Les travailleurs du savoir face à la révolution digitale

Les travailleurs du savoir face à la révolution digitale

La révolution digitale a entrainé une baisse dramatique des coûts marginaux de production des contenus, mais aussi d’accès à l’information. Pourquoi alors payer pour un service, un outil ou du conseil ? La free-economy impacte fortement le tissus des ETI/PME françaises, mais aussi, et c’est plus grave, détruit la valeur même du travail intellectuel, alors que nous entrons dans la société de la connaissance. Il reste donc à « protéger » et favoriser le travail des multi-employés (aussi appelés "slashers") qui préfèrent des missions où ils pourront à la fois apporter de la valeur, mais aussi construire et apprendre à partir des expériences vécues. Car dans le monde digital, l’exécution et l'expérience compte plus que les idées.

Plus personne ne veut payer …

Depuis toujours, encore plus de nos jours, les clients ne veulent plus payer ! La faute à Internet (où tout est gratuit ou presque), aux sites de « partage » et aux places de marché mondiale de main d’œuvre qualifié à bas coût. La faute aussi à la prise de pouvoir des équipes d’acheteurs qui « font jouer la concurrence » et ont souvent le dernier mot sur la sélection des fournisseurs. La faute enfin à une hiérarchie imposante, où finalement peu de gens ont un pouvoir de décision réel ou qu’il ne désire pas exercer.

Les start-ups, les experts et les développeurs indépendants et les petites entreprises sont prises en tenaille, entre des délais de paiement toujours plus long et des revenus à la baisse. Certains décident de ne pas baisser leurs marges et d’adopter une approche premium ou de niches, alors que d’autres se plient au marché et entrent dans une spirale infernale.

Et pourtant, dans les pays nordiques, ou aux USA, avoir recours à des indépendants ou des petites sociétés est courant. Certains se font même payer via Paypal, c'est plus simple. Les négociations sont difficiles, mais rapides et l’approche win-win est souvent privilégiée. Ce qui compte avant tout étant la réputation de l’entreprise qui emploie, son apport sociétal et sa capacité à aller vite et à s’insérer dans des écosystèmes innovants (ou à les aspirer). Rien de parfait au pays de l'Oncle Sam, mais travailler avec de petites sociétés ou des freelances (34% de la workforce) est commun.

La révolution digitale favorise l’empire du "freemium"

La révolution digitale donne le moyen à la multitude (comme l’appelle Henri Verdier) de produire, diffuser et rentabiliser du contenu pour un coût marginal. Toutes les professions intellectuelles, celles qui vivaient de leur savoir et de leurs analyses, sont désormais touchées. Il existe encore des niches, les fameuses professions réglementées. Mais, l’une après l’autre elles sont attaquées sur les services qui leur apportent le plus de valeur.

Pourquoi payer, si on peut l’avoir gratuitement, ou presque, sur Internet ? Pourquoi payer, si on peut trouver moins cher ailleurs ? Et le temps passé à chercher les meilleurs deals n’est souvent pas pris en compte dans le « ROI » final. Ainsi, on estime qu’un touriste consulte en moyenne 22 sites sur plusieurs types d’écran (smartphone, tablette, ordinateur) avant de faire son choix. Le marketing et la pub en ligne renforcent d'ailleurs cette approche, "je fouine, je suis malin et je fais des affaires". Renforcer l'égo de l'utilisateur, pour vendre à gogo.

La fin de la propriété intellectuelle ?

A cela s’ajoute une facilité déconcertante de copier et de rediffuser le contenu, en respectant plutôt moins, que plus, la propriété intellectuelle. Que cela soit le conflit entre Hachette et Amazon ou de Google avec les bibliothèques, on n’a pas fini d’en entendre parler. Certains clament même désormais la fin de la propriété intellectuelle, car un brevet coûte cher et prend un temps incroyablement long. Elon Musk lui à d'ailleurs une idée radicale sur la question.

L’open source est aussi un facteur de déstabilisation important. Pourquoi acheter une solution Big Data, alors que tous les produits majeurs sont open source (Apache Pig, Apache Mahout, etc.) ? De toute manière, les budgets IT sont surveillés à la loupe, et les CAPEX et OPEX les unités de mesure. Jamais la valeur produite, ni les avantages concurrentiels acquis, ni même le temps de mise en œuvre. Les « business model » pour ces sociétés de création de logiciel étant alors de développer des modules « entreprise » ou de proposer du conseil et de la maintenance.

La fin des sociétés de conseil ?

Les modèles de revenues des sociétés de conseil n’ont pas changé depuis plus de cent ans, même si elles ont du se transformer plusieurs fois. Le plus difficile étant de pouvoir juger de leur performance à l’avance, et parfois même après la mission. En effet, conseiller est une chose, mais exécuter les recommandations dans le contexte de l’entreprise en est une autre. C’est pourquoi, les clients en général choisissent des sociétés qui sont reconnues. L’article de Christensen à ce sujet est édifiant.

Mais la révolution digitale permet désormais à des groupes d’experts en réseaux, notamment des alumni des grandes sociétés de conseil, d’offrir leurs services via une plateforme, en constituant des «équipes agiles » à la demande en fonction du projet (comme BTG, ou GLG ou plus récemment Talent Exchange de PWC).

De l’intelligence humaine à l’intelligence artificielle

Il est vrai qu’Internet est une réserve inépuisable d’information et qu’il existe des solutions de recherche ou d’analyse (intelligence artificielle) de données massives qui brillent par leur capacité déductive. Tout ce qui peut être automatisé le sera !

Dans le domaine de la justice, on peut citer l’automatisation de la saisine du conseil de prud’hommes ou l’éditeur SPLAYCE qui facilite la rédaction des documents des avocats en leur présentant les textes et la jurisprudence adaptée.

Les professions qui seront épargnées seraient celles qui nécessitent des capacités d’imagination, ce que ne sait pas encore faire l’ordinateur. Alphago ou Watson dessinez moi un mouton !

Les écosystèmes d'innovation et leur taux d'échec inhérent

La France dispose enfin d'un vivier de startups important (voir le guide annuel d'Olivier Ezratty), ainsi qu’un tissu d’ETI innovante foisonnante. Les incubateurs et autres accélérateurs ne se comptent plus. Les aides à la recherche et à l'innovation non plus (il est à noter que le processus d'obtention est lui même extrêmement peu digitalisé, bureaucratique à souhait, ce qui est un comble !).

Ce dont on ne parle jamais: les revenus de ces travailleurs du savoir et de l’innovation. On ne parle pas non plus de leur pauvreté galopante et de ce qu’ils deviennent ensuite, une fois l’aventure terminée (lire le post d'olivier Ezratty à ce sujet : "le recyclage des talents dans les écosystèmes d'innovation"). Car plus de 90% des startups échouent dans les 3 ans. 

Le monde d’après requiert une révision du modèle social

Il est donc grand temps, comme le préconise Nicolas Colin, de revoir le modèle social. Entre les CDI et les CDD, les multi-employés ne trouvent pas leur compte. Il faut leur permettre d’avoir plusieurs emplois, et leur proposer une protection sociale souple, juste et adaptée. Mais avant d'y arriver, il faudra que les mentalités évoluent.

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