L'idéologie de l'urgence

L'idéologie de l'urgence

« Le client est au cœur de la transformation digitale : c'est autour de lui que toute la stratégie s'organise. Lui faciliter la vie, à l'heure où l'on commande un taxi en moins de 15 secondes, où les plateformes web ont imposé une ergonomie maximale, et aussi mieux le connaître pour prévoir ses attentes, ses besoins, ses points de blocage... sont donc autant d'enjeux vitaux. » (La tribune, M. Lozano, 27/02/19).

Voici ce que l’on peut lire dans les revues économiques aujourd’hui…une traduction de notre monde devenu accro à l’immédiateté. Le client veut tout, tout de suite, maintenant…et si çà ne va pas, il s’en va……il faut donc capter ce client, répondre à son besoin d’instantanéité, c’est vital nous dit-on !

Vital ??!

Quelle étrange affirmation alors qu’au quotidien, dans beaucoup d’ entreprises, on voit tout sauf de la vie !

Est-ce vraiment vital ? Ou n’est-ce pas plutôt mortel ?! Stress, burn out, mal-être au travail, conflits, jusqu’au suicide parfois : mais que nous faut-il de plus ??!

Est-ce vital de mettre sous pression les équipes pour se transformer en urgence ? est ce vital de rabâcher sous forme d’incantation qu’il faut changer, à marche forcée, se digitaliser vite, le plus vite possible. C’est vital ? mais vital pour qui, en fait ?!

Que voulons-nous finalement ? Voulons-nous céder aux caprices d’un « enfant -roi » devenu « adulte-client-roi » et qui considère que tout doit lui être donné, de suite ?

Sommes-nous devenus totalement fous ?

« Pour expliquer ce glissement, il faut rappeler les processus qui sont à l’origine de cette modification du rapport au temps, dont l’urgence constitue le symptôme le plus exacerbé : le premier est de nature économique et consiste en la transformation du mode de régulation de nos sociétés occidentales qui sont passées peu à peu d’une régulation planifiée par l’Etat à une régulation assurée dans l’instantanéité par la logique des marchés financiers. Le second processus est technologique et consiste en la révolution survenue dans le domaine de l’information par la fusion des télécommunications et de l’informatique » (Laïdi, 1997, Castells, 1998).

Toujours plus vite, vite vite…il faut se transformer…mais pour quoi ? « Mais enfin pour répondre aux impératifs du marché ! » : aux impératifs ? mais ces impératifs, c’est nous-mêmes qui nous les fixons ! Nous nous tuons nous-mêmes avec nos propres croyances ! Comme le fabricant d’un vélo dont le rythme de pédalier ne serait pas fait pour l’Humain mais auquel celui-ci devrait s’adapter de force pour pouvoir faire du vélo ….Bienvenue en Absurdie !

Il faut se transformer dans ce monde « complexe » …haaaa…ce monde « complexe »….le mot est lâché…..un monde d’autant plus complexe d’ailleurs que l’on se plait à le complexifier : car à bien y réfléchir, le monde n’a rien de complexe ; ce qui est devenu complexe, c’est de sortir de l’absurdité de notre système qui a perdu le Sens……On broie de l’humain sous couvert de l’impérieuse nécessité de se transformer pour gagner en rentabilité : un véritable cercle vicieux qui pour survivre anéantit ses propres ressources !

On pourrait en rire si ce n’était si grave.

Ce que Nicole Aubert appelle « Les pathologies de l'urgence » : nous pouvons chercher à cerner les caractéristiques des managers " malades de l’urgence ", qui se plaignent d’être confrontés à l’obligation d’agir sans cesse dans une urgence extrêmement contraignante. Ce qu’il y a de plus frappant chez ceux, c’est qu’ils se disent dans l’impossibilité d’agir autrement que selon ce mode : l’Urgence apparaît dans leur discours comme une nécessité absolue, sans qu’il soit possible de remettre en cause ce qui constitue pour eux un postulat de base.

Un postulat pourtant erroné et avilissant.

La performance a besoin de temps car le cerveau humain a besoin de temps : pour analyser, penser, réfléchir. Les environnements anxiogènes de l’entreprise d’aujourd’hui nuisent à la performance dans un monde où il faut être toujours plus rapide, quitte à surchauffer…. Et cela vaut dans l’entreprise comme dans la société. Malgré tous les signaux, la grande mascarade continue : « une aliénation insidieuse qui favorise la pensée brève, superficielle » nous dit Christophe André…On survole les sujets dans tous les domaines : information, éducation, etc. et on s’étonne des résultats.

Il en va du cerveau comme du climat : les scientifiques nous alertent depuis des années…et ?

« On sait bien que les entreprises, sans cesse en danger d’être dépassées et anéanties par d’autres dans un contexte de mondialisation et d’intensification extrême de la concurrence, sont confrontées à la nécessité de devoir fournir toujours plus vite des réponses appropriées. Il semble néanmoins que la pratique de l’action en urgence déborde souvent les limites du nécessaire et finisse par s’ériger en idéologie » poursuit Nicole Aubert. Une idéologie au service d’un système finalement totalement contre-productif.

« Ce fonctionnement s’érige souvent en un véritable système d’action qui valorise l’urgence en tant que telle, l’idée étant qu’une entreprise vraiment efficace est censée vivre sous une pression temporelle permanente. Une sorte d’idéologisation de l’urgence » (Usunier, 1995).

L’entreprise efficace est celle qui sait donner le temps au temps, en s’affranchissant de cette idéologie de l’urgence. Il appartient à chacun de nous de décider de ralentir : ralentir pour mieux travailler, ralentir pour mieux vivre ensemble, ralentir peut-être aussi pour nous sauver.

Notre responsabilité de centre de formation en Management est de former des managers compétents : et la compétence çà n’est pas de l’immédiateté. L’apprentissage a besoin de temps, de maturation. Dans une société vouée au « dépassement de soi » compulsif, dogmatique, ne serait-il pas préférable de travailler sur « l’accomplissement de soi », en se donnant le temps ?

Cela nous semble être le meilleur gage de performance : remettre l'Homme au coeur de l'entreprise, c'est créer une environnement propice à sa réflexion, à son analyse, et donc à son développement.

Alexandre Pacifico

 

Didier Eclimont

Directeur des formations chez DELIX FORMATION. Prise de parole en public. Eloquence.

5 ans

Je conseillerai à tous les managers de se mettre à l’horticulture afin de comprendre la gestion du temps et de cultiver leur jardin comme il disait. Tout est urgent? Si on prenait à nouveau le temps de penser avant d’agir , cela serait déjà une amélioration. Réagir n’est pas un acte de souveraineté.

Tellement vrai !

Bruno SCHMAUCH

Directeur Services & Solutions DEXIS France

5 ans

Très pertinent !

Je suis entièrement d'accord avec cette analyse; n'oublions pas toutefois que nous faisons également partie de ce système et qu'il nous faut être extrêmement vigilants pour ne pas devenir acteur de cette fuite en avant. Cela commence par notre propre comportement de "client" exigeant de l'immédiateté, autant que notre comportement de collaborateur, ou de fournisseur, acceptant de courir sans cesse plus vite. Merci pour cet article.

Je partage pleinement votre analyse. Donner du sens à nos actions est essentiel mais encore faut il que pour les mener à bien, le manager comprenne et maîtrise entre autre l’ environnement social dans lequel II évolue. Le digital doit rester un outil au service de l’entreprise sans asservir les hommes et les femmes qui la constitue

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