L'espérance n'est pas fondée sur l'émotion, mais sur la raison naturelle
Harpignes Clair de lune

L'espérance n'est pas fondée sur l'émotion, mais sur la raison naturelle

Il existe face à la mort une espérance surnaturelle, fondée sur la foi : vivre au Paradis, retrouver les siens, sauvés comme nous par Dieu seul, par sa grâce. Cette espérance, bien que surnaturelle, est source d'émotions positives pour la personne humaine. Nous retrouvons la même chose avec l'espérance naturelle de l'immortalité de l'âme. Face à la mort, en effet, cette espérance, que l'on peut raisonnablement estimer universelle, hormis dans une forme moderne radicale de l'athéisme qui voue l'être et la vie au néant, cette espérance est aussi source d'émotions positives. Il est donc utile de la rappeler, dans le cadre d'un entretien philosophique où l'on aborde ensemble la pensée, grave et triste, de la mort.

Il est utile de voir que sur l'émotion, on peut fonder une partie de l'énergie consacrée à des actes qui correspondent. Sur l'émotion se fondent aussi d'autres émotions, par une sorte de redoublement et de diversité enrichie des multiples accents de l'émotion. Or, ce qu'il faut remarquer dans le cas de l'espérance, c'est qu'elle se fonde non pas sur l'émotion, mais sur la raison naturelle. Dans le cas de l'espérance religieuse, celle-ci se fonde en définitive sur la rationalité parfaite, divine, du Logos, ou "Verbe".

L'espérance naturelle de l'immortalité de l'âme est pour cette raison une espérance raisonnable. Elle vient s'opposer au désespoir qui nous gagnerait, face à la mort, de devoir penser que toutes les merveilleuses heures dont notre vie a été si riche, et tous les bonheurs des autres aussi, n'ont d'autre promesse, à cause de la finitude, qu'un pur néant. Le meilleur exemple est celui du grand amour, de l'amour passionné : l'on ne désire pas qu'il connaisse une fin qui serait son anéantissement parfait. On lui donne une finalité, on veut bien qu'il ait un but, comme la vie au Paradis, mais surtout, l'on ne veut pas que la mémoire des heures heureuses de cet amour soit vouée à son propre anéantissement. Or, puisqu'il existe une rationalité dans l'amour, qu'il a du bon sens et pense aussi rationnellement, l'on peut établir un lien entre le temps, l'amour et l'espérance devant la mort. A la pensée de la mort s'oppose la rationalité (et non l'émotivité) de l'amour humain.

Ce n'est donc pas parce que l'homme est un poète qui s'ignore, ou encore parce qu'il y a toujours en lui une part de folie, d'irrationalité, que l'homme oppose à la pensée de la mort, cette espérance liée à la force d'aimer la vie et les autres. C'est bel et bien parce qu'il y a de la raison dans l'amour, de la rationalité dans la grandeur et l'organisation naturelle de la vie cosmique, et parce que la pensée de la vie peut aussi être "une pensée espérante". Il n'y a là aucun brin de déraison, aucun motif de nous accuser de légèreté non plus : c'est toute la gravité de la joie de l'amour, de ce bonheur indépassable, qui empêche aussi que l'on fasse dépasser par le désespoir les émotions que nous associons à la mort. En somme, il est plus sérieux de relier la mort à l'espérance de la vie et du bonheur d'aimer encore après elle, que de la relier au désespoir. Celui-ci paraît sérieux, mais il l'est moins, en dernière analyse.

L'espérance en général est fondée rationnellement. Cela explique pourquoi l'on félicite celui qui a su garder l'espoir dans un contexte terriblement éprouvant, et l'on donne en exemple des actions qui tenaient leur force de cet espoir. Dans Au Nom de Tous les Miens, Martin Gray a donné l'autobiographie d'une existence qui ne devait plus son sens à autre chose qu'à l'adhésion à la puissance du Bien et de la Vie, adhésion faite d'une espérance qu'il avait élevé au degré le plus haut, le plus parfait qui soit. Martin Gray raconte par exemple qu'il savait si bien entrer et sortir de Varsovie pourtant occupée, qu'il le faisait habilement, plusieurs fois dans le même mois, afin d'aider les autres. Mieux encore, son espérance que tout aille bien faisait sa confiance dans des actions comme entrer et sortir quelques temps plus tard d'un camp où les Juifs étaient opprimés ! Martin Gray sortait souvent par les énormes camions, en se cachant non pas à l'intérieur, mais en-dessous, sur la structure métallique du camion. La confiance, lorsqu'elle est ainsi orientée vers l'avenir en général, est la vertu d'espérance. Le fait qu'elle ne soit pas une simple émotion la relie fortement à la raison naturelle, et provoque celle-ci à penser en fonction de l'avenir heureux espéré.

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