L’innovation : une nostalgie ? ;)
Bonjour aux étudiant.e.s du M2 « Management de la Technologie et de l’Innovation » de l’Université Paris Dauphine- Mines Paris Tech, à l’origine de l’organisation d’un événement, le «MTI expérience », qui a eu lieu le 22 Mars 2023.
Cet événement aura sûrement été : « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie. » Lautréamont (1869)
J’espère que vous allez bien.
Vous aviez eu la gentillesse de me proposer d’intervenir. Hélas, je n’ai pas pu me rendre disponible pour votre bel événement. J’aurais pourtant été ravi…
La thématique choisie « Nostalgia : la quête pour l’innovation » dessine en effet de multiples pistes.
Alors, à ma façon, j’en partage quelques-unes :
J’aurais pu évoquer une lecture « littéraire » ou « sensible » de la nostalgie. Ici, par exemple, il y a cette référence au temps qui file et à ces moments qu’on finit par regretter… sans perdre pourtant le souvenir d’autres moments moins… réjouissants.
Extrait de « I’m not a robot », série coréenne, épisode 4. « Certains moments deviennent des souvenirs d’un temps qu’on finit par tant regretter … Certains moments deviennent de beaux souvenirs qui ne se reproduiront jamais … Et… certains moments... »
J’aurais pu rappeler que dans l’opéra de Debussy Pelléas et Mélisande, Mélisande disparaît comme elle est apparue : sans un bruit, sans un mot, en silence. Son existence fut une fugitive apparition. Personne n’a rien vu, rien entendu. À la fin de l’opéra, Arkel s’étonne : « Je n’ai rien entendu… Si vite, si vite… Elle s’en va sans rien dire… » – « Oh ! loin d’ici… loin, loin » –, dit-elle d’un pays sans nom qui désigne bien plus une âme sans repos.
Ici, c’est à la fois la singularité de chacune de nos vies et l’ouverture vertigineuse (inquiétante ?) à un questionnement sur notre existence à tous qui est évoqué.
J’aurais pu vous parler d’un poème de Jacques Prévert qui s’appelle « Le désespoir assis sur un banc ». Il se termine ainsi : « Et vous restez là / Sur le banc, Et vous savez vous savez Que jamais plus vous ne jouerez Comme ces enfants, Vous savez que jamais plus vous ne passerez Tranquillement Comme ces passants, Que jamais plus vous ne quitterez un arbre pour un autre Comme ces oiseaux. »
Ici, c’est la conscience du temps qui passe et la façon dont il nous travaille. Mais ne quittons pas (nous ne devons pas quitter) un rapport poétique au monde avec lequel nous sommes entrelacés.
Pour les 15 minutes qui m’étaient imparties, me rappelant le lieu où mon intervention devait avoir lieu et ce lien entre nostalgie et innovation que vous me proposiez d’explorer, j'aurais fait encore quelques liens avec la Psychologie et plus particulièrement l’Analyse Systémique et sa pensée du changement.
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Je vous aurais dit que l’’approche systémique définit deux registres de changement. (Voir Paul WATZLAWICK dans Changements. Paradoxe et psychothérapie).
- Le changement dit de niveau 1 qui s’appréhende ainsi : « un événement a est sur le point d’avoir lieu, mais a est fâcheux. Le bon sens voudrait qu’on l’évite ou qu’on l’empêche en faisant appel à son inverse ou son opposé, c’est-à-dire à non-a (…), mais il n’en résulte qu’une « solution » de changement 1. Tant qu’on recherche la solution à l’intérieur de la dichotomie a et non-a, on est pris dans une illusion du choix possible, et on reste pris aussi bien en choisissant l’une que l’autre des deux issues possibles. »
- Le changement dit de niveau 2 qui se caractérise par 4 points :
1) Le changement 2 modifie ce qui apparaît, vu du changement 1, comme une solution, parce que, vue dans la perspective du changement 2, cette « solution » se révèle être la clé de voûte du problème qu’on tente de résoudre.
2) Alors que le changement 1 semble toujours reposer sur le bon sens (par exemple sur une recette du genre « plus de la même chose »), le changement 2 paraît bizarre, inattendu, contraire au bon sens : il existe un élément énigmatique et paradoxal dans le processus de changement.
3) Appliquer les techniques du changement 2 à la « solution » signifie s’attaquer à la solution ici-maintenant. Ces techniques s’occupent des effets et non des causes supposées ; par conséquent, la question capitale est quoi ? et non pourquoi ?
4) Le recours à des techniques de changement 2 dégage la situation du piège générateur de paradoxes que créée la réflexivité de la tentative de solution (sans succès). Il place la situation dans un nouveau cadre.
Et j’aurais sans doute pu terminer en ajoutant cette phase (toujours de Paul Watzlawick) qui me semble s’approcher de ce qui peut vous intéresser dans la notion d’innovation – et afin de faciliter (tant que faire se peut) des échanges entre nous :
« Choisir enfin de ne pas choisir, c’est-à-dire de rejeter le choix lui-même, c’est l’essence du changement 2. »
Paradoxe ? ;)
Voilà. Merci pour votre invitation. Une nouvelle fois, désolé de n’avoir pu y répondre. Mais je tenais quand même à être un peu parmi vous.
Bien cordialement,
Gilles ROLLAND