Les professionnels de l'immobilier en colère
"Les promoteurs et les agences immobilières ont largement contribué à la flambée des prix du logement ces dernières années". Voilà la phrase prononcée fin juillet par le ministre de l’Economie, Franz Fayot , qui a mis le feu aux poudres et provoqué un véritable tollé dans le monde l’immobilier.
📃 Un rapport accusateur au cœur de la polémique
Tout a commencé le 19 juillet dernier, à la publication d’un 🔎 rapport d’enquête sectorielle sur l’immobilier résidentiel, réalisé par l’Autorité de la concurrence du Grand-Duché de Luxembourg dans un contexte de crise du logement (prix élevé, hausse des taux, potentiel du foncier…).
Cette enquête s’est concentrée sur l’analyse du métier de promoteur immobilier et de ses interconnexions avec d’autres intervenants. Après plusieurs mois d’investigation et d’entretiens, l’Autorité de la concurrence a dressé une liste de recommandations qui vont parfois au-delà de leur domaine de compétence, à savoir le droit de la concurrence.
Parmi les plus significatives, mais aussi les plus controversées, il y a celle qui accuse les promoteurs immobiliers de rétention de fonciers à des fins spéculatives.
Pour l’Autorité de la Concurrence, « le niveau de prix, toujours élevé, (de l’immobilier) est à mettre en relation avec un nombre de logements construits annuellement insuffisant et une détention foncière concentrée entre les mains de quelques acteurs ». Ces acteurs sont « pour la grande majorité, actifs dans la profession de promoteur immobilier ».
🪙 Trop de profits pour les promoteurs et les agences
C’est précisément ce point du rapport qui a été repris par le ministre de l’Economie, Franz Fayot, qui s’est appuyé également sur une autre analyse effectuée dans ce même rapport, à savoir les gains amassés par les promoteurs entre 2010 et 2020.
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En s’appuyant sur les données du STATEC , l’Autorité de la Concurrence rappelle qu’en 2020, l’excédent brut d’exploitation de la promotion immobilière, qui indique le niveau de richesse dégagée par le secteur, était de plus de 514 millions d’euros, soit huit fois plus qu’en 2010. Pour elle, « l’activité de promoteur immobilier est devenue de plus en plus rentable d’année en année », d’autant plus qu’il n’y a pas eu plus de logements construits pendant cette période et que de nouvelles entreprises sont entrée dans la course.
Dans une lettre officielle qu’il a publié sur son compte Twitter, le jour de la publication du rapport, le Ministre de l’Economie reprend les différentes observations du rapport et insiste lourdement sur les profits « extrêmement élevés » réalisés par les promoteurs alors que « les jeunes ne peuvent plus s’offrir un logement ». « Il s’agit tout de même d’une augmentation de profit de 800% pour les promoteurs ! » renchérit Franz Fayot le même jour au micro de RTL avant de proposer aux promoteurs de se réunir avec les politiques pour trouver des solutions et encourager la construction tout en dégageant des profits « acceptables ».
🗣️ Des critiques tous azimuts
Une position tranchée que ne partagent, bien sûr, pas les professionnels de l’immobilier.
Dans sa lettre ouverte directement adressée au Ministre, La Fédération des Artisans prend la défense des promoteurs. Selon elle, ce ne sont pas les promoteurs, mais bien l’État qui ferait de la «rétention» de terrains constructibles. Le marché privé achèverait en moyenne 3 600 logements par an, contre à peine 300 construits par les promoteurs publics.
«La tentative de l’Autorité de la concurrence de blanchir la main publique ressemble à un acte désespéré», clame la Fédération des artisans, ajoutant au passage qu’en raison de la «jungle administrative, il faut souvent compter 15 ans pour transformer une plaine en un projet de logements».
La Fédération estime également que le gouvernement a contribué à freiner l’investissement immobilier en augmentant d’un coup la TVA de 3 à 17%. « Personne n’a plus gagné en matière de logement que le gouvernement grâce à cette recette et cela sans prendre aucun risque et aucune initiative » blâme l’artisanat.
Bien que la La Chambre Immobilière ne se soit pas exprimée publiquement à ce sujet, un promoteur luxembourgeois, Maurice Elz , a pris la plume pour fustiger « Mister 800 pourcent ». Dans son texte, publié dans le Luxemburger Wort , il estime le vrai bénéfice d’un promoteur immobilier à 7,6% par an, « très loin des 800% » avancé par le ministre et le rapport. En effet, les promoteurs doivent débourser beaucoup d’argent avant de pouvoir transformer un terrain en projet : les frais d’acte notarié, d’urbanisme et d’architectes, les études environnementales et archéologiques, les frais liés aux travaux d’infrastructures, 10 ans de taxes (le temps qu’un projet voit le jour)… Il doit encore céder une partie de ces lots aux communes…
Bref, « 10 ans de démarches, d’incertitudes, de stress, de risques et de pertes temps et surtout beaucoup de capitaux bloqués » écrit encore le professionnel qui ironise « le promoteur ferait peut-être mieux de placer son argent en bourse. Il serait au moins sûr de 276 ou 360% de profit et tout cela sans stress ».