Lettres à une jeune poétesse
Rainer Maria Rilke est un des plus bouleversants épistoliers qui soient. La correspondance a été, sa vie durant, le seul cordon, le seul lien entre la solitude où il s’est tenu, sa vie errante, nomade et l’émotion puissante que certains êtres ont su lever en lui. Nous ne connaissons souvent que les lettres à un jeune poète, les lettres à Lou Andrés-Salomé, les lettres à Benvenuta (Magda von Hattingberg) mais elles furent nombreuses, mais ils furent nombreux celles et ceux qui reçurent ses lettres, furent invités à construire avec lui au fil des années un échange, lettres qui peuvent être considérées, par l’intensité de la confession, ses résonances avec la vie entière, comme l’épicentre de son œuvre. Peu de ces correspondances ont été traduites en français, raison pour laquelle nous pouvons saluer comme un événement la publication ce mois-ci aux éditions Bouquins des lettres que le poète et Anita Forrer échangèrent à partir du mois de janvier 1920, Anita a dix-huit ans, Rainer quarante-quatre. Il a quitté l’Allemagne pour la Suisse, s’est installé dans le Valais, achève en presque paix les dernières années de sa vie.
Quelques lignes extraites de la préface :
« Au début du mois de janvier 1920, quelques semaines après une soirée de lecture qu’il a donné dans la ville de Saint-Gall en Suisse alémanique, Rilke reçoit la lettre d’une jeune femme. Elle s’appelle Anita Forrer, elle n’a que dix-huit ans, et le poète se montre immédiatement sensible à l’accent simple et sincère de cette voix, sous laquelle affleure cependant une profonde sensibilité. C’est ainsi que Rilke fit la connaissance, en la personne de cette jeune Suissesse très bien élevée et sévèrement éduquée, fille du docteur Robert Forrer, avocat et homme politique en vue à Saint-Gall, d’une jeune femme avide de savoir, ouverte aux choses de la nature comme à celles de l’esprit. (…) Alors que les deux correspondants résidaient dans des régions presque voisines, il fallut attendre 1923 pour qu’ils se rencontrent en personne, à Meilen, dans la demeure de Nanny Wunderly-Volkart, grande amie de Rilke durant les dernières années de sa vie. Leurs chemins se croisèrent trois ans plus tard dans la commune de Bad Ragaz, quelques mois avant la mort de Rilke. Les lettres que lui adressa Rilke furent d’une importance existentielle pour Anita Forrer. Rilke allait devenir pour la jeune femme un guide dans sa vie d’adulte, un « maître », selon le terme sur lequel ils s’accordèrent tous deux – celui-là même qui devait l’aider à « maîtriser, autant que faire se peut, les distances et les rapports qui régissent l’espace insondable du sentiment (…) dans la géométrie du cœur » (Lettre de Rilke du 22 déc. 1920). »