Les toilettes de l’entreprise ou la révolte cachée des anonymes !

En entreprise, des sanitaires de plus en plus dégradés semblent le reflet d’un climat de tension, au milieu duquel les échanges autour du travail réel se font trop rares.

L’état des toilettes d’une entreprise est-elle corrélée au niveau de tension et aux comportements qui règnent au sein de cette dernière ?

Janick est à la tête d’une société de nettoyage de 600 femmes et hommes de ménage qui officient à la propreté de nos organisations (https://www.deca-proprete.fr/). Pour elle, cela ne fait aucun doute, on voit si une entreprise va « bien ou mal » à l’état récurrent des de ces espaces partagés et pourtant bien privés que sont les toilettes.

Ici un utilisateur a baissé la lunette et le couvercle des toilettes, a fait ses besoins par-dessus la lunette pleine et l’a reclaquée contre le mur. « Cela dénote exactement le climat social de cette organisation du domaine des services », dans laquelle ce type d’exemple sont malheureusement légion (urine quotidiennement déposée au sol, virgules sur les murs, distributeurs dégradés, robinetterie abimée etc). « C’est quelqu’un qui veut se venger de sa hiérarchie mais qui ne peut pas le faire frontalement ; alors il se venge là. Dans cette entreprise, la charge de travail est très lourde, les gens semblent tristes, ne sont pas bien et peu considérés ».

Là, dans une entreprise du secteur public, des odeurs persistantes, plusieurs jours de suite, dues à une serviette hygiénique usagée, pliée en 4 et collée juste derrière les tuyauteries. Alors que la poubelle est là, juste à côté.

Pour Janick, ces comportements que l’on observait quasi uniquement dans les usines de l’industrie il y a plus de 30 ans, prennent place de manière de plus en plus fréquente depuis une dizaine d’années dans les entreprises du tertiaire. Et les niveaux sociaux y sont bien davantage hétérogènes. Ce phénomène semble s’accélérer ces derniers mois depuis la crise Covid mais pas que… Le « lieu de souffrance » s’est déplacé, s’est généralisé tous secteurs confondus.

Dans les entreprises où « il fait bon vivre », le niveau de propreté est maintenu et les espaces sont respectés. Et Jannick d’ajouter « en tant que femmes de ménage, quand tu arrives dans une entreprise où les gens te disent bonjour, où le sourire est là, tu ne rencontres pas ce type de comportement. »

Mais alors, pourquoi les toilettes des entreprises deviennent-elles un lieu de défoulement, un exutoire à la tension accumulée ?

En entreprise, les toilettes sont un des très rares endroits, si ce n’est le seul, dans lequel « on ne va pas venir te chercher ». Dans l’open-space, dans les couloirs, dans l’espace déjeuner/café etc., les collaborateurs d’une entreprise sont toujours sous le regard de quelqu’un. « Dans les toilettes, la porte est fermée, il n’y a pas de caméra, tu peux faire ce que tu veux, tu peux te comporter comme tu veux. ». Les toilettes sont tout à la fois un espace d’intimité et le lieu de ce qu’on évacue, sans le regard de l’autre pour te juger. C’est la révolte cachée des anonymes ! « Il y a un mal-être et les gens se défoulent là. C’est peut-être mieux qu’ils se défoulent là plutôt que chez eux. Ou sur les autres. En plus, si je me défoule sur l’autre, je risque de perdre ma place » ajoute Janick.

Au cœur de tout cela ? Le respect… ou le manque de ce dernier. Le respect de soi, celui des autres (collègues, femmes de ménage etc.), celui de l’entreprise dans laquelle je travaille, celui que je reçois de mon entourage.

Parallèlement à cela, le niveau de tension dans les organisations augmente, voire s’accélère depuis 6 à 7 ans. Avec une charge mentale très importante, les acteurs de l’entreprise sont sous le feu d’injonctions paradoxales comme en témoignent quasiment partout une très forte volonté de mise en responsabilité, de prise d’autonomie, en même temps que des reportings ou des contrôles toujours plus marqués. Si l’on ajoute à cela la désormais très célèbre bienveillance, brandie comme un étendard, on comprend aisément que la société du politiquement correct laisse peu de place aux réactions émotionnelles qui, parce qu’elles sont humaines, doivent bien s’exprimer quelque part !

L’état des toilettes d’une entreprise serait donc le reflet du niveau de « violence » relationnelle du système. Des comportements régressifs naissent sous le discours et un certain vernis managérial.

La vision stratégique des Dirigeants s’exprime trop souvent à un niveau vécu comme stratosphérique par les collaborateurs ; au milieu desquels les relais managériaux vivent sans cesse tiraillés, voire écartelés pour certains… sous le regard des consultants qui conceptualisent l’ensemble !

Les acteurs de l’entreprise ont juste un besoin qui est de moins en moins rempli : celui de parler du travail réel, de ce qu’ils font au quotidien, de leurs réussites, de leurs difficultés, de leurs douleurs aussi.

Pour ne pas avoir à en être « malade » dans cet espace privé que sont les toilettes de l’entreprise. 

Valérie Reber-Adler

(Merci spécial à Janick Jacob – Deca Propreté)

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