L'hôpital face à l'épidémie, une lecture de la situation comme processus

Le confinement peut constituer un moment d’observation, et de partage de celle-ci. Dans cette perspective, il peut être intéressant de considérer la situation de l'hôpital face à l’épidémie de covid-19 à travers la grille de lecture d’un processus. Certes, avoir recours à la sémantique d’une activité productive peut étonner, mais effectuer un tel pas de côté propose une prise de recul originale d’une part, permettant de s’affranchir d’autre part des passions qui accompagnent le sujet. En assumant ce parti pris (en utilisant de nombreux guillemets par la suite), le processus peut ainsi être succinctement décrit :

On constate de nombreux décès dans le système de santé en général, et dans les hôpitaux en particulier. Celui-ci dispose par définition d’une capacité de traitement limitée des patients (ce serait une erreur à ce stade d’alimenter le débat sur les décisions budgétaires des politiques publiques de santé). Or il apparaît que le nombre de patients s’approche, puis devient supérieur à la capacité de traitement. L’hôpital ne créant pas ses propres patients, il ne peut plus répondre à la pression qui lui est imposée par les « fournisseurs » de patients. Ces « fournisseurs » se situent ainsi en amont de l’hôpital, et sont constitués des membres du corps social qui propagent le virus.

En remontant cette chaîne, on note donc que « l’approvisionnement » en patients malades s’effectue à une vitesse supérieure à celle qui permet à l’hôpital de « produire » un patient guéri à partir d’un patient malade (augmentation exponentielle du nombre de malades tous les jours contre une à deux semaines de rémission). Il se créé donc un « stock » de patients, qui ne peut être absorbé dans un délai « admissible » (rappelons qu’il s’agit de vies humaines). L’enjeu d’une mesure telle que le confinement n’est donc pas tant de faire disparaître le virus, que de ralentir sa propagation de manière à ramener « l’approvisionnement » en patients malades sous le takt time de l’hôpital. De cette manière, il s’agit de revenir à une situation où le système de santé demeure en capacité de prendre en charge régulièrement ceux qui en ont besoin. Or, l’augmentation exponentielle du nombre de malades, et le mode de transmission, constituent des variations importantes dès le début de cette chaîne de valeur. De plus, les événements actuels valident le fait qu’une situation de « non-qualité » (ici la « production » d’un individu malade) demande d’autant plus d’effort qu’elle doit être corrigée en aval du processus. Il sera donc toujours mieux d’éviter la non-qualité le plus en amont possible (ici en restant chez soi), plutôt que d’avoir à en corriger les effets démultipliés (ici en saturant des capacités de réanimation).

Bien entendu, il ne s’agit pas de considérer la vie humaine comme une simple question de production ; l’objectif est de rendre visiblement rationnel le phénomène qui se produit actuellement. Surtout, il s’agit d’insister sur l’énorme pouvoir que chaque individu peut avoir sur la maîtrise du phénomène. Qu’il choisisse de mépriser ce phénomène et il l’amplifiera. Qu’il s’astreigne à appliquer une mesure simple à la portée de n’importe quel individu, et il participera à sauver des vies en permettant à ceux dont c’est le métier de l’exercer. De l’échelle individuelle à l’échelle collective, la somme de la réduction des variations individuelles donne une ampleur collective considérable à l’effet recherché.

On peut s’obstiner à ne pas vouloir comprendre ces interactions, mais cela n’empêchera pas d’évoquer l’opposition philosophique entre l’éthique de la conviction de soi-même (en séparant l’événement de son rapport à soi, comme cela est pratiqué dans le vaudeville), et celle de la responsabilité individuelle vis-à-vis du contrat social et de l’intérêt général.

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