L’impact du décret « sous-traitance » du 3 janvier 2024

L’impact du décret « sous-traitance » du 3 janvier 2024

Nous le savons tous, le dispositif CPF a été une source d’enrichissement illégal, de pratiques trompeuses et d’abus en tous genres, exploité par nombre de pseudo organismes de formation sans scrupules, et il était plus que nécessaire de faire du ménage dans ce secteur.

En revanche, à trop vouloir faire la chasse aux sorcières, les différents lois et décrets tuent à petit feu les organismes sérieux, et notamment les plus petits (dont je fais partie).

Illustration :

Dirigeante d’un organisme de formations en langues depuis 15 ans, j’ai démarré mon activité comme formatrice de français et d’allemand, avec une formatrice d’anglais et une d’italien à mes côtés, intervenant toutes les deux en tant qu’auto-entrepreneuses, statut tout nouveau à l’époque en 2008.

En 15 ans, ma petite entreprise a grandi. Depuis 2016, je ne forme plus car au regard du développement de l’activité (bonne nouvelle !), je ne pouvais plus être au four et au moulin (en cours et au bureau), et je me suis recentrée sur la gestion et le développement de Linguapolis, puis embauché une assistante administrative et commerciale en CDI.

Ma petite équipe a grandi puisque je fais intervenir aujourd’hui une trentaine de formateurs, tous triés sur le volet, sélectionnés par mes soins pour leur savoir-faire et leur savoir-être, indispensables pour intervenir chez mes clients en 10 langues. Certains travaillent beaucoup pour moi, d’autres moins ou très ponctuellement.

Comment fonctionne un organisme de formation en langues comme le mien ?

Nos clients s’engagent en général sur des modules de 30 à 40 heures, en très grande majorité sous forme de cours individuels, qu’ils soient financés par leur CPF ou par le plan de développement des compétences de leur entreprise. Nous sélectionnons donc le formateur qui nous parait le plus adapté à leur niveau, leurs besoins, objectifs, secteur d’activité… et à leur planning. Contractuellement, nous sommes systématiquement engagés vis-à-vis de nos formateurs par un contrat de prestation de service, et vis-à-vis de nos clients/apprenants par une convention, tous deux stipulant un délai d’annulation d’un cours de 48 heures. Impossible dans le monde du travail de faire autrement, il nous faut être flexibles par rapport aux impératifs d’un salarié en entreprise ou indépendant. Et il n’est pas rare qu’un apprenant demande à changer de jour ou d’heure au cours de sa formation.

Une organisation complexe mais flexible

Au regard de la complexité et des exigences du droit en matière de contrat de travail, comment s’adapter à cette fluctuation de l’activité ? Comment intégrer cette flexibilité incontournable dans un CDI, CDD ou CDII puisqu’il nous serait impératif d’y faire figurer des jours et horaires fixés à l’avance, et dans tous les cas soumis à un délai de notification de 7 jours en cas de modification, tout comme sur un volume horaire hebdomadaire ou annuel impossible à anticiper. Et lorsque deux clients souhaitent le même créneau, impossible de dédoubler un formateur…

Mes formateurs sont par ailleurs très demandeurs de la flexibilité qu’offre le statut d’auto-entrepreneur ou de profession libérale qui leur permet d’être maitres de leur planning, de diversifier les organismes et les publics auprès desquels ils interviennent, et de choisir les méthodes et supports pédagogiques adaptés à leurs apprenants. Cela représente également pour eux une faible contrainte administrative. Et ça tombe bien car ils veulent tous se concentrer sur leurs cours, et pas sur les démarches fastidieuses !

Pour toutes ces raisons, depuis 15 ans, nous fonctionnons en harmonie et en bonne intelligence, sans relation hiérarchique mais avec une réelle envie de travailler ensemble. L’avantage pour eux également est que si je les traite mal, ils ne voudront plus travailler pour moi !

Que se passe-t-il aujourd’hui ?

Les professions libérales (très minoritaires chez nous) vont devoir se certifier Qualiopi pour pouvoir continuer à intervenir sur nos modules financés par le CPF, alors que ce processus est coûteux ainsi qu’extrêmement administratif et chronophage. Bref, ils ne pourront et ne voudront pas le faire.

Les auto-entrepreneurs (les miens en tous cas) n’auront pas besoin de la certification Qualiopi car ils déclarent moins de 77K€ de CA par an. Bonne nouvelle ? Oui mais… non.

Car outre l’introduction de la certification, le décret du 3 janvier 2024 prévoit d’obliger les OF à ne pas sous-traiter plus de 80% de leur activité CPF. En clair, d’effectuer avec leurs effectifs propres au moins 20% de ladite activité. Cela est peut-être pertinent pour des gros faiseurs qui ne font que tirer les ficelles. Mais dans mon cas, nous connaissons nos clients et nous gérons l’intégralité du process dans ses aspects financiers, administratifs et pédagogiques. Où est le problème dans l’esprit Qualiopi ?

Un coût exorbitant

J’ai fait faire le calcul par ma comptable, et le résultat est sans appel : plus de 60% de surcoût si nous faisons intervenir un formateur salarié (quel que soit son type de contrat).

A ce jour, nous sommes très loin d’être dans les plus chers du marché pour des cours particuliers (soyons transparents, 66 € HT/h pour nos formations sur Sophia-Antipolis). Je pourrais donc potentiellement augmenter notre taux horaire et passer à 90 € ?

Or, nos clients (notamment les TPE/PME) ne disposent pas de budgets suffisants pour prendre en charge ce qui ne l’est pas par leur OPCO. Et les OPCO limitent déjà leur prise en charge en général entre 15 et 50 € de l’heure et montrent du doigt les OF qui dépassent cette prise en charge en se référant aux « prix du marché ». Et pas sûr non plus que les entreprises qui nous règlent en direct apprécient beaucoup ce coup de massue…

Idem pour le CPF pour lequel les budgets des actifs sont limités. La Caisse des Dépôts pointe d’ailleurs une augmentation du prix des formations. Par ailleurs, les exigences en matière de certifications éligibles au CPF (suivi, statistiques, contrôle…) ont tellement augmenté que les certificateurs ont fait exploser leurs tarifs en introduisant notamment un forfait annuel que nous sommes bien obligés de répercuter d’une manière ou d’une autre dans nos tarifs.

Que décider pour 2024 :

·         Augmenter mes tarifs en salariant un formateur à temps partiel ? Sachant que s’il a fait toutes les heures prévues au contrat, je ne pourrai plus le faire intervenir car il ne peut pas me facturer d’autres heures comme indépendant. Il pourrait donc être perdant. Mes clients seront également mécontents de payer plus cher… et la Caisse des Dépôts aussi.

·         Ou dois-je me retirer du dispositif CPF et faire une croix sur 30% de mon activité au risque de fragiliser l'entreprise encore davantage?

Je crains fort que les décideurs de ces lois et décrets n’aient voulu faire rentrer tous les organismes dans les mêmes cases. Sachant que le nombre d’OF ayant déjà fortement chuté depuis l’introduction de Qualiopi, qu’attend-on des OF aujourd’hui ? Quid du modèle économique de la plupart des OF de langues ? Et nous prépare-t-on le même décret pour les formations au titre du PDC ?

Après la réforme de 2018, la dématérialisation du CPF, Datadock, Qualiopi, la pandémie (dont nous avons mis plus de 2 ans à nous remettre), le reste à charge CPF qui est toujours en suspend, et des décrets qui changent la donne en permanence, qui aujourd’hui peut se projeter ne serait-ce qu’à moyen terme dans ce secteur. Et qui pourra y survivre ? Comment s’adapter à cette énième contrainte ?

Mesdames, Messieurs parlementaires et faiseurs de loi, je vous invite à venir rencontrer les acteurs sur le terrain et pas seulement dans les salons de la République pour prendre des décisions en toute connaissance de cause et ancrées dans notre réalité quotidienne. Et pourquoi pas prendre en considération certaines spécificités en adaptant ces règles… vite !

Catherine Aygen

Prendre la parole en anglais avec confiance, clarté et impact | Dirigeante d'A Star Formations, certifié Qualiopi | Consultante Formatrice & Neurolanguage Coach® | Formations & coaching

10 mois

Merci pour cet article Véronique Langer. Comme dit Magali Badina, les problèmes de fraude ne sont pas réglés par tous ces decrets. Aujourd'hui, j'ai lu qu'il y aura un reste à charge de 10% à payer par les salariés pour toute formation CPF : les OF et les stagiaires seront tous punis pour l'utilisation du CPF...

Marie-Gabrielle Di Nunzio (Marro)

Votre partenaire professionnelle 🤝Coache sénior Certifiée 🌍 Facilitatrice en Intelligence Collective ⚛Consultante en transition professionnelle : Bilan compétences / VAE

10 mois

Le décalage entre la réalité du terrain, savoir s'adapter aux besoins des clients et la volonté d'un cadre uniforme quelle que soit la taille de l' OF va fragiliser des organismes qui ont fait la preuve de leur qualité humaine et professionnelle. Ton article sonne juste Véronique Langer

Magali Badina

J'accompagne les entreprises dans leur politique de prévention des risques professionnels - Dirigeante et fondatrice de AUDIT AZUR PRÉVENTION (AAP) #risquesprofessionnels #prévention

10 mois

Merci Véronique ! Ton article est très pertinent ! Il faut impérativement que cela bouge …. Le législateur est complètement déconnecté du terrain comme dans beaucoup de domaines… Ces textes ne font qu’empêcher les OF de travailler et ne règlent pas le problème de la fraude.

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