutes charges et impositions, et cette exemption est renouvelée en 1734 par la duchesse régente et François III, pour Nicolas Pierron, puis pour son gendre Charles Divoux.

Les conditions de pêche des perles et les attributions des garde-perles sont décrites dans un document manuscrit de 1737, Pesche des perles dans les rivières de Vologne et Neuvey (21), écrit par un membre de la famille Doridant, qui appartenait à la noblesse locale. On y lit que « la pesche des perles a toujours appartenu (…) au souverain » et que les garde-perles sont « connoisseur pour distinguer (…) les nacres qui portent les perles ». S’ils pensent que les mulettes prélevées dans la rivière ne portent pas de perles, « ils [les] font jeter dans la rivière (…) afin d’en conserver l’espèce pour une autre fois ». Les pêches faisaient parties des « corvées » dont devaient s’acquitter « les communautés riveraines » et étaient régies par les garde-perles, lesquels étaient rémunérés « cinquante francs comme gage annuel » et en sus « journées de pesches (…) et voyages et transport des perles à Lunéville (…) à la Casette du Souverain ». La récolte est parfaitement organisée et régie par le pouvoir ducal.

Le lieu-dit de Château-sur-Perle

Château-sur-Perle est le nom d’une localité lorraine où se trouvait une maison forte féodale, édifiée par le duc Ferry III, entre Docelles et Cheniménil, sur une colline proche de la Vologne, afin de surveiller le cours d’eau et ses richesses perlières. Ce château fut longtemps dans le domaine de la famille de Lénoncourt, puis fut vendu à un curé de Docelles du nom de Parisot. Il fut acheté en 1755 par son dernier propriétaire, Philippe-Antoine Chainel (22), auteur en 1791 d’un poème dans lequel sont célébrées les Vosges et les richesses perlières de la Vologne, La Cinthyperléyade ou l’ordre de Diane.

« Sur la verdure assise à l’ombre d’un bocage,/ Vénus vit la Vologne, y voulut prendre un bain ;/ L’onde en étoit limpide et presentoit son sein./ Elle entre et, s’ébattant comme fait une anguille, / Elle enfante un fœtus couvert d’une coquille. / Par les flots emporté ce germe original / Fut fixé sur la pointe au milieu du canal./ (…) / Cependant de Vénus ayant reçu la vie,/ Au vœu de la nature l’huître étoit asservie ;/ Le long de la rivière aussi vit-on bientôt/ De sa progéniture un très nombreux dépôt./ Mais, dans l’huître en l’ouvrant, le pêcheur y rencontre / Une perle à belle eau, d’une éclatante montre ;/ Le galant bijoutier en forme des atours/ Dont la femme raffole en ville et dans les cours. »

Avec la Révolution française, Château-sur-Perle fut ruiné et l’ensemble du domaine fut vendu, le 26 fructidor de l’an III, à des cultivateurs locaux pour la somme de 415000 livres. Il n’en reste aujourd’hui que quelques ruines et la margelle du puits.

La Renaissance et la mode des perles

Abondantes aux XVIe et XVIIe siècles, les perles de la Vologne n’ont pas, pour autant, fait l’objet d’un réel commerce. Elles étaient surtout un symbole de richesse et de pouvoir pour les ducs de Lorraine et étaient aussi offertes à des ambassadeurs de passage en Lorraine. Elles ont donc naturellement trouvé une place de choix sur les bijoux et les robes des duchesses de l’époque.

Leur présence sur les coiffures des duchesses de Lorraine est suggérée par Ferdinand de Saint-Urbain : dès les XIIe et XIIIe siècles, les médailles montrent des ornements à base de perles dans les cheveux, en barrettes et en colliers. Au xive siècle, Marie de Blois, épouse du duc Raoul (1319-1346), se réserve par la loi l’usage des soieries et des perles.

En 1469, Marguerite de Lorraine, veuve de Thiébaut II de Blâmont, donne son colleret de perles à sa petite-fille. S’agit-il de perles de la Vologne ? Il est impossible de le certifier.

On trouve des traces précises de bijoux ornés de perles dans l’inventaire des ornements de la duchesse Renée de Bourbon-Montpensier (1464-1539). Le roi de France François Ier vient d’instituer, en 1530, les « Diamants de la couronne ». Le duc Antoine (1489-1544) s’inspire de cette mesure et rend les bijoux de Lorraine inaliénables. L’inventaire des bijoux de la duchesse Renée mentionne « un gros rubis balais avec une grosse perle, une croix à l’antique de diamant avec 32 perles, une émeraude avec 3 perles, une fleur de lys avec 5 diamants en tables avec 3 perles, (…) 158 perles, (…) 24 perles avec des cordelières d’or, douze peintures faites de perles ».

La mode des perles prend son essor à la Renaissance. Catherine et Marie de Médicis en étaient friandes. Cette dernière aurait porté pour le baptême de son fils une robe ornée de plus de 30000 perles, issues de mulettes perlières de toute l’Europe. Il est amplement permis de douter de la véracité de ces perles, qui peuvent n’être que de la verroterie fabriquée en Italie. La fabrication du verre à Murano est alors abondante.

En 1552, Pierre du Châtelet, sénéchal de Lorraine, dresse l’inventaire (23) des « baigues » du petit Charles III (1543-1608), quand le roi de France Henri II le retire à sa mère et l’emmène à Paris. On trouve des perles sur les jouets de l’enfant – « un petit homme armé, tout chargé de diamant où il y a 3 perles au bout » – et sur ses vêtements – « un bonnet de velours noir, accoutré de boutons de perles (…), un bonnet de velours violet où il y a des petits boutons émaillés de bleu avec des petites perles ».

En 1606, Charles III fait réaliser un inventaire de ses bijoux. Y figurent souvent des perles : « 1- un carquant d’or composé de sept chatons, enrichis chacun d’un grand diamant en table et de huit pièces, chacune à deux bien grosses perles caboches, l’un desquels sept diamants estant au milieu dudit carquant est d’assez haut bizeau… et pèse la veue de 15 carats ; 2- un autre carquant composé de sept chatons de diamants et de huit pièces, chacune à deux bien grosses perles caboches, l’un desquels sept diamants … pèse à la veue 8 carats ; 5- une compagnie de 100 grosses perles rondes partie desquelles pèsent 5 carats, partie 6, partie 7 et quelqu’une 8 carats : 12000 écus ; 6- une autre compagnie de 100 perles rondes pesant environ 4 carats la pièce : 2160 écus ; 7- une grosse perle, approchant la forme de poire, presqu’aussi grosse qu’un oeuf de pigeon : 2000 écus ; 8- une fort belle perle en poire, pesant environ 12 carats : 800 écus ; 9- une autre perle en poire pesant environ 8 carats : 500 écus ; 10- quatre autre perles en poire, presqu’aussi grosse que celle cy-dessus : 300 écus ; 11- une perle ronde de séville : 50 écus ; 12- un autre carquant enfilé et composé de 11 chatons, sur chacun une émeraude et 2 petits rubis de part et d’autre, et de 2 pièces avec 2 moyennes perles rondes : 300 écus ; 13- 6 pièces à perles, sur chacune pièce y a 8 moyennes perles rondes, de 2 carats l’une : 500 écus ; 14- 12 pièces à perles, sur chacune 6 perles rondes dont 2 sont de 3 carats et demi, et 4 de 2 carats : 700 écus ; 16- un grand collier composé de sept chatons, sur chacun une grande émeraude orientale et huit pièces à perles esmaillées de rouge sur chacune pièce 14 belles perles rondes, 6 de 3 carats, 8 de 2 carats : 2400 écus ; 18- un tourret de chaperon composé de 11 rubis et de 10 belles grosses perles rondes de 3 carats : 800 écus ; 19- une oreillette de chaperon, composée de 13 chattons d’or émaillé blanc enrichis de rubis plus 14 pièces à perles émaillées de vert, icelles perles partie plattes, partie rondes : 2000 écus ; 20- un carquant composé de sept chattons d’or émaillé de blanc, enrichi chacun de rubis et de 7 pièces émaillées de vert, sur chacune une perle ronde de 3 carats et 7 perles pendantes après lesdits chattons de rubis : 550 écus ; 21- assortiment de la tendue du lit de perles : un drap d’or frizé, avec le fond, docier, 7 pantes et 3 soubassements, le tout fait de cannetille d’or avec dentelles et frison de même, enrichies d’un gros frizon d’or où sont de grosses perles. »

Plusieurs tableaux représentent Claude de France, épouse de Charles III, portant des colliers de perles. Plus particulièrement, son portrait qui figure dans le livre d’heures de Catherine de Médicis met en valeur un collier de deux rangs de perles gris bleuté, qui pourraient être de la Vologne.

On sait par les archives et grâce aux mémoires de Durival que la duchesse Élisabeth-Charlotte d’Orléans (1676-1744), femme du duc Léopold Ier (1679-1729), possédait deux colliers et une paire de pendants d’oreilles constitués de perles de la Vologne. Elle reçoit sa première parure en 1698 lors de son arrivée à Nancy : de riches bijoux « dans la constitution desquels étaient entrées des perles du pays, à l’exclusion de toutes autres ». Plus tard, un deuxième collier de perles de la Vologne lui est confectionné par Humbert de Girecourt (24). Sa fille Anne-Charlotte, abbesse de Remiremont, aimait à porter ses joyaux, dont quelques perles, pour de grandes occasions. En 1762, Adélaïde et Victoire de France se rendent en Lorraine pour rendre visite à leur grand-père, le roi Stanislas, et font un séjour à Plombières, où, « le 1er août 1762, on remit à Mme la Comtesse de Civerac, qui accompagnait Mmes de France, Adelaïde et Victoire, plusieurs perles pêchées dans ce temps-là »(25).

Le naturaliste vosgien Michel-Ernest Puton (1806-1856) rapporte que l’impératrice Joséphine de Beauharnais, à qui la ville de Plombières-les-Bains avait offert en 1806 un collier de perles de la Vologne, fit introduire des mulettes vosgiennes dans les pièces d’eau de la Malmaison (26). Elles y moururent les unes après les autres, sans se reproduire ni former une seule perle. On ignorait qu’il fallait que la larve de mulette séjournât dans les branchies d’une truite afin de pouvoir se développer et se reproduire.

Enfin, Marie-Thérèse de France, duchesse d’Angoulême, exprima le souhait, en 1828, de posséder un bracelet en perles de la Vologne mais ne put obtenir satisfaction, car il fut impossible de rassembler suffisamment de perles pour le réaliser (27).

Que reste-t-il des perles de la Vologne ?

Aujourd’hui, les perles de la Vologne sont tombées dans l’oubli, mais il reste des lieux qui leur doivent leur nom, comme le sentier écologique des perles de la Vologne, à proximité de Gérardmer, et le lieu-dit de Château-sur-Perle, sur le territoire de la commune de Cheniménil.

Nous avons pu examiner des perles de la Vologne conservées au Muséum-Aquarium de Nancy. Elles auraient été offertes par la famille Puton, de Remiremont, lors de la création de l’Institut de géologie appliquée de Nancy par René Nicklès. Il s’agit d’un lot de 186 perles de 0,5 à un peu plus de 5 mm de diamètre, de forme baroque et dont les teintes vont du blanc au gris et du bleu au violet. Ce ne sont pas des perles d’une belle qualité, mais elles correspondent bien aux différentes descriptions historiques, y compris de celles qui étaient portées à la Cour de Lorraine.

Sur un plan biologique, les mulettes perlières ont aujourd’hui quasiment disparu des rivières lorraines. Margaritifera margaritifera est inscrite à l’annexe III de la convention de Berne de 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, et inscrite auprès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) parmi les espèces menacées d’extinction. En France, elle est protégée par l’arrêté du 23 avril 2007 fixant les listes des mollusques protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection. Le réseau Natura 2000 déplore un mauvais état de conservation de l’espèce. Aussi la mulette perlière est-elle aujourd’hui très surveillée et protégée, notamment dans le cadre d’un plan national d’action depuis 2012.

En Lorraine, lors d’un comptage de l’espèce réalisé, en 2007, à la demande du Conservatoire des Sites lorrains, Marie Burgunder, alors en BTS d’écologie et développement durable, n’a comptabilisé que trois mulettes dans le Neuné sur un parcours de quinze kilomètres.

Plus que jamais, la mulette perlière mérite toute notre attention. Il reste à espérer que les différents plans de conservation permettront de la revoir prospérer dans nos rivières… voire une renaissance des perles de la Vologne !

 

Remerciements

Ce travail n’aurait pas pu être réalisé sans l’aide de la Mission Renaissance Nancy 2013 et du Pays Lorrain qui m’ont fait confiance dans la préparation de cet article. Il me faut aussi remercier le Museum-Aquarium de Nancy pour son accueil et les contributeurs privés pour leur aide. Enfin, je tiens à remercier tout spécialement E.M. pour sa relecture patiente et ses conseils pertinents.

 1. Les cestodes sont des vers plats parasites. Leur cycle de reproduction complexe les amène à transiter par le tube digestif de différents hôtes. 2. Carl von Linné (1707-1778) est un naturaliste suédois connu comme le père de la taxinomie moderne. 3. Jacques-Christophe Valmont de Bomare, Dictionnaire raisonné universel d’histoire naturelle, Lyon, 1791, vol. 9, page 164. 4. Le Lorrain Jean-Paul Poirot, ingénieur de l’École nationale supérieure de géologie, a exercé l’essentiel de sa carrière au laboratoire gemmologique de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. Membre de la commission d’examen de la Fédération européenne pour l’enseignement de la gemmologie, il fait partie des rares spécialistes en gemmologie reconnus dans le monde entier. 5. Vers rapportés par dom Calmet, dans Histoire ecclésiastique et civile de Lorraine, Nancy, 1728, vol. 3, pages 121-122. 6. Nicolas Volcyr, Chronique abrégée par petits vers huytains des empereurs, roys et ducz d’Austrasie, avec le quinternier et singularitez du parc d’honneur, Paris, 1530. 7. Le Gymnase vosgien (Gymnasium vosagense) était une association culturelle et scientifique créée vers 1500 à Saint-Dié-des-Vosges. 8. Symphorien Champier, Campus Elyseus Galliae, Lyon, 1533 9. Jean Herquel, dit Herculanus, chanoine de Saint-Dié, historien du duc Antoine 10. Richer, parfois nommé Richer de Senones ou Richer le Lorrain, moine de l’abbaye de Senones. On suppose qu’il est né vers 1190 et mort en 1266. 11. François La Rue, De gemmis aliquot, Paris, 1547, page 125. 12. Thierry Alix, Dénombrement du duché de Lorraine en 1594, publié par Henri Lepage, 1870, page 125. 13. Marin Lister, A Journey to Paris in the year 1698, Londres, 1699, page 143. 14. Le grain est une ancienne unité de mesure de masse (1 grain = 0,049g). Il est aujourd’hui remplacé par le carat (0,20g). 15. Dominique-Alexandre Godron, « Les perles de la Vologne et le Château-sur-Perle », Mémoires de l’Académie de Stanislas, 1869, Nancy, 1870, pages 10-30. 16. L’ouvrage de Jean Paris a été édité à compte d’auteur, par l’imprimerie-librairie Mordacq, Aire-sur-la-Lys, 1982. 17. Nicolas-Luton Durival, Description de la Lorraine et du Barrois, vol. 1, Nancy, 1778, page 280. 18. Le Figaro, supplément littéraire du dimanche, 26 mars 1892, page 53 19. Cité dans Lionel Bonnemère, Les mollusques des eaux douces de la France et leurs perles, Paris, 1901, page 116. 20. Jean-Aimar Piganiol de la Force, Nouvelle description de la France, 3e édition, vol. 13, Paris, 1754, page 370. 21. Dans « Documents sur le commerce, en particulier sur le commerce français, au XVIIIe siècle. II. 1595-1738 », Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits, Lorraine 457. 22. Philippe-Antoine Chainel, seigneur de Cheniménil, appartient à une famille de noblesse locale, listée dans les archives de Bruyères. 23. Recueil d’inventaires des ducs de Lorraine, Recueil de documents sur l’histoire de la Lorraine, Nancy, chez Wiener, 1891. 24. Jean-François Humbert (1663-1754), comte de Girecourt, servit pendant longtemps le duché de Lorraine. Seigneur de Bruyères, il utilisa ses droits de pêche pour la réalisation de ce colllier. Voir Jean-François Michel, « Humbert de Girecourt, fondateur de l’hôpital de Bruyères », in Bruyères, entre montagne et plateau lorrain, Actes des Journées d’études vosgiennes, Bruyères, 28-30 octobre 2005, Épinal, 2006, pages 145-154. 25. Nicolas-Luton Durival, Description de la Lorraine et du Barrois, vol. 1, Nancy, 1778, page 280. 26. Michel-Ernest Puton, Mollusques terrestres et fluviatiles des Vosges, Épinal, 1847. Voir aussi George Frederick Kunz et Charles Hugh Stevenson, The book of the pearl, New York, 1908, page 170. 27. Henri Lepage et Charles Charton, Le département des Vosges : statistique historique et administrative, vol. 1, Nancy, 1845, page 546.


VALERIE PONCHAUX

Expert auprès des assurances certifiée EEA vol et objets précieux SARETEC Expert près la Cour d’Appel de Rennes Membre titulaire de la Chambre des Experts HBJOPP Expertise de bijoux Élue titulaire CSE Saretec

7 ans

Absolument passionnant comme tous vos articles Marie Chabrol !

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