Les Remakes – cet enjeu grandissant et toujours plus difficile à justifier
Remake de Demon's Souls (Source : Bluepoint Games)

Les Remakes – cet enjeu grandissant et toujours plus difficile à justifier

Durée : 9 - 12 minutes

Thème : Business Jeux Vidéo

               Refaire un jeu est désormais monnaie courante dans le paysage vidéoludique actuel. Non seulement de nombreux Remakes sortent désormais chaque année sur tous les supports (Demon’s Souls et Final Fantasy VII en 2020, Link’s Awakening et Resident Evil 2 en 2019 pour ne citer qu’eux) mais plus encore, ils rencontrent le succès escompté et font parfois partie des jeux les plus attendus de leurs années. Il n’est même plus rare de voir le public attendre l’annonce de certains Remakes et d’observer des réactions euphoriques lors de leurs dévoilements. De toute évidence, les Remakes jouent la carte de la nostalgie pour susciter l’intérêt des fans mais les industries musicales et cinématographiques en font de même, avec bien souvent des résultats beaucoup plus mitigés. Les reprises musicales sont bien souvent décriées et peu de Remakes de films réussissent à convaincre. L’inverse semble être davantage le cas dans le jeu vidéo. Plus encore et, d’une façon presque absurde, les deux dernières années ont vu la nomination de Remakes aux Game Awards, à la fois dans plusieurs catégories prestigieuses dont la catégorie « Jeu de l’Année ». Le pouvoir symbolique d’une telle décision est très fort, puisqu’un même « jeu » peut ainsi, potentiellement, accéder au titre de jeu de l’année et ce, pendant plusieurs années grâce à l’existence des Remakes ! On peut évidemment débattre sur la question de savoir si un Remake et le jeu original peuvent être considérés comme un seul et même jeu mais une telle possibilité reste inédite au milieu du jeu vidéo., témoignant de leur acceptation par tous.

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Liste des nominés pour la catégorie « Jeu de l’année » (source : Thegameawards.com)

Comment alors expliquer que les Remakes soient acceptés d’une telle façon et si reconnus dans le jeu vidéo contrairement à d’autres industries ? Au-delà de certains avantages évidents vis-à-vis de la présence d’un matériau d’origine et d’une fan-base, existe-t-il d’autres intérêts pour les éditeurs et développeurs ? Le succès des Remakes ne reflète-t-il pas, comme on peut souvent l’entendre, un certain manque de prises de risques, à la fois pour les joueurs et les créateurs ?


Passons brièvement sur la partie « définition » afin de bien faire nos devoirs. A l’inverse d’un portage ou d’une édition « Remastered », un Remake suscite un procédé technique plus aboutit. Là où un portage propose le même jeu et même contenu – à quelques différences prêt – mais sur une plateforme différente et là où le Remaster n’apporte qu’un lissage graphique avec une meilleure résolution, le Remake fait plus. Le moteur graphique est presque toujours différent, la résolution évidemment améliorée et les graphismes refaits entièrement par l’équipe chargée du Remake.

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 Comparaison de Shadow Of The Colossus, son Remaster sur PS3 puis son Remake sur PS4 (Source Youtube Playstation)

Dans la plupart des cas, le Remake se contente de reproduire le contenu original. Que ce soit du côté des joueurs ou des éditeurs/développeurs, le Remake est alors vu comme une mise à jour graphique d’un ancien jeu ayant pour but de remplacer l’original. Cependant, là où un Remaster correspond ni plus ni moins à une édition Blu-ray d’un DVD, le Remake recrée le contenu original. La comparaison avec le Blu-ray n’est donc pas pertinente avec un Remake dans le jeu vidéo, alors que l’intention de mise à jour graphique peut être le même. Le Remake veut aller plus loin graphiquement d’un Remaster dans la plupart des cas pour plusieurs raisons. D’une part, le Remake peut combler un gap de plusieurs générations, là où un Remaster ne permet de rattraper qu’une génération voire deux générations de consoles. D’autre part, obtenir un résultat graphique convaincant permet de pousser deux arguments de ventes essentiels : des graphismes ainsi qu’une jouabilité modernisés et dignes des standards contemporains et permettre de découvrir un classique de l’industrie d’une façon plus aisée que le rétrogaming ou l’émulation. La quasi-totalité des trailers sur les Remakes avancent ces arguments, qui permettent alors de justifier un prix standard pour un triple AAA.

De là viennent alors des critiques non différentes des autres industries. En effet, beaucoup pointent du doigt le fait de refaire du neuf avec du vieux, sans qu’il n’y ait de véritable processus créatif inédit et donc, de choisir la facilité là où, les mêmes moyens auraient pu permettre de créer un nouveau jeu et une toute nouvelle expérience inédite. « Les vieux jeux seront toujours là » avancent-ils afin de souligner la non-nécessité des Remakes. Bien sûr, jouer la carte du Remake est une sécurité mais un tel projet peut se faire pour autant de raison qu’une création de jeu normal si ce n’est plus. Ainsi, le Remake de Demon’s Souls pour la PS5 s’apparente à une vitrine technologie pour la console, ce qu’était Killzone: Shadow Fall pour la PS4 sept ans auparavant. Les Remakes d’Ocarina Of Time et de Majora’s Mask sur la 3DS voulaient proposer des best-sellers pour la 3DS à une époque de diète en plus de proposer des jeux exploitant les fonctionnalités de la machine. Ces derniers proposaient également des modifications de gameplay pour rendre les expériences plus fluides (les bottes de fer sont désormais un objet dans le Remake d’OOT ce qui facile grandement le temple de l’eau et la gestion du temps dans MM permet plus de souplesse).

Les Remakes, pour certains cas, ont également pour vocation de redorer le blason d’une série, voire d’en préparer la suite. Ainsi, la Crash N Sane Trilogy, sortie en 2017, vint au secours d’une saga presque morte suite à l’acquisition et au travail d’Activision. La trilogie se vendit à plus de 10 millions d’exemplaires et, fort de ce succès, permit la mise à chantier et l’arrivée de Crash 4: It’s About Time fin 2020. De cette façon, Activision put obtenir un succès commercial aisément et relancer la licence sans tentative de trouver une idée de jeu qui collait à ce que les fans attendaient – stratégie qui n’avait pas marché jusqu’ici pour Activision. Le même procédé de relance d’une licence s’était déjà avéré pertinent avec les Remaster, notamment la Sly Trilogy pour préparer l’arrivée de Sly 4 en 2013. Il est intéressant de noter que, dans les deux cas, les Remakes se vendirent davantage que les nouveaux jeux, donnant encore plus de crédit et d’importance à l’intérêt du public pour les Remakes.

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 Remake de Crash N Sane Trilogy (Source : Activision)

Les Remakes peuvent on l’a vu, au même titre que le fait de proposer des graphismes aux standards actuels, optimiser la jouabilité pour correspondre davantage à ce qui se fait sur le marché voire profiter du temps supplémentaire pour ajouter du contenu inédit. L’un des meilleurs exemples restent le travail effectué sur les Remakes de Pokémon Or et Argent pour la DS : les éditions HeartGold et Soul Silver. Non seulement les jeux proposent des graphismes et une jouabilité améliorée (utilisation de l’écran tactile, possibilité de courir etc.) mais, grâce aux fonctionnalités en ligne et aux nouveaux Pokémons créés depuis la sortie des jeux originaux, les Remakes permettent de tous les obtenir, doublant ainsi la quantité de Pokémons proposés ! Plus encore, le jeu offre de nouvelles zones, nouveaux combats, nouvelles musiques (même en version 8 bits !), nouveaux pans de l’histoire et, dans un défi technologique, un nouvel outil vendu avec le jeu : le Pokéwalker. Cet objet s’apparentait à une sorte de tamagotchi, qui, si vous y faîtes rentrer un de vos Pokémon, permet à ce dernier de gagner en expérience lorsque vous transportez l’objet avec vous en fonction du nombre de pas. Comble de l’ironie, le pokéwalker, à l’époque de sa sortie, s’avère être le compteur de pas le plus précis, surclassant les objets dédiés à cette fonction !

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 Jaquette japonaise du Remake Pokémon HeartGold avec le Pokéwalker inclus (Souce : Nintendo)

On voit ainsi que les Remakes peuvent mettre à jour une expérience originale de bien des façons différentes et optimiser celle-ci. Malgré tout, cette démarche créative ne change fondamentalement pas l’expérience proposée mais vient l’optimiser. Aussi, ce processus, aussi complet soit-il, n’écarte pas la critique de la facilité. Plus encore, refaire un jeu de cette façon est possible par les bons technologiques entre chaque génération de consoles. Or, au fur et à mesure de l’avancement dans le temps, les écarts graphiques – même si toujours notables – se réduisent ainsi que les innovations en termes de game-design pour les triples A et il est probable que les progrès graphiques futurs et les apports en termes de confort de jeu ne suffiront plus à justifier de tels Remakes. Si l’on ajoute à cela le pullulement des éditions Remastered et des Remakes « faciles » proposés par les éditeurs depuis une quinzaine d’années, refaire un Remake traditionnel est de plus en plus difficile à justifier d’un point de vue marketing et, dans le pire des cas, peut venir lentement mais sûrement dégrader leur popularité sur le long terme. Conscients de ce problème grandissant et ce futur statut quo en termes de confort, les développeurs et éditeurs ont déjà commencé à proposer une nouvelle forme de Remake que l’on pourrait appeler de la façon suivante : les re-imaginations.

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 Ratchet & Clank (2016) – ré-imagination du premier opus sorti en 2002 (Source : Insomniac Games)

L’idée ici n’est pas de recréer un jeu en optimisant l’expérience originale afin de la remplacer – car c’est bien là le but finalement. Le but d’une ré-imagination est bien différent : il s’agit de proposer une création qui correspondrait à ce que le jeu aurait été s’il avait été fait originalement à notre époque. Il s’agit donc d’une réinterprétation, d’une V2, d’un « What If » qui vise à apporter une expérience complémentaire du jeu original et non de la remplacer. C’est exactement la démarche proposée par des « Remakes » tels que le jeu Ratchet & Clank de 2016 sur PS4. Le résultat peut alors être très différent selon les cas. Dans le cas de R&C, l’idée était de proposer une nouvelle histoire d’origine pour le duo, collant davantage avec le ton des derniers épisodes et, afin d’optimiser les coûts de production, de coller le plus possible au film sorti la même année. Bien que le résultat puisse s’apparenter à une chimère dont la qualité reste inférieure à l’original sur quasi tous les points, il s’agit là d’un processus optant pour une vraie différenciation avec le titre dont il s’inspire et qui prend davantage de risques que les Remakes standards afin de proposer une expérience inédite.

Là où le Remake de R&C s’avère peu convaincant, d’autres ont su tirer parti de meilleures façons d’une telle démarche créative et c’est notamment le cas du Remake de Resident Evil 2, nominé au titre de « Jeu de l’année » pour les Game Awards en 2019. En effet, le titre, proposant une véritable ré-imagination de l’opus original sorti il y a plus de 20 ans, avait de nombreux objectifs : renouer avec l’ambiance horrifique de la licence pour mieux la relancer, proposer une nouvelle version de Resident Evil 2 et un nouveau départ pour les Remakes à venir de la série. Le résultat sut convaincre en proposant des éléments alternatifs à l’histoire original, un gameplay et des énigmes repensées et du contenu exclusif. Cette démarche d’allier ambiance de terreur des premiers opus et gameplay inédit était déjà présent dans le nouvel opus Resident Evil 7 sorti en 2017 mais le Remake de 2019 a su davantage convaincre, notamment sur le plan critique dont témoignent les scores Metacritic. De façon similaire pour le public, à date du 31 décembre 2020, Capcom annonçait que le Remake s’était vendu à 7,8 millions d’exemplaires et que Resident Evil 7 s’était écoulé à 8,5 millions d’exemplaires. Le Remake a donc fait presque aussi bien en deux fois moins de temps.

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Resident Evil 2 Remake Artwork (Source : Capcom)

De la même façon que la N Sane Trilogy, le Remake de Resident Evil 2 venait contribuer à relancer la licence. Avec un succès correct pour le Remake de Resident Evil 3 et l’attente grandissante autour de Resident Evil 8, la saga est repartie sur les chapeaux de roue notamment grâce à cette ré-imagination.

Mais s’il fallait retenir un Remake/ré-imagination à la démarche créative unique, il s’agit bien de celui de Final Fantasy VII, dont la première partie sortit en 2020 (Spoilers à venir sur le jeu). Non seulement le jeu proposait une véritable ré-imagination des événements de Midgar du jeu original de 1997 en voulant relancer l’aura quelque peu fracturée autour des gros opus solos de la saga avec une nouvelle histoire, un nouveau système de combat et des nouveaux totalement repensés mais en fin de compte, le jeu se révélait être une suite de l’opus original ! La volonté de proposer ainsi une expérience complémentaire du jeu original n’a jamais été aussi évidente et claire qu’avec ce Remake/ré-imagination de FFVII. Bien que le résultat puisse paraître confus et devrait continuer convaincre avec les futurs jeux, une telle démarche – aussi aboutit et risqué sur le plan créatif – vient prouver que les Remakes peuvent, et peut-être doivent, davantage proposer ce type d’expérience, plus proche du nouveau jeu que du remake.

Une telle approche s’avère donc pertinente pour bien plus de raisons que les Remakes classiques. Tout d’abord, les ré-imaginations opèrent le travail des Remakes traditionnels, en proposant une jouabilité et des graphismes dignes de l’époque de leurs sorties. Ensuite, en reprenant les univers des titres originaux, les jeux peuvent jouer sur la corde nostalgique des fans et affirmer vouloir faire découvrir une expérience « classique » aux nouvelles générations. Ainsi, les ré-imaginations remplissent déjà le cahier des charges attendus par les Remakes. Mais là où celles-ci vont plus loin, en proposant une expérience alternée, c’est qu’elles ont pour vocation de compléter les titres parus avant elles qui, au lieu de vouloir remplacer ces derniers, viennent finalement les promouvoir et les célébrer. Que ce soit d’un point de vue créative ou business, la démarche est donc plus intéressante et légitime car créent deux jeux différents mais parents. Cependant, ce processus reste plus difficile à mettre en place, car demandant plus de travail et d’investissement et surtout, une véritable idée de projet derrière pour véritablement proposer un jeu inédit. Toutefois, au regard des succès de ces ré-imaginations (R&C est devenu l’opus le plus vendu de la saga, ceux de RE2 et FFVII dépassent les attentes des éditeurs etc.), il est probable que ce type de démarche vienne se populariser, voire devienne un passage obligé pour les Remakes sur le long-terme.

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Final Fantasy VII Remake Artwork (source : Square Enix)

Dans la logique où les Remakes classiques pourraient devenir désuets et peu pertinents suite à la mise en place d’un statu quo en termes de graphismes et de confort de jeux, les ré-imaginations s’avèrent incarner une solution possible. Celles-ci, ne souhaitant pas rendre caduque les créations originales, viennent au contraire proposer des expériences complémentaires et, parce qu’elles s’inscrivent dans des démarches créatives poussées et réfléchies, balaient les critiques faits aux Remakes standards, en plus de posséder tous les avantages liés à ces derniers. Il est alors probable que ce type de créations se multiplie dans les années à venir car il s’agit d’une nécessité qui deviendra une obligation lorsque les arguments des Remakes classiques ne suffiront plus.

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