L’index senior, vous en pensez quoi ?
Dans le cadre de la réforme des retraites en France, le gouvernement a annoncé la semaine dernière la création de cet indicateur, à l’instar de l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, afin de faire évoluer les pratiques des entreprises en matière d’emploi des seniors.
Et quel enjeu !
L’enjeu est de taille, car si le taux d’emploi des 55-64 ans a progressé au cours des quinze dernières années (38 % en 2008 contre 56 % en 2021), la France reste en dessous de la moyenne européenne (60,5 %). Et ce taux d’emploi n’est que de 35,5 % pour les 60-64 ans.
Et les Français ne s’y trompent pas. Dans l’enquête menée par KANTAR TNS - MB pour le Mouvement des Entreprises de France en 2022, l’âge reste de loin la crainte de discrimination la plus redoutée en entreprise. En effet, pour les personnes qui craignent d’être victime de discrimination sur le marché du travail, il est la première source de discrimination potentielle (43%) et plus encore pour les femmes (46%, contre 41% pour les hommes).
Un index, mais quels indicateurs ?
Cette mesure était portée par l‘ ANDRH - Association Nationale des DRH et a été proposée en 2019. En octobre 2022, BENOIT SERRE , son président avait expliqué dans Les Echos, que deux séries d'indicateurs pourraient constituer cet index. L’une serait ciblée sur les plus de 55 ans, avec un focus sur leur accès à la formation, à la mobilité professionnelle ou encore sur les aménagements du temps de travail rendus possibles pour ces salariés seniors. Une seconde série évaluerait la façon dont l'employeur prépare son personnel au tournant des 55 ans (parcours certifiant, acquisitions de nouvelles compétences, préparation à de nouveaux métiers pour les 45-54 ans, taux de recrutement des plus de 50 ans). Plus récemment et en réaction aux mesures annoncées, Benoît Serre a suggéré que ces indicateurs incluent le taux d’accès à la formation », la mobilité interne ou le taux d’embauche des plus de 55 ans (AFP).
L’index senior ne sera jamais la photographie parfaite de la réalité des seniors, tout comme l’index de l’égalité professionnelle ne reflète qu’une partie de l’égalité entre les femmes et les hommes, en se centrant d’abord sur l’égalité salariale.
A la différence de ce qu’ont laissé entendre plusieurs commentateurs, il est certain que l’on ne peut s’en tenir à un seul taux d’emploi des personnes séniors, à l’instar du taux d’emploi relatif à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH), car la réalité de l’emploi des seniors est complexe. Elle a trait, certes à leur effectif, mais aussi à leur promotion et leur formation et à la pénibilité, tout en tenant compte des métiers et des secteurs d’activité, mais aussi des équilibres entre les générations (l’emploi des jeunes…). Il faudra donc faire des choix…
L’index égalité professionnelle, quelques rappels…
Créé par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, l’index de l’égalité professionnelle est obligatoire depuis en 2019 pour les entreprises de plus de 250 salariés et, depuis 2020, pour toutes celles de plus de 50 salariés. Publié au 1er mars, il mesure les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes et met en évidence les points de progression sur lesquels agir quand ces disparités sont injustifiées.
Pour les entreprises de plus de 250 salariés, les indicateurs permettant de calculer l’index égalité professionnelle sont au nombre de 5 (4 pour les entreprises de 50 à 250 salariés) :
1. L’écart de rémunération entre les femmes et les hommes
2. L’écart de taux d’augmentation individuelle de salaire (hors promotion)
3. L’écart de taux de promotion entre les femmes et les hommes
4. Le pourcentage de salariées ayant bénéficié d’une augmentation dans l’année de leur retour de congé maternité (non pris en compte pour les entreprises de 50 à 250 salariés)
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5. Le nombre de salariés du sexe sous-représenté parmi les 10 salariés ayant perçu les plus hautes rémunérations
Sa note est calculée sur 100 et si les entreprises ont un niveau de résultat inférieur à 75 points, les mesures de correction doivent être publiées sur le site internet de l’entreprise lorsqu’il en existe un.
Le gouvernement se réjouit que 61% des entreprises de plus de 50 salariés aient publié leur note (85% pour les entreprises de plus de 1 000 salariés) et que la note moyenne progresse d’un point par rapport à 2021 (86/100 en 2022 et 84/100 en 2020). 92% des entreprises dont la note est calculable ont une note supérieure à 75. Cet index égalité professionnel est plutôt un succès, selon un rapport parlementaire de 2022 remis par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale qui soulignait que les entreprises étaient de plus en plus nombreuses à publier leurs résultats et que les notes obtenues étaient en amélioration constante. Néanmoins, Oxfam , dans son bilan du quinquennat 2017-2022, reproche à l’index de ne pas refléter la réalité des inégalités de salaire, qui s’élèvent en réalité à 16 % à travail égal. L’association engagée sur la thématique des inégalités dénonce également un seuil de tolérance de 5 % sur les inégalités salariales et le fait que le critère de l’écart entre les hausses de salaire se calcule sur le nombre d’augmentations et non sur la somme de ces augmentations. Enfin, elle critique le défaut de sanctions réelles…Seulement 32 entreprises ont fait l’objet de pénalités financières selon le site du Gouvernement.
L’index senior, quel schéma ?
Cet index senior devrait être mis en œuvre par les entreprises de plus de 1 000 salariés en 2023, et par celles de plus de 300 salariés en 2024.
Il serait négocié dans chaque branche professionnelle pour tenir compte des spécificités de chaque secteur et de l’âge des salariés qui exercent ces activités.
Selon le ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion, Olivier Dussopt , les entreprises où l’emploi des seniors ne progresse pas ne seront pas sanctionnées, mais elles feront l’objet d’une obligation renforcée de négociation d’un accord social, afin d’améliorer la situation.
En revanche, il y aurait une sanction financière, si l’entreprise refusait de renseigner l’index, de rendre publics ses résultats. Elle serait calculée en pourcentage de la masse salariale des entreprises concernées, comme c'est le cas pour l'index sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
L’opposition du patronat et des syndicats de salariés
Dans une interview dans Le Monde, le 13 janvier de cette année, le président du Medef, Geoffroy Roux de Bezieux se dit opposé à cet index. Il craint que l’outil soit difficile à appliquer dans toutes les entreprises comme des start up et qu’il crée de « lourdes contraintes aux entreprises ». De surcroit, une entreprise dégraderait sa note si elle embauchait beaucoup de jeunes apprentis, alors que cette démarche est vertueuse (déclaration AFP du 4 janvier 2023).
Les syndicats CGT et la CFDT sont peu favorables à cette mesure, car elle n’empêchera pas les licenciements des seniors et parce qu’il n’y aura pas de sanctions pour les mauvais élèves, dont l’index ne sera pas bon.
Autre critique : cet index ne concernera qu’un quart des salariés français et non pas les fonctionnaires, ni les personnes travaillant dans des entreprises de moins de 300 salariés.
Et restons réaliste, l'index senior ne résoudra pas à lui seul l'épineuse réforme des retraites...Il n'en constitue que l'un des outils…
A ce jour, si cet index est une excellente nouvelle pour l’emploi des séniors, son succès va dépendre de la finesse des indicateurs choisis, sans qu’il soit trop complexe à calculer de la part des directions. Dans un rapport sur les mesures à prendre « pour favoriser l'emploi des salariés expérimentés » remis au gouvernement en 2020, Sophie Bellon , Olivier Mériaux et Jean-Manuel SOUSSAN proposaient d’ailleurs de passer par une expérimentation « pour concevoir, tester et évaluer un outil de type 'index'' dans différents environnements professionnels, en mobilisant également des experts praticiens et des académiques ».