L'intelligence artificielle en 2018
Provenance : Shutterstock

L'intelligence artificielle en 2018

Lors du sommet sur l'intelligence artificielle "AI For Humanity" du 29 mars dernier, le Président de la République a présenté la stratégie française pour aborder le sujet et remettre la France au cœur de l'échiquier mondial. Ceci est l'occasion de faire un point sur les domaines et usages de l'IA, puis sur quelques grandes tendances de l'IA en 2018 afin de vérifier si cette démarche française a du sens.

Domaines et usages de l'IA

Commençons par revenir à la base, c'est à dire quels sont les grands domaines d'application de l'IA et les grands usages associés. Je ne reviendrais pas sur la définition que vous trouverez dans un autre de mes posts. S'il n'y a pas encore de segmentation claire et partagée quant aux domaines d'application offerts par l'IA, je propose d'en citer cinq qui me semblent prédominants en 2018.

1. La vision artificielle. Ce domaine va de la reconnaissance d'images (textes, visages, objets, lieux) à la classification de celles-ci via des tags, et à la détection d'activité. C'est un des domaines que l'on retrouve notamment dans les véhicules autonomes (détection d'obstacles, analyse de l'environnement en temps réel) ou bien dans l'imagerie médicale. La précision dans ce domaine devient très bonne (+ de 99% de réussite dans certains cas) du moment que l'on a assez de données pour entraîner le modèle (la problématique se pose donc dans les situations pauvres en données, même si l'on est capable de créer des images, entraînant un surcoût non négligeable)

2. Le langage (incluant entre autres la parole et le texte). De la reconnaissance au traitement, à la génération et à la recherche, ce sont les technologies que l'on retrouve dans les moteurs de recherche, dans les chatbots et dans les générateurs de texte. Si le remplacement des journalistes n'est pas pour demain, la génération de reporting, la traduction automatique en temps réel et le support utilisateur sont des usages qui se développent rapidement. C'est également un des domaines impactant fortement les ressources humaines (analyse de candidats, rédaction d'annonces, mais également analyse de personnalité, et outils de travail adaptés).

3. L'analyse et la compréhension de données. En s'appuyant principalement sur du big data, il s'agit de prédire des comportements à partir de grandes quantités de données. Ces techniques sont particulièrement utilisées dans les fonctions de marketing et vente (acquisition, transformation, fidélisation), pour la détection de fraude ainsi que pour la maintenance prédictive (prévoir les défauts, incidents, réparations, etc.). Il se pose ici la question du périmètre : est-ce que de simples analyses statistiques peuvent être considérées comme de l'IA ?

4. La robotique (à la fois physique et numérique). Je mets dans cette catégorie les robots dans les usines de production (existant depuis de nombreuses années) auxquels on ajoute des fonctions d'apprentissage et de compréhension. J'y adjoins également tout ce qui est RPA (robot process automation) correspondant aux logiciels qui automatisent des tâches simples réalisées sur ordinateurs (processus de facturation, de paiement, etc.)

5. La cybersécurité. C'est l'un des enjeux majeurs de l'IA, notamment avec l'augmentation conséquente du nombre d'attaques informatiques, permettant à la fois la surveillance globale des systèmes informatiques et la détection de failles via la simulation d'attaques.

Lorsque l'on crée des solutions d'intelligence artificielle, on réalise généralement une combinaison des différentes technologies. Ainsi, le véhicule autonome intègre une partie de chaque domaine cité (la vision pour se repérer et se déplacer, le langage pour communiquer avec l'usager, l'analyse de données pour prévenir les réparations et accidents, la robotique pour l'automatisation des tâches et la cybersécurité).

En parallèle, on voit que l'IA impacte tous les secteurs d'activités avec des usages multiples. A titre d'exemples, voici une liste de 100 start-ups couvrant de nombreux secteurs et cumulant une valorisation de $11,7 Mds.

Quelques tendances pour l'année à venir

Au niveau humain

Etant donné la diversité des domaines d'application et des technologies à maîtriser, la première tendance est l'augmentation extraordinaire de la demande en expertise. Les profils de data scientist, d'expert machine learning, etc. sont extrêmement demandés par les entreprises, ce qui conduit mécaniquement à une explosion des rémunérations (à l'instar des traders dans les années 2000). Selon un rapport de l'entreprise chinoise Tencent, il y aurait 300 000 experts de l'IA pour une demande mondiale de 1M.

Par ailleurs, on s’aperçoit sur de nombreux cas d'usage que l'IA ne peut pas gérer une situation de manière autonome mais doit s'appuyer sur une décision prise par l'homme. On parle d'intelligence augmentée, combinée à l'intelligence humaine. Cela amène les hommes à se concentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée, nécessitant une transformation de leur métier plutôt qu'une simple suppression. S'il est globalement admis que l'IA va détruire des emplois (à la fois ouvriers "cols bleus" et employés de bureau "cols blancs"), elle va aussi en modifier et en créer de nouveaux. Il y a donc bien un enjeu de formation et de conduite du changement à traiter.

Au niveau de l'entreprise

L'entreprise traditionnelle doit comprendre cette vague technologique et la mettre en oeuvre afin de survivre voire de créer un avantage concurrentiel durable. Cela passe selon moi par trois phases : (1) une évangélisation de la technologie et des possibilités offertes, (2) le lancement de projets (sous forme de POC) sur des cas d'usage clés à forte valeur ajoutée et (3) une prise en compte de ces modifications sur le business model de l'entreprise et sur ses processus métiers. Elle devra également définir une stratégie au niveau de ses ressources : développer un centre d'expertises interne et favoriser une croissance organique versus faire des acquisitions et des partenariats. On voit en parallèle apparaître des entreprises technologiques fournissant des solutions d'IA non pas sous forme de produits mais en tant que services ("ML as a service") à l'effigie d'Amazon ou de Google.

En complément, on peut prévoir à moyen terme une restructuration de l'écosystème de start-up. Après la hype de l'année 2017 et la survalorisation de certaines entreprises, seules celles avec les meilleurs business models, alliant technologie et usages, survivront (1 100 nouvelles start-ups sur l'IA ont été créées depuis 2016).

Au niveau technologique

L'IA peut être vu comme un ensemble de briques technologiques devant s'appuyer sur des sources de données afin générer de la valeur. On voit donc une intégration de l'IA au sein des objets connectés et de l'IoT plus largement (en particulier au niveau industriel). Deux phénomènes s'opposent ayant chacun leurs avantages : (1) l'intelligence centralisée, dans un cloud versus (2) une intelligence embarquée dans l'objet. Dans le premier cas, cela permet une vision holistique et un croisement des données facilités, là où le second limite les problèmes de latence (temps de réponse pour un véhicule autonome par exemple) et la consommation d'énergie (communication permanente versus périodique). La décision est à prendre selon les cas d'usage et les choix de l'entreprise. On peut également imaginer une intégration de l'IA dans la blockchain, même si la technologie et les cas d'usage sont peu matures pour le moment.

Une domination de certains acteurs

Sans surprise, la Chine et les Etats Unis dominent le financement de l'IA dans le monde, comme le montrent ces graphiques de CBinsight avec 87% des euros investis. Il y a de plus une véritables course aux rachats de start-up entre les géants du numérique, notamment Google, Apple et Intel. Pour l'écosystème français, cela ramène à la question des sources de financement possibles et de la liquidité du capital.

La stratégie française

En s'appuyant sur le rapport de Cédric Villani, la France décide donc d'établir une stratégie pour s'approprier le sujet et le développer avec une volonté de rattraper son retard voire de se positionner en acteur majeur. Elle se décompose selon les quatre piliers suivants :

1. Développer et conforter l'écosystème français et européen, notamment en termes de formation et de recherche (création d'un hub de recherche national au meilleur niveau mondial grâce à nos universités et écoles, doublement du nombre d'étudiants formés, renforcement des synergies recherche <> industrie)

2. Mettre en place une politique d'ouverture des données publiques, notamment sur les secteurs ayant un potentiel d'excellence, par exemple la santé (plateformes d'échange de données publiques / privées, cadre européen de l'utilisation des données (cf. l'application du RGPD en mai), création d'un hub de données de santé)

3. Créer le cadre réglementaire et financier favorable au financement des projets français, notamment sur les thématiques de santé, de mobilité et de défense (réglementation pour les véhicules autonomes, financement via un fond de 1,5 Mds € pour le quinquennat, utilisation de l'IA pour améliorer la politique publique)

4. Engager une réflexion sur les enjeux politiques et éthiques de l'IA afin de permettre une meilleure compréhension et acceptabilité par les citoyens (communication sur les algorithmes utilisés et leur fonctionnement, contrôle et certification des algorithmes, l'utilisation des données privées, l'impact sur l'emploi, etc.)

La démarche proposée me semble reposer sur de bonnes bases, mais les moyens financiers mis en oeuvre paraissent bien trop faibles pour concurrencer efficacement les mainmises Américaine et Chinoise et pour se positionner en acteur majeur.

En parallèle, il me semble que la France doit s'appuyer davantage sur son écosystème de grands groupes, PME, TPE et sur ses 270 start-up IA. Ce n'est pas le gouvernement qui portera la transformation et l'intégration dans les entreprises, mais bien les entreprises elles-mêmes. Le cadre réglementaire et financier sera donc primordial et devra être fait intelligemment et collaborativement.

Des réactions ou des remarques ? Ce post vous a plu ? N'hésitez pas à commenter ou à partager !

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Florian Canderlé

Autres pages consultées

Explorer les sujets