L'illusion de l'intelligence ... artificielle.
LE TURC MÉCANIQUE, C'EST TOI, C'EST MOI, C'EST NOUS !

L'illusion de l'intelligence ... artificielle.

Curious IT est fier de vous présenter : « Le turc mécanique » ou « l’illusion de l’intelligence… artificielle »

Dans 5 minutes tu sauras raconter une anecdote historique digne d’un roman de Jules Verne, défaire les illusions que tissent souvent les start-ups et autres éditeurs sur la nature de leur « waow technologie » et discuter en société des avantages et inconvénients du « crowd sourcing ». 

Vienne dans les années « 70’s » … « 1770’s ».

Voilà qu’un automate échappé d’un roman d’inspiration steampunk sème la pagaille dans la haute société de l’époque. A travers toute l’Europe, l’émoi gagne : un être mécanique défie ses contemporains biologiques aux échecs et fait pleuvoir les « échec et mat ». L’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche et Benjamin Franklin feront partie de la foultitude d’adversaires de la savante mécanique.

Conçu par Wolfgang von Kempelen, l’automate joueur d’échecs se présente sous la forme d’un mannequin partiellement articulé installé à l’arrière d’un meuble et au-dessus du plateau caractéristique d’un jeu d’échecs. Les spécifications voulues par son concepteur lui permettent entre autres de :

  • jouer une complète partie d’échecs,
  • se saisir des pièces et de les déplacer de lui-même,
  • mouvoir sa tête par deux fois en cas de mise en péril de la reine adverse et par trois fois lors d’un de la mise en échec du roi,
  • d’identifier une tentative de tricherie de la part de son adversaire,
  • de résoudre le « problème du cavalier d’Euler », une colle mathématico-logique par laquelle il convient de faire visiter au cavalier du jeu d’échecs l’intégralité des cases du plateau de jeu sans jamais passer deux fois par la même case.

Ce qui fait de l’automate joueur d’échecs un modèle bien plus animé qu’un robot sur une chaîne de production automobile et plus savant qu’un robot-ménager moderne. Comble du raffinement le tout s’accompagne de délicats bruits d’horlogerie laissant s’imaginer une mécanique ingénieuse et complexe. A une époque où l’Orient éveille les curiosités et les fantasmes, que l’Empire Ottoman ne décline encore point et que la vague littéraire et picturale orientaliste n’a pas encore pris son essor, l’automate hérite très rapidement du sobriquet de « Turc mécanique ». Et pas sans raison. L’allure générale de l’automate est très largement inspirée des figures du sorcier autant que du mystique.

Wolfgang von Kempelen aurait-il inventé la première intelligence artificielle dès le XVIIIème siècle ? 

Coupe transversale du truc mécanique – un problème est toujours plus simple à résoudre lorsque l’on possède déjà la réponse à l'énigme. 

Eh bien, non.

Comme certains d’entre vous l’auront pressenti nous traitons ici d’un canular. Un canular certes mais un canular superbe mêlant :

  • illusionnisme, la machinerie pouvait être inspectée par les spectateurs mais un habile jeu de perspective permettait à un complice de se tenir dans le meuble et d’activer les mouvements de l’automate,
  • ingénierie, car si la finalité est assimilable à un tour de magie il aura fallu créer la mécanique et faire preuve de connaissances certaines en magnétisme,
  • audace, celle qu’il aura fallu pour oser mettre en place un tel stratagème et le présenter à la cour de l’impératrice d’Autriche,
  • ruse, notamment par les points de détail mis en œuvre pour détourner l’attention du public du meuble principal : mouvements de tête de l’automate, une ambiance empreinte de mysticisme, un boitier de contrôle, autant de techniques mettant les spectateurs sur de fausses pistes d’explication,
  • résistance au stress, celle qu’il aura fallu pour conserver le secret alors que l’engouement pour le « turc mécanique » se faisait chaque jour plus important. Imaginez-vous un instant la pression subie par von Kempelen alors qu’il décide de démonter l’automate pour ne plus avoir à en faire de représentation et que l’empereur Joseph II lui ordonne de le remettre en fonctionnement pour présenter à nouveau l’automate à un parterre de têtes couronnées ?

A cette liste de qualité, nous pourrions ajouter l’anticipation, tant le principe du « Turc mécanique » s’est répandue dans notre société technologique moderne.

Vraiment ; vous n’en avez jamais vu ?

Ce que l’enquête a révélé.

Le « Turc mécanique » est l’analogie idéale pour illustrer toutes les situations où une « WAOUW technology » ne se base pas sur des techniques de pointe mais sur le travail consciencieux de travailleurs de l’ombre.

Les cas d’usages sont nombreux et existent partout où :

  • la technologie trouve ses limites
  • la technologie coûte plus cher à mettre en œuvre que de déléguer des tâches de saisies manuelles.

Par exemple :

  • dans le retail les tickets de caisse ne sont pas toujours lisibles et occasionnent des saisies manuelles lorsque les solutions d’OCR cafouillent (OCR pour « optical caracter recognition »),
  • sur You Tube, il est plus efficace de confier la tâche de rédaction des sous-titres à un intervenant que de laisser l’algorithme générer le texte « à la volée », à moins d’avoir pour objectif de générer des sous-titres dans une langue inconnue,
  • réaliser de l’analyse d’images ; notamment en mettant des tags sur les images ou en renseignant des métadonnées,
  • filtrer du contenu potentiellement problématique,
  • intégrer des relevés de prix ou compléter un catalogue produit,
  • produire du contenu pour des sites spécialisés,
  • faire semblant d’être un chatbot,
  • etc.

L’activité visant à confier ces tâches à du personnel porte le nom de « crowdsourcing », littéralement une externalisation auprès d’une foule. La foule est ici vue comme une masse où les individus ne sont pas distincts les uns des autres et peuvent donc se porter volontaire pour une tâche rémunérée, quelles que soient son âge, sa nationalité, son pays de résidence, son parcours professionnel.

L’objet n’est pas ici de déterminer si cette stratégie de sourcing est « bien » ou « pas » mais juste d’en expliciter la mécanique. En effet, si le principe est celui d’une place de marché où l’offre de tâches rencontre l’offre de temps disponible, le champ d’application peut entre deux plateformes se trouver diamétralement opposé. Je vous laisse étudier les propositions issues de trois plateformes : « Amazon mechanical turk » (www.mturk.com), FouleFactory (www.foulefactory.com) et Innocentive (www.innocentive.com). Entre l’attribution d’une tâche non qualifiée, quantitative et répétitive pour palier au coût d’acquisition d’un système informatique  et l’organisation d’une compétition ouverte soumettant au public des problèmes que les spécialistes du domaine n’arrivent à résoudre, avouez qu’il y a un monde.

Les différentes stratégies de « crowd sourcing » pourront donner lieu à un billet plus approfondi sur le sujet si un intérêt se manifeste pour le sujet dans les commentaires. Mais prioritairement il y avait un sujet sur lequel je voulais aller.

Finalement, le turc mécanique : c’est toi, c’est moi, c’est nous.

C’est nous à chaque fois que le choix est fait de déporter une activité industrialisable vers un mode « soins palliatifs » constant nous devenons nos propres turcs mécaniques.

 Le turc mécanique, c’est nous lorsque :

  • l’on nous demande de saisir manuellement des données dans de multiples solutions informatiques,
  • lorsqu’un prestataire vante la qualité de son chatbot alors qu’il pousse des stagiaires à répondre à toutes sollicitations à des heures indues,
  • lorsqu’un simple « tchat » est présenté comme étant un « chatbot collaboratif »,
  • lorsqu’un moteur de règles métiers est vendu comme étant un système d’intelligence artificielle boosté au deep learning à l'apprentissage par renforcement (musculaire) et à la caféine,
  • Google nous demande de faire de la reconnaissance visuelle via ses captchas (un petit test permettant de distinguer un humain légitime à requérir le service d’un bot) en identifiant un mot, une suite de chiffre ou la présence d’une voiture sur une image.

Mais par extension le turc mécanique peut aussi être un ensemble de ressources serveurs que l’on booste pour dissimuler les piètres performances d’une application mal conçue. 

 A ceci donc, deux réponses :

  • en interne, identifier les zones industrialisables et déterminer s’il est opportun de mettre en œuvre une solution. En effet le coût de mise en œuvre de la solution peut être bien trop important pour être validé mais au moins, vous saurez pour quelles raisons vous devez retaper votre matricule douze fois sur dix applications (vous n’avez fait que deux erreurs de saisie, ce n’est pas mal du tout !)
  • avec les externes, acquérir assez de recul sur les offres des prestataires pour séparer le bon grain de l’ivraie ; ce qui relève du « marketing » de la réalité de la solution.

Plus simple à dire qu’à faire. 

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