L'expérience humaine des interactions à distance dans le monde du travail et de l'éducation
Il y a quelques semaines, l'Université de Cambridge annonçait qu'elle allait devenir la première Université à définir des modifications concernant les modalités des cours pour l'ensemble de l'année universitaire 2020-21. Ainsi, l'Université manifestait son intention de mettre en ligne toutes les cours en face à face.
Pendant le confinement dû à la pandémie du COVID-19, la plupart d'entre nous, avons commencé à manifester qu'en ce qui concerne le monde du travail et de l'éducation, ces temps représentaient une excellente opportunité pour repenser le futur du travail et surtout de l'éducation à distance, mais sans préciser ce que nous voulions observer et pour quel objectif.
Un grand problème en lien avec nos interactions à distance pour travailler ou pour apprendre est que ce sont les plateformes qui dictent comment nous devons travailler ou faire un cours (cela devrait être à l’inverse). Cela s'applique pour les plateformes des entreprises privées comme Microsoft (Teams), Slack ou Zoom, mais également pour les plateformes de l'État et des Universités, qui malheureusement, dans la plupart des cas, sont des outils peu adaptés que nous sommes obligés d’utiliser.
Le deuxième problème est que nous essayons de reproduire en ligne ce que nous faisons en présentiel, en sachant que l'expérience n'est pas la même. Donc, au lieu de commencer par les outils, nous devrions commencer par l'expérience de travailler ou d’apprendre à distance.
En 2003, deux développeurs estoniens lançaient Skype, en profitant de l'explosion du haut débit pour permettre une communication audio moins coûteuse. En 2004, ils ont ajouté des fonctions de téléconférence et, en 2006, de vidéoconférence. L'année suivante, leur système avait été téléchargé un demi-milliard de fois. C'était le début d'une interaction plus riche à distance pour travailler et apprendre à une plus grande échelle.
Mais en février 2013, Marissa Mayer, récemment nommée PDG de Yahoo!, mettait à terme tout travail à distance dans l'entreprise en assurant que la rapidité et la qualité sont souvent sacrifiées lorsque nous travaillons à distance. Elle remarquait l'importance d'être « un seul Yahoo! » à commencer par être physiquement ensemble. Dans la même période, d'autres entreprises réduisaient également leurs programmes de télétravail. Ainsi, les entreprises de la Silicon Valley commençaient à être reconnues pour les bars à café et les jeux au travail ou encore les salles d'escalade qu'elles utilisaient pour garder les travailleurs au bureau.
Aujourd'hui, le travail à distance est l'exception plutôt que la norme. Et pourtant, l'infrastructure technologique conçue pour le télétravail n'a pas disparu. C'est ce qui permet, entre autres, aux employés de répondre à leurs e-mails dans le métro ou dans le bus.
Mais après le confinement dû à la pandémie du COVID-19, les choses ont commencé à changer. Jack Dorsey, le PDG de Twitter, annonçait que ceux dont le travail n'exigeait pas une présence physique seraient autorisés à travailler chez eux indéfiniment. Peu après, plusieurs entreprises ont commencé à suivre la même stratégie.
Du côté de l'éducation, en plus de l'Université de Cambridge, plusieurs universités vont commencer à prioriser l'éducation à distance. Mais cette nouvelle modalité de travail amène plusieurs défis concernant l'expérience humaine des utilisateurs.
Lorsque Yahoo! annonçait qu'il cesserait le travail à distance, l'entreprise soulignait un problème évident du télétravail : la perte d'interactions en face à face. Selon Yahoo!, un lieu de travail réussi dépend d'interactions et d'expériences qui ne sont possibles qu'au bureau, comme les discussions dans les couloirs et à la cafétéria, les rencontres avec de nouvelles personnes et les réunions d'équipe impromptues. En théorie, la technologie permet des équivalents à distance pour ces rencontres en personne, et pourtant, ces progrès n'ont jamais vraiment remplacé l'expérience en présentiel.
Même si une équipe résout les défis logistiques du travail à distance, elle doit affronter les défis psychologiques. Pour beaucoup de gens, les rituels (prendre un café avec les collègues, lire les journaux dans la cafétéria) servent de préparation au travail de la journée. Sans eux, il devient facile de perdre de vue la distinction entre vie professionnelle et vie personnelle. Peut-être que les interactions face à face pour atteindre un objectif commun sont ancrées dans nos gènes après des millénaires de coopération tribale pour survivre.
Afin d'essayer de repenser les expériences des interactions à distance, nous pouvons commencer par regarder l'industrie de l'informatique ou plus précisément du développement de logiciels, qui est l'une des rares industries de la connaissance à avoir connu un succès avec le travail à distance, en partie parce que les ingénieurs, les développeurs et les chefs de projet ont déployé une approche inhabituellement systématique pour organiser leur travail. Ces entreprises emploient souvent des méthodes dites « agiles » de gestion de projets : des systèmes élaborés, des réunions dynamiques avec des objectifs clairs et des « sprints » de conception et de développement, qui les aident à suivre et à attribuer les tâches sans surcharger les personnes ni créer d'interruptions ou de redondances inutiles.
Du côté de l'éducation, nous pouvons commencer par observer (plutôt que par répliquer) les plateformes de microlearning (je suis, par exemple, en train d'analyser l'expérience utilisateur de l'application Drops), ou les microcertifications d'Udacity, où nous voyons une intégration plus systémique des acteurs dans le processus d'enseignement-apprentissage, une évolution du processus d'évaluation de connaissances et un changement dans la reconnaissance de compétences.
Comme je disais au début, aujourd'hui ce sont les plateformes qui dictent comment nous devons travailler ou faire un cours à distance. Notre défi est de faire exactement le contraire afin de reconcevoir l'expérience humaine des interactions en ligne (synchrones et asynchrones) dans un esprit de conception participative. Tant dans le monde du travail, comme dans le monde de l'éducation, nous avons une nouvelle opportunité de ne pas répliquer et de ne pas construire une version numérique de ce que nous faisions avant.
Chargée de mission pour l'usage du numérique éducatif
4 ansTout à fait d'accord avec ton analyse. Il est important de "garder la main" sur la manière dont nous utilisons notre temps, nos compétences et notre énergie. Les méthodes de partage de savoirs et d'expériences utilisées dans l'éducation populaire peuvent nous y aider.