L’industrie agroalimentaire au Mali, la transformation des produits locaux, quelle grosse arnaque!
Samedi je dois recevoir une cohorte de plusieurs jeunes filles qui souhaitent se lancer dans l’entrepreneuriat et la plupart dans la transformation agroalimentaire. Elle seront avec moi pour plusieurs semaines et je dois les accompagner dans la réussite de leurs projets respectifs. Je suis très heureuse de pouvoir transmettre mon expérience du secteur avec ces jeunes filles tellement enthousiastes et vivantes ; depuis lundi je suis en train de préparer mon PowerPoint en essayant de mettre le maximum de choses utiles et inspirantes pour encore plus les motiver.
Plus je réfléchis plus ma conscience et mon esprit critique me rattrapent et m’empêchent d’avancer. Ma conscience me dit « Nabou, pourquoi tu veux motiver des jeunes filles à se lancer dans un secteur aussi difficile, complexe et peu rémunérateur que la transformation agroalimentaire ? Est-ce que ces jeunes filles savent tout ce que tu as traversé pour en arriver là…. Là ne voulant pas dire forcément réussir car la plupart des gens associent la réussite à la réussite financière, ce qui n’est pas encore ton cas avec Maya. Est-ce que tu leur a bien expliqué cela ? »
J’en arrive à faire ma propre analyse de la situation et voici ce que j’en ai tiré :
J’ai commencé la transformation agroalimentaire il y a 3 ans pour plusieurs raisons mais la raison la plus importante était que je voulais contribuer à changer les choses au niveau de l’agroalimentaire et pousser les gens à manger local ; je suis convaincue que c’est comme ça qu’on va sortir de la pauvreté. Très peu de gens quittent la sécurité de l’emploi pour un projet aussi « farfelu » mais disons que dans mon cas c’était inévitable ; mes deux parents sont entrepreneurs, l’entrepreneuriat c’est tout ce que je connais après tout et il était temps pour moi de choisir un combat noble auquel je consacrerait ma trentaine.
En 3 ans nous avons créé une marque locale dont nous sommes fiers ; nous avons pu monter un vrai business qui emploie 10 personnes dont 9 femmes ; nous avons une unité de production qui peut produire 100 000 produits/ mois ; nos produits sont distribués au Mali, au Burkina, au Sénégal et on a des clients en France, au Canada, en Suisse; tous les jours nos clients nous écrivent pour nous dire à quel point ils aiment les produits ; nous avons une certaine notoriété dans le monde de la transformation agroalimentaire locale ; l’aventure Maya est une inspiration pour certaines personnes.
Mais en 3 ans nous avons aussi failli faire faillite à maintes reprise faute de liquidités; j’ai dû m’endetter personnellement et laisser toutes mes économies dans cette aventure ; j’ai perdu beaucoup d’argent ; nous avons déposé une dizaine de dossiers de financement qui n’ont eu aucune suite ; certains mois nos employés sont payés le 20 ; l’unité de production utilise entre 10 et 30% de sa capacité faute de fond de roulement ; nous nous sommes fait avoir par plusieurs de nos soit disant partenaires ; mes revenus ont été divisés par 5.
Pour faire face à tous ces coups durs il a fallu faire preuve de ténacité ; fermer les yeux sur les difficultés et se concentrer sur les réussites du quotidien ; j’ai dû créer une autre entreprise, (eh oui faut bien gagner sa vie, lolll) qui aujourd’hui accorde des lignes de crédit à Maya pour qu’on puisse produire ; j’ai dû faire appel à toutes mes ressources intellectuelles que j’ai acquise à l’université, en école de commerce mais aussi dans mes expériences professionnelles passées pour mettre en place des stratégie marketing, financières, commerciales pour Maya ; j’ai dû mettre mes intérêts et mon confort de côté et ne penser que pour l’entreprise pendant 3 ans.
Les sacrifices que j’ai cité plus haut ne sont pas propres à moi mais à toutes les personnes qui évoluent dans ce secteur. Nos ainés qui ont commencé la transformation il y a 20 ans ont les mêmes problèmes que nous et honnêtement ça, ça prouve qu’il y a un souci. Je dois avouer qu’au début, le manque d’expérience et la jeunesse me poussaient à croire que nous, « la nouvelle génération » nous pouvions faire mieux que nos ainés et qu’il nous faudra 2 ans grand maximum pour lever des millions et construire des usines.
La vérité c’est que ni notre génération, ni l’ancienne ni la nouvelle ne pourra réussir en transformant uniquement les produits locaux et en étant dans ce même contexte. Il suffit d’ouvrir les yeux, la plupart des opérateurs économiques maliens qui sont dans l’industrie agroalimentaire transforment et/ou conditionnent des produits importés ; oui des produits importés comme les bouillons en poudre Made In China qui se transforment en bouillons Made in Mali ou du lait en poudre Made in Belgium qui devient du yaourt Made In Mali ou encore le blé Made In Morroco qui devient de la farine Made In Mali. Ils ne vont jamais se compliquer la vie à faire du fonio précuit ou de la tomate concentrée. Il se contentent de faire une transformation sommaire de produits semi transformés en s’assurant de faire des profits. Il sont félicités par l’État, par les PTF pour leur forte contribution à créer des emplois au Mali malgré tout et arrivent à lever des fonds beaucoup plus importants car leur activité est très peu risquée. Pendant ce temps, nous, nous voulons changer le monde en faisant des produits locaux pour aider nos chaines de valeurs etc… bref à nous fatiguer pour finalement très peu de reconnaissance. A quoi bon travailler pour le Mali, transformer des produits maliens, aider les agriculteurs maliens si le Mali préfère aider d’autres filières comme le thé et la tomate chinoise, le lait de Nouvelle Zélande ou le sucre de Bolivie? A quoi bon se fatiguer à trouver des emballages, aller chercher les matières 1ères à Mopti (rires) et venir les trier, presser, pasteuriser alors qu’on peut rajouter de l’eau à des poudres chimiques, les appeler jus naturel et inonder le marché avec? Pourquoi nous encourage-t-on à prendre le fardeau de la valorisation des produits locaux tandis que ceux qui ont des épaules plus fortes que les nôtres ne le font pas ? Notre récompense est matérialisée par une trophée prix par ici, un voyage par-là, un stand offert à une foire… mais cela n’est pas suffisant pour pousser toute une jeunesse vers l’utopie de l’agrobusiness sachant que la plupart vont échouer.
Pourquoi est-ce que l’État et les PTF continuent à demander aux jeunes de se lancer dans un secteur qu’eux même ne soutiennent pas et dans lequel il vont se heurter à beaucoup de difficultés tandis que dans d’autres secteurs comme le commerce, le BTP, le textile, les services sont plus évidents ? Est-ce que ce n’est pas une façon de sacrifier notre jeunesse ? Tout le monde sait qu’on ne peut pas se lancer dans l’industrie sans argent beaucoup d’argent, et que les banques ne prêtent pas au secteur agricole, encore moins aux jeunes sans garantie ; tout le monde sait qu’organiser une filière est beaucoup trop risqué et compliqué, pourquoi continuer à demander aux jeunes d’organiser les filières qu’ils ont décidé de valoriser ? N’est-ce pas le travail de l’État?
D’autre part il serait bien de se renseigner sur le profil des « jeunes champions de l’agrobusiness » au Mali et dans la sous-région. Pour avoir eu la chance d’en connaître plusieurs, je peux dire que ce sont des personnes qui ont un certain background, il sont souvent ingénieurs, scientifiques, ont fait des études très prestigieuses, parlent plusieurs langues, ont vécu à l’étranger et disposent d’un réseau très puissant; certains sont la 2ème génération et ont repris le business de leurs parents. Ces personnes qui ont « réussi » dans l’agrobusiness sont non seulement très peu nombreux, mais aussi relativement exposés aux problèmes aléas du secteur car plusieurs d’entre eux ont une activité de conseil à côté ou un autre business qui leur garantie des revenus confortables.
Après cette longue réflexion qui bien sûr n’engage que moi, j’ai décidé de quand même recevoir ma cohorte de jeunes filles samedi ; on va commencer la journée par une longue discussion sur le secteur afin de les informer de ce qui les attend; puis je leur expliquerai pourquoi l’excellence académique est importante pour réussir dans tout et qu’il n’est jamais trop tard pour retourner à l’école, ça ne fera que faciliter leur chances de réussite ; ensuite je leur ferai un petit cours sur le développement d’un produit et sur l’innovation comme me l’a appris Hélène quand j’étais à Philips ; et enfin je leur montrerai comment on fait du piment en conserve, et d’autres choses. Après tout elles sont libres de choisir leur voie, mais quel genre de leaders serions-nous si nous ne tenions pas un discours de vérité à nos petits frères et sœurs? Ce serait compromettre leur réussite et ce n’est pas ce qu’on veut. Je m’excuse d’avance pour avoir en quelque sorte porté atteinte au « sutura » du secteur mais ma toute nouvelle casquette de Responsable de la communication du réseau les Nouveaux Leaders de l’Agrobusiness en Afrique (NALA) ne me permet plus de taire certaines choses.
A étudié à ECOSUP Alternance (école supérieure des métiers du commerce et de la Gestion)
1 ansVraiment très bel article.
CEO & Educator | Accredited Trainer & Consultant | PgMP®, PMP®, CAPM®, ITIL®4, PRINCE2®7
1 ansSeynabou, thanks for sharing!
Keep Going ! Seynabou ! ESSEC Business School is proud of having you as one of their alumni ASSOCIATION DES DIPLOMES DU GROUPE ESSEC
Promoteur Université Privée AGRISUP-SEGOU école supérieure d'agriculture et D'ÉLEVAGE- Mali
5 ansFELICITATION POUR TON INTERVENTION A L'ATTELIER DE AGRIPROFOCUS AU PATRONAT DE BAMAKO , COURAGE ET SURTOUT DEVELOPPE TES AFFAIRES SI POSSIBLE EN IGNORANT CES GRANDS PATRONS DES BUREAUX DES SERVICES PUBLICS MALIENS. BONNE CHANCE. GILLES KONE PROMOTEUR AGRISUP SEGOU.
Bachelor of Business Administration - BBA chez Groupe IAM
5 ansMerci beaucoup pour l'analyse Il faut savoir que le Malien n'a dû que pour la facilité