Liberté d'éducation
En cette rentrée si délicate, se joignant à l’hommage rendu hier à Samuel Paty dans tous les établissements scolaires, le texte de l’écrivaine martiniquaise Suzanne Dracius publié dans France-Antilles Martinique et Madinin Art
Liberté d’éducation
par Suzanne Dracius
Il incarne, héroïque, non seulement la liberté d’expression mais, sacro-sainte, la liberté d’éducation.
Samuel Paty s’efforçait d’insuffler l’esprit de liberté, il s’ingéniait à expliquer le génie de la tolérance, il s’appliquait à proclamer méthodiquement, sans violence, la liberté d’expression, il s’employait à exalter la force de la pensée, et un insensé le fit taire, mais sa voix résonne ad vitam aeternam.
Il affirmait courageusement le refus de la résignation à l’obscurantisme et il fut décapité, massacré de la plus barbare, de la plus archaïque façon.
Il faisait son métier de prof, accomplissait sa noble tâche de professeur d’histoire qui en a dans la tête, donnait un indispensable cours d’instruction civique, l’EMC, « enseignement moral et civique ». (L’instruction, du latin « instruere », « élever, bâtir, munir, outiller, assembler », aspire à élever les esprits, visant « plutôt la tête bien faite que bien pleine », à l’instar de Montaigne.)
Il a été décapité mais des myriades de têtes repoussent là où sa tête fut coupée. Là où sa gorge fut tranchée repousseront des myriades de têtes clamant à pleine gorge liberté d'expression, liberté d'éducation, refus de la soumission.
Le flambeau de l’esprit des Lumières n’a pas eu le temps de tomber, un autre l’a rattrapé au vol, un autre l’a déjà transmis, des myriades d’autres enseignants se relaient et se relaieront à l’infini pour pallier l’ignorance et les défaillances des parents, corriger les erreurs d’interprétation inculquées à mauvaise école.
Nous ne nous laisserons pas terroriser et défendrons non seulement la liberté d’expression mais aussi, mais surtout, la liberté d’éducation, – nous rappelant que le verbe latin « educere » est formé de « ex » (hors de) et de « ducere » (conduire) –, la liberté de mener et d’être mené sans aveuglement hors des sombres sentiers d’abjection et de prostration en préservant sa liberté de pensée tout en ménageant les sensibilités, – ce que fit ce professeur en permettant aux élèves musulmans de ne pas regarder, s’ils se sentaient choqués, les images litigieuses qu’ils jugeraient irrévérencieuses. Car le délit de blasphème n’existe pas, grâce à Dieu, quel que soit le nom qu’on lui donne, dans la France laïque et républicaine des Droits de l’Homme, et ce prof n’a pas blasphémé (du grec βλασφημία, substantif correspondant au verbe βλασφημέω qui signifie « parler mal de quelqu'un, attenter à la réputation, injurier, calomnier ») ; il n’a pas dit du mal, il a rempli sa mission de prof, il a montré, enseigné, illustré la leçon sur la liberté d’expression, le refus de l’agenouillement, de la soumission, coûte que coûte, la tête haute.
En Martinique, antan longtemps, quand on disait « l’instruction », ça voulait dire « l’instruction religieuse ». Mais c’était il y a des siècles, ce fut un passage obligé d’où émergea le progrès ; aujourd’hui l’instruction est et doit être laïque à l’école de la République.
Suzanne Dracius
Fort-de-France, 16 octobre 2020