Libération Digitale

On assiste de mon point de vue à un phénomène assez remarquable et inattendu dans le monde de l'entreprise en ce moment. Il s'agit de la conjonction entre transformation digitale et libération de l'entreprise. Remarquable tant les deux sujets portent des bouleversements radicaux des entreprises et inattendu tant l’une a une connotation technologique dévastatrice très actuelle et l’autre a une dimension managériale objet de réflexions et rares mises en pratique depuis près d’un siècle.

C’est la conviction personnelle que cette conjonction n’est pas fortuite, l’une renforçant l’autre, que je voudrais partager, sans prétention ni autre ambition que d’ouvrir une fenêtre sur cette question.

La révolution numérique à laquelle nous assistons et qui touche depuis quelques années nos entreprises porte un certain nombre de caractéristiques largement décrites et dont nous sentons tous les manifestations à des degrés plus ou moins forts dans nos environnements professionnels. L'échelle de temps se raccourcit considérablement,  le temps réel dans les interactions devient la norme. L'innovation requiert une ouverture de l'entreprise dans toutes ses composantes sur un environnement multiple, diffus et connecté : la transparence, l'ouverture (open source, open data, open architecture, API) deviennent incontournables. L'agilité est une obsession et nécessite la constitution de modes de collaboration qui bousculent les organisations : conduite de projets en méthode  agile, devops,  coopérations avec des startups, développement des réseaux sociaux d'entreprise comme de réelles plateformes de travail coopératif en mode ouvert. Le partage est source d’enrichissement collectif. Le test des hypothèses et la mesure des résultats deviennent les critères de décision, rendant moins nécessaire le recours à l’opinion des « décideurs » : tout se mesure, la démarche « try and learn » se generalise.

Le temps qui s'accélère, l'ouverture, la multitude, l'agilité mais aussi la complexité de cette transformation de l'environnement économique et concurrentiel, tout ceci est incompatible avec le fonctionnement « command & control » d’entreprises mises sous pression autant par le marché qu’en interne, et, de mon point de vue, va inévitablement s'accompagner d'une remise en question de nos modes de gestion. Des circuits de décisions plus courts, plus d'autonomie,  des organisations plus évolutives, flexibles, moins figées sont nécessaires pour faire face aux enjeux de la transformation digitale.

L'entreprise libérée apporte une réponse inattendue à cet enjeu de révision de nos modèles de management. Celle-ci propose la constitution de petites équipes autonomes, dans un mode d’intra-entrepreneurs, autodéterminées, disposant des ressources nécessaires à leur activité, du pouvoir de décision, de rôles évolutifs selon les besoins. L'entreprise libérée propose également une transparence totale de l'information, condition nécessaire à une prise de décision éclairée. La confiance est le socle de ces entreprises ; les contrôles et les processus d’approbation sont réduits au strict minimum, forts de la confiance retrouvée et de la responsabilisation des collaborateurs, tout ceci concourant à la réactivité de l’entreprise.

En redonnant la capacité de décision aux équipes opérationnelles, en s'affranchissant des contraintes de l’organigramme et des fiches de poste, plusieurs effets positifs peuvent être soulignés.

Les délais de décision sont considérablement accélérés. La responsabilité est assumée par les équipes opérationnelles, dans le respect d’une consultation des parties prenantes. L’engagement des parties prenantes est libre, résultat de leur réelle adhésion et non d’une contrainte d’exécution.

La prépondérance de la culture de confiance versus la culture de contrôle stimule aussi la prise d'initiative. La prise de risque et le droit à l’échec sont valorisés.

La démarche "try and learn" est facilitée par le nombre d'équipes susceptibles de lancer des expérimentations et par la capacité d’initiative des équipes.

En outre, en redonnant le pouvoir aux équipes opérationnelles, en contact direct et permanent avec leur environnement, l'entreprise développe une multitude de capteurs sur l'évolution des besoins des clients, sur les nouvelles formes de concurrence émergentes, chacun capable de tirer parti des opportunités ou de réagir à des menaces, et chacun se sentant responsable de réagir à ces évolutions (puisqu'il n'est pas dans l'attente qu'un autre département lui apporte une solution).

L'entreprise libérée favorise également la transversalité des relations (« je construis avec et j’engage») par opposition à la ligne hiérarchique verticale (« je fais valider par mon chef et ça devient force de loi »). Elle répond à l'exigence de développer des communautés de travail au sein des entreprises et avec l'extérieur.

Enfin l’entreprise libérée apporte l’agilité grâce à la souplesse de son modèle organisationnel. Les collaborateurs ne sont pas enfermés dans des fonctions ; ils prennent des engagements et assument des rôles parfois à leur propre initiative, en fonction des exigences dont ils prennent conscience.

C’est ma conviction : transformation digitale et entreprise libérée sont des mots qui vont très bien ensemble. Et mon autre conviction est que beaucoup d’entreprises, et non des moindres ces dernières années, parfois à la façon de M. Jourdain, parfois sans le dire, mettent en place des mécanismes de libération ("empowerment") des salariés. Le changement est en marche.

Tout ceci rend la période de transformation que nous vivons exceptionnelle, passionnante et riche d’espoirs.

Quelques sources d’inspiration :

• Entreprises libérées : Groupe Hervé, Chronoflex
• Le mix organisation (Jacques Jochem, Hervé Lefèvre)
• Liberté & Cie (Isaac Getz, Brian M. Carney)
• Exponential Organizations (Salim Ismail)
• Reinventing Organizations (Frédéric Laloux)
• Les géants du web (Octo Technology)
• Lost in Management (François Dupuy)