L'héritage, l'atout à double tranchant des sociétés familiales
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L'héritage, l'atout à double tranchant des sociétés familiales

Miruna Radu-Lefebvre, titulaire de la Chaire Entrepreneuriat Familial à Audencia Business School et Ameline Bordas, chargée d'études à Audencia Business School

Lourde à porter, l'histoire de l'entreprise familiale constitue une base sur laquelle la nouvelle génération d'entrepreneurs doit construire sa propre identité et le futur de l'entreprise.

Pérennité, ancrage territorial, vision sur le long terme et résilience face à la crise… Autant d'atouts qui portent les entreprises familiales. Mais pour continuer à être performantes sur leurs marchés, l'entreprise et la famille aux commandes doivent préserver et transmettre leur héritage entrepreneurial dans le temps.

Entretenir la créativité initiale

Pour la famille, l'héritage entrepreneurial correspond à des valeurs d'autonomie, de créativité et d'engagement, et à la capacité à détecter des opportunités et à mobiliser les ressources nécessaires pour les exploiter sur un marché adapté. Ces valeurs, attitudes et comportements sont transmis aux jeunes au sein de la famille lors de l'enfance et de l'adolescence. En sociologie, on appelle cela la « socialisation primaire ». Lorsque ces jeunes commencent à travailler dans l'entreprise, une nouvelle étape est franchie, celle de la « socialisation secondaire », permettant aux nouvelles générations d'apprendre le métier, de se sensibiliser aux défis du marché et de puiser dans leur créativité pour faire fructifier les avantages compétitifs de l'entreprise.

Du côté de l'entreprise, il s'agit de préserver la capacité à entreprendre des salariés au-delà de la première génération du fondateur. Ces capacités entrepreneuriales constituent une ressource stratégique forte permettant d'affronter avec succès les aléas économiques et les attaques des concurrents en se renouvelant en permanence. C'est le cas de Bris Rocher, qui a intégré l'entreprise de son grand-père Yves à 16 ans, pour en devenir seize ans plus tard PDG, en 2010. Il a depuis largement fait ses preuves en diversifiant l'activité du groupe Rocher. Un succès couronné cette année par le prix Choiseul le nommant « Premier leader économique de demain ». D'autres héritiers ont relevé l'entreprise familiale de difficultés, tel que Serge Dassault, qui a quintuplé la valeur du groupe en vingt-cinq ans de présidence. Sa détermination et sa patience, valeurs transmises par son père, lui ont permis de gravir tous les échelons du groupe et de le restructurer dans les années 1990, avec pour mot d'ordre : « Le passé ne doit pas être paralysant. »

Concilier continuité et changement

Dès leur plus jeune âge, les enfants issus de familles en affaires évoluent dans un environnement valorisant l'entrepreneuriat. Les histoires racontées en famille sur la fondation de l'entreprise, ses défis et les stratégies employées par les anciens pour y répondre constituent une base d'informations, de croyances et de valeurs fortes qui permettent aux jeunes de comprendre les racines de la résilience de l'entreprise familiale. Cette lecture du passé sous un angle entrepreneurial permet aux nouvelles générations de donner du sens à l'histoire de leur famille et peut les inciter à s'engager eux aussi dans la continuité de ces aventures.

Une étude récente réalisée par Miruna Radu-Lefebvre, Vincent Lefebvre, Jean Clarke et William B. Gartner explore la manière dont les successeurs familiaux s'approprient l'histoire familiale tout en navigant entre nécessité de concilier continuité et changement. Les successeurs familiaux sont plongés dans une histoire qui les dépassent, qui a commencé bien avant eux et qui, s'ils travaillent dur et performent, continuera après eux. Le poids de cette histoire peut s'avérer lourd à porter : certains renoncent par peur de ne pas être à la hauteur, d'autres avancent avec, en ligne de mire, la nécessité de préserver l'héritage entrepreneurial tel qu'il leur a été transmis. D'autres, enfin, osent exprimer un besoin ardent de changement, se posant en désaccord avec l'histoire familiale. Mais le véritable défi des nouvelles générations serait plutôt celui de réussir tout à la fois à préserver l'ADN de la famille et de l'entreprise, et de le faire évoluer pour bâtir leur propre futur et leur identité d'entrepreneur, différente et unique. C'est le pari réussi de Fleury Michon, piloté par Grégoire Gonnord, président du conseil d'administration et quatrième génération de l'entreprise familiale.

Cet article a été publié dans Les Echos + https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/reprendre-une-entreprise/0302311342699-l-heritage-l-atout-a-double-tranchant-des-societes-familiales-324084.php

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