L'expropriation du patron !
Pendant longtemps, l'avocat du dirigeant-actionnaire d'une société en redressement judiciaire a pu tenir un discours rassurant à son client.
En effet, pour peu que la société soit en mesure de bâtir un plan de redressement pour sortir des difficultés rencontrées (restructuration de la dette, étalement du passif, apport d'argent frais...), le dirigeant-actionnaire était assuré de rester en place, même contre l’avis des uns et des autres (tribunal, actionnaires minoritaires, partenaires, créanciers…) et l’on pouvait alors affirmer : « On n’exproprie pas le patron en droit français ! ».
Mais (bien ou mal ?), tout a changé en 2008, car l’ordonnance du 18 décembre a créé un article L.631-19-1 du code de commerce prévoyant notamment que, si le redressement de l’entreprise le requiert, le tribunal peut ordonner la cession des titres du dirigeant à un prix fixé à dire d’expert.
Depuis 2008 on peut donc exproprier le patron, le plus souvent à vil prix, compte tenu du moment où intervient une telle cession : en procédure de redressement judiciaire, c’est-à-dire en plein cœur des difficultés de l’entreprise.
A l’été 2015, un coup de chaud, sans doute, a conduit certains à remettre en cause la constitutionnalité de cette disposition et le Conseil Constitutionnel a été appelé à se prononcer sur la question.
Las, les sages ont estimé que mettre à la porte – au nom du bien de l’entreprise – son dirigeant (et souvent fondateur), relevait de l’intérêt général et ne portait pas atteinte à son droit de propriété ni au principe d’égalité (Décision n°2015-486 QPC du 7/10/15).
C’est donc sur une base solide que la Cour de Cassation a pu tout récemment préciser certaines modalités pratiques de cette éviction (Cass. Com. 26 janvier 2016, n°14-14742).
Notre Haute Juridiction a jugé que la cession forcée peut être ordonnée lors de l’adoption du plan de redressement et que l’article L.631-19-1 n’exige donc pas « qu'à la date de l'adoption du plan, le dirigeant ait [déjà] été définitivement évincé après le paiement de la valeur de ses droits sociaux ».
Cruel sort réservé dans telle hypothèse au dirigeant qui pourra avoir sué sang et eau pour permettre la présentation du plan et se voir privé, au tout dernier moment, de la possibilité de continuer l’aventure…
Ultime offense, dans l’attente de la réalisation effective de la cession (détermination du prix, préparation des actes…), le tribunal pourra désigner un mandataire de justice chargé, immédiatement, d’exercer le droit de vote attaché aux droits sociaux du dirigeant.
Cet arrêt doit conduire le conseil du dirigeant actionnaire, dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire, à analyser le plus en amont possible la façon dont celui-ci est perçu par tous les intervenants à la procédure (administrateur judiciaire, parquet et tribunal en tête).
Si le dirigeant est en odeur de sainteté, alors le risque de cession forcée est minime et il sera l’homme (ou la femme) de la situation pour le redressement de l’entreprise.
Si pour une raison ou une autre, le dirigeant est – ou devient – indésirable, alors son avocat devra envisager tous les moyens d’optimiser sa sortie, afin d’éviter la double peine de l’expropriation et de la fixation d’un prix de cession au rabais.
Feeling et diplomatie sont donc de mise en la matière !