Les pouvoirs de l’émotion, l’économie, le design et l’éthique.

Les pouvoirs de l’émotion, l’économie, le design et l’éthique.

Les 14 et 15 septembre derniers se tenait au centre Pompidou un événement captivant sur Les pouvoirs de l’émotion, captivant par la protéiformité des interventions et la qualité de celles-ci.

Forcément, nous designers, qui avons croisé la route du livre de Donald Norman Emotional Design : Why We Love — or Hate — Everyday Things (2004), sommes magnétisés par ce type de sujet. Il fait parti du registre des sciences cognitives et à ce titre il nous aide à mieux comprendre les personnes pour lesquelles nous allons concevoir des produits ou des services.

Cet événement a manifestement été pensé avec une approche centrée sur l’humain, avec pour objectif de nous engager, de nous faire réfléchir et aussi de nous faire ressentir qui nous sommes, ce que nous sommes. Les conférenciers nous ont proposé des plénières avec des experts du sujet de l’émotion (neurologues, psychologues, philosophes, etc.). Ils nous ont fait danser, écouter des concerts, assister à une pièce de théâtre, à une chorégraphie entre un robot et une petite fille de 12 ans. Ils nous ont parfois aussi mis mal à l’aise et nous ont permis d’assister à de petits “dérapages” émotionnels :)

Mais de quoi parle-t-on quand on parle d’émotions ?

Je reprendrai ici les mots de Cynthia Fleury et d’Antonio Damasio qui a chahuté un champ complet d’étude en redonnant sa place aux émotions dans le processus décisionnel face à la rationalité.

L’émotion est ce qui nous met en mouvement — c’est d’ailleurs son origine étymologique (dérivé de émouvoir, emprunté au latin motio « action de mouvoir, mouvement, trouble»). C’est ce qui nous invite à agir ou à ne pas agir.

C’est un outil d’analyse extrêmement rapide capable d’évaluer une situation, c’est donc déjà de l’intelligence qui me permet d’évaluer la pertinence d’une situation.

Antonio Damasio décrit les émotions comme un vote ultra-rapide et perfectionné — qui accède à des parties reculées du cerveau, pour donner un “GO” ou un “NO GO” face à une situation. Ensuite, nous sommes libres de suivre ce vote en enclenchant le processus de rationalisation, pour peu que nous disposions de notre libre arbitre.

L’émotion est une boussole d’orientation, qui nous fait dire «je le sens, je ne le sens pas».

Se priver de ce vote instinctif, au détriment de la pure rationalité peut nous être dommageable. L’utiliser peut nous permettre de nous sublimer ; les émotions sont la matière à sublimer. Les marchés l’ont d’ailleurs bien compris, nous y reviendrons plus tard.

Les émotions ne sont pas l’apanage du cerveau ou du système nerveux, elles sont au centre d’un écosystème organique et chimique complexe présent et visible dans l’ensemble du corps. Elles sont un programme d’actions (contractions musculaires, afflux sanguins, émissions de molécules biochimiques, etc.), une séquences intégrées de mouvements observables, comme une partition de musique. A ce titre, elles sont publiques. Car il est possible de les diagnostiquer et donc de déduire l’émotion à laquelle on fait face : joie, tristesse, peur, colère, dégoût, surprise.

A contrario, les sentiments sont des expériences mentales privées. Ils sont plus complexes et ne peuvent être réellement connus que si la personne accepte de nous les livrer. Suite à l’émotion, se mettent en route les processus d’accès aux cartographies mentales d’idées, de principes, de souvenirs, etc. qui participent activement à la formation du sentiment.

Pour l’heure, nos sentiments restent sains et saufs, dans la mesure où l’on garde notre libre arbitre de les révéler, mais les émotions sont en quelques sorte publiques et donc collectables, de manière individuelle ou collective.

Les émotions, nouvelle opportunité commerciale ?

La collecte des émotions a d’ors et déjà commencé, comme nous l’a illustré Anne-Marie Gauthier de Datakalab. Les personnes de cette société ont été capables, à notre insu, de déterminer à quelle moment la salle a été le plus engagée lors d’une intervention, quelles punchlines ont été les plus engageantes.

Elle nous a parlé des applications dans le domaine de l’éducation, par exemple détecter le désengagement d’un élève ou d’une classe. Je perçois les avantages que cela pourrait procurer, néanmoins cela me met également mal à l’aise pour nos enfants. En tant que créatifs nous savons l’importance de se désengager et de parfois laisser divaguer notre esprit pour lancer la genèse des idées — qualité jugée clef dans le futur monde du travail qui sera bientôt chamboulé par les intelligences artificielles.

Et qu’en est-il de la récupération des ces technologies par les secteurs plus commerciaux ? L’idée ici n’est pas de se faire peur, mais d’être vigilants, d’être conscients des enjeux éthiques qui s’offrent à nous, comme l’ont rappelé plusieurs conférenciers, notamment Laurence Devillers. Il s’agit de trouver les moyens d’actions pour garantir une éthique qui reste à définir collectivement.

La monétisation des émotions est en plein essor. Il suffit d’observer :

  • le lancement de produits comme la fée Azuma au Japon, qui adresse le sentiment d’abandon,
  • la publication de manuels d’influence comportementale (certes ce n’est pas nouveau) comme Hooked de Nir Eyal, Nudge de Richard H. Thaler et Cass R. Sunstein, etc.
  • le renouvellement de l’intérêt de ce champs par les économistes.

Et je ne porte ici aucun jugement, mais un simple constat et une affirmation qu’il existe bien un sujet à adresser.

Qui plus est, nous sommes de plus en plus nombreux à penser que l’éthique et la vie privée sont des opportunités. Pour ne citer qu’eux :

Un grand merci à Marie, notre Chief Happiness Officer, de nous avoir emmené à cet événement. Heureusement, elle est là pour nous rappeler qu’il est bon d’être engagé et passionné par nos projets, mais qu’il faut aussi savoir se ressourcer.

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