Les relations stratégiques sino-russes, Xi Jinping et Vladimir Poutine : un nouvel axe rouge ? Entretien avec Thierry Fortin

Les relations stratégiques sino-russes, Xi Jinping et Vladimir Poutine : un nouvel axe rouge ? Entretien avec Thierry Fortin

Les relations entre la Chine et la Russie ont historiquement révélé de nombreuses contradictions et complexités politiques illustrées pendant la Guerre froide. Cependant, la montée en puissance de la Chine révèle une nouvelle étape dans les relations stratégiques sino-russes. En effet, la Chine souhaite désormais affirmer ses ambitions hégémoniques en se rapprochant de nouveau de la Russie dans des domaines stratégiques, afin de provoquer la superpuissance américaine. L’axe Moscou-Pékin peut-il modifier "l’équilibre" international ? Thierry Fortin répond avec précision aux questions de Thomas Billebault pour Diploweb.com

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Extrait

Thomas Billebault (T.B.) : Quel est le fondement contemporain des connexions stratégiques Chine-Russie ?

Thierry Fortin (T.F. ) : Nous pouvons voir les relations entre la Chine et la Russie modernes comme des liens tissés entre deux grands pays nés d’un affranchissement spectaculaire : d’un système politique vu comme obsolète et despotique pour les Russes en 1917 et d’une tutelle coloniale pour la Chine en 1949, qui s’était auparavant retrouvée sous l’éteignoir pendant plus d’un siècle. Cependant, si la Chine est toujours sous régime politique communiste car l’appareil du Parti est toujours en place (avec une économie « capitaliste » dérégulée), la Russie post-soviétique, elle, n’est plus un pays communiste depuis la fin de l’URSS en 1991, et son régime est désormais plus proche du modèle autocratique et « capitaliste ». La lutte messianique des deux régimes communistes dans les années 1940-50 pour faire triompher les classes opprimées et défaire le capitalisme impérialiste (États-Unis et leurs alliés directs en tête) a bien évidemment rapproché Moscou et Pékin, soucieux de faire contrepoids à l’hégémonie américaine, avec un avantage initial à l’URSS, puissance nucléaire et industrielle qui a servi de modèle pour la modernisation de la Chine populaire dont la majorité des habitants vivaient encore sur un modèle majoritairement rural et quasi-féodal. Le pacte sino-soviétique de 1950 avait été signé dans le sens d’une coopération équitable mais le virage politique pris en URSS après la mort de Staline (1953) et les critiques chinoises au sujet de la légitimité et de la pureté de l’idéologie communiste ont rapidement envenimé les relations entre Pékin et Moscou et les Soviétiques sont rapidement devenus plus réticents à aider les Chinois au développement de leur technologie moderne. Des documents déclassifiés de la CIA ont révélé que les Chinois reprochaient aux Soviétiques de ne plus les soutenir dans la construction de leur dissuasion nucléaire dès la fin des années 1950. La tension montant entre les deux nations finit par aboutir en 1969 à un conflit ouvert mais heureusement limité (Pékin disposait de l’arme atomique depuis 1964 et de la capacité thermonucléaire depuis 1967, un an avant la France elle-même) causé par un classique différend frontalier dans la région du fleuve Oussouri. Le divorce fut dès lors consommé entre les deux pays qui continuèrent à avoir des relations difficiles jusqu’à la fin de l’URSS (1991). Il faut se souvenir que la crainte des Chinois était de se retrouver isolés tant par l’amélioration des relations américano-soviétiques à partir de 1972 que par le jeu indirect de l’URSS avec l’Inde. La carte indienne a en effet logiquement été utilisée par Moscou, gros fournisseur de matériel militaire à New Delhi depuis les années 1960, avec une accélération après la guerre indo-pakistanaise de 1971. La normalisation des relations entre Moscou et Pékin n’est arrivée qu’après la fin de l’URSS et elles ont connu une amélioration graduelle depuis, avec une accélération ces dernières années. Si l’on regarde l’histoire des relations sino-russes, on voit donc qu’il y a une méfiance mutuelle même lorsque les deux pays ont des intérêts objectivement convergents. Il serait un peu trop optimiste de parler d’amitié car la Chine a maintenant une ambition mondiale à l’horizon 2050, comme en témoigne le « Livre Blanc » chinois de juillet 2019 (à l’horizon 2049, plus précisément, car ce sera l’année du centenaire de la Révolution chinoise) et il est difficile de penser que ses actions (le projet One Belt, One Road des nouvelles routes de la soie, notamment) ne finiront pas par entrer en opposition avec les ambitions de renaissance mondiale de Moscou (dans le Caucase, en Afrique ou ailleurs). Malgré une économie relativement faible par rapport à la taille du pays (PIB équivalent à celui de l’Italie), Moscou semble craindre de se retrouver sous contrôle de Pékin sur son point faible (on voit ici encore la peur de la Russie de perdre sa souveraineté de façon humiliante comme pendant les terribles années 1990 qui expliquent, en partie, la popularité actuelle de Vladimir Poutine, lui-même victime de l’effondrement de son pays, ce qu’il a qualifié d’événement le plus important du XXème siècle à plusieurs reprises).

T.B. : Depuis quand date l’intensification d’une coopération entre la Chine et la Russie dans les domaines stratégiques économiques et militaires ?

T.F. : L’alliance objective entre Moscou et Pékin n’est pas toute récente. Avec la reprise de relations plus saines et quasi-amicales entre les deux pays à la disparition de l’URSS en 1991, elle s’est affermie au fur et à mesure que l’opposition à la politique hégémonique unilatérale des États-Unis a grandi. Le bombardement de la Serbie sans mandat ONU lors de la crise du Kosovo en 1999 (avec la frappe américaine controversée sur l’Ambassade de Chine à Belgrade) et l’invasion de l’Irak en 2003, à partir d’un dossier monté de toutes pièces par le leadership américain et ses alliés britanniques ont plus qu’entamé la confiance de Moscou et Pékin et les ont visiblement convaincus qu’un contre-pouvoir non-occidental devait être mis en place afin de respecter un équilibre multilatéral empêchant Washington de disposer d’un monopole militaire, économique et culturel sans opposition. La création de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) en 2001 (succédant aux « 5 de Shanghai » de 1996) est la matérialisation de cette opposition qu’on pourrait voir comme un non-alignement sur la vision anglo-saxonne d’une pax americana dont les résultats concrets sont facilement contestables du point de vue de la démocratie et du développement économique (dislocation catastrophique du Moyen-Orient et soutien à des régimes sunnites dictatoriaux, extraterritorialité scandaleuse du droit américain, espionnage massif de la NSA sous prétexte de sécurité des États-Unis, pour ne citer que ces exemples). Avec la montée des tensions en Baltique et en Ukraine depuis 2013, en Syrie en 2014 et au Moyen-Orient (Iran) depuis le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien en 2018, l’alliance objective sino-russe s’est renforcée avec la désignation de l’OTAN par Moscou (maintenant directement visée dans les documents stratégiques officiels russes) comme étant une menace pour l’intégrité de la Russie et la désignation récurrente des États-Unis comme menace pour la liberté d’action de Pékin, en Mer de Chine en particulier. Ceci explique que Pékin et Moscou cherchent à peser de tout leur poids stratégique pour dissuader Washington d’aller trop loin dans ses velléités d’expansion, par exemple en ce qui concerne l’élargissement de l’OTAN par l’intégration de nouveaux pays d’Europe de l’est ou des Balkans. A ce sujet, les manœuvres navales sino-russes en Baltique en 2017, une première, furent bien évidemment remarquées avec inquiétude par les pays de la région. On peut aussi citer l’exercice militaire massif Vostok de septembre 2018, avec un déploiement de 300 000 soldats russes et une participation chinoise plus modeste mais clairement mise en avant par la communication des deux pays. Nous pouvons imaginer que la cristallisation (voire la radicalisation ?) des différentes positions stratégiques des trois pays (États-Unis, Chine, Russie) risque de confirmer l’alliance objective sino-russe dans les prochaines années avec néanmoins l’inconnue de l’élection présidentielle américaine de novembre 2020 (un Joe Biden président des États-Unis œuvrerait-il vraiment pour réduire les tensions actuelles ou serait-il simplement l’acteur de la politique de domination standard de Washington mais avec un style vraisemblablement différent de D. Trump ?).

T.B. : De quoi sont faits les échanges entre ces deux pays ? (Fin de l'extrait, il reste 60%) LIRE GRATUITEMENT L'ENTRETIEN COMPLET SUR DIPLOWEB.COM


Qui est l'interviewé ? Thierry Fortin est ancien officier de réserve opérationnelle de l’armée de Terre (qualifié ORSEM), 1993-2004 et ancien formateur au CFIAR (Centre de Formation Interarmées au Renseignement) 2003-2008. Thierry Fortin est Professeur agrégé d’anglais à Sciences Po Lyon, spécialiste en défense, sécurité et relations internationales. Propos recueillis pour  Diploweb.com  par Thomas Billebault, étudiant en 3ème année à Sciences Po Lyon et titulaire d’un diplôme spécialisé sur les États-Unis contemporains.

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