L'intelligence artificielle peut-elle comprendre les émotions de vos clients ?
Si je constate avec joie l'intérêt grandissant (mais encore bien trop limité) des entreprises sur une meilleure prise en compte des émotions dans leurs relations clients et leur management, je m'étonne beaucoup de l'apparition du sujet des émotions en liaison avec l'IA, Intelligence Artificielle. Comme si tout sujet complexe devait forcément se voir traiter par la machine. Est-ce que les managers ont tellement peur d'aborder le sujet des émotions qu'ils préfèrent s'en dérober en le renvoyant sur l'IA? J’espère que non !
En effet, lorsque nous abordons de manière pratique les questions émotionnelles dans le cadre de mes animations, je ne peux que constater que chacun a une perception bien propre à lui des émotions. Il me semble a priori bien délicat de vouloir synthétiser les perceptions moyenne d'une population sur une seule et unique forme d'intelligence logique qui ferait office de "gestionnaire officiel des émotions" et qui s'imposerai donc sur nos propres jugements. Serait-ce une forme de dictature des ressentis et des expressions corporelles ?
Mais peut-être suis-je rétrograde? Peut-être que je ne donne pas sa chance au progrès ? Ou bien peut-être que l'on parle à tord des possibilités de l'intelligence artificielle ?
Je vous livre ci-dessous quelques-unes de mes réflexions sur le sujet, après lecture de différents articles et ma participation à la conférence "Le procès de l'IA" organisée par la FNCPC en septembre 2019, il y a donc quelques jours :
- S'il est difficile de définir de manière universelle une émotion, toutes les définitions sérieuses conviennent du fait que toute émotion comprend une action physiologique, le corps est mis en action par l'émotion. Dans émotion il y a d'ailleurs "motion" qui signifie le mouvement. Si la réaction physique est provoquée par l'émotion, cela ne signifie par pour autant qu'une manifestation corporelle soit strictement liée à telle ou telle émotion (je peux pleurer de joie, me figer de la même manière par vigilance avant l'attaque que par peur avant la fuite, je peux rougir suite à un sentiment amoureux, une culpabilité, un agacement, accélérer mon rythme cardiaque ou ma respiration pour diverses causes émotionnelles...)
- Certaines études avaient mis en avant des similitudes entre les expressions du visage des êtres humains des 5 continents lorsqu'ils sont touchés par des émotions dites "primaires". Mais une autre étude portant sur l'expression de joie des vainqueurs de médailles démontreraient plutôt le contraire (Anna Tcherkassof, Les Émotions et leurs expressions, Presses universitaires de Grenoble, 2008.). Par ailleurs, si de grands auteurs comme Descartes ou Paul Eckman évoquent la notion d'émotions primaires, ce principe n'est pas vérifié par les neurosciences et est tout à fait discutable. Par exemple, le dégoût est considéré par Eckman et Darwin comme une émotion primaire, alors que Plutchnik la considère comme une combinaison de la colère et de la déception. Par ailleurs Joseph Ledoux & Muller estiment que des groupes d'émotions sont pilotées par différentes parties du cerveau, laissant donc à penser que le sujet est bien plus complexe que de simples émotions primaires que se mêleraient les unes aux autres. Peut-être que nous gérons directement des centaines d'émotions qui pilotent des centaines de comportements et réactions de notre corps...
- Tout cela correspond bien à ce que je constate lors de mes animations et formations, tant dans les domaines du management que du commercial et des relations clients : la perception des émotions et leur expression est très personnelle et individualisé. Si nous avons tout intérêt à apprendre à leur donner des noms et à échanger avec nos interlocuteur au travers de ces mots, cet échange est unique, et en aucun cas universel et adapté à tous. En donnant un nom à nos émotions, nous nous donnons la possibilité de la raisonner, c'est à dire de juger rationnellement de sa justesse ou non. De cette manière nous allons permettre sa régulation. Ce phénomène me semble totalement opposé à ce que l'on appelle à tort l'intelligence artificielle qui se résume aujourd'hui à une puissance de calcul gigantesque et dépourvue de toute imagination. L'intelligence artificielle se résume à ce jour à une puissance de "computationnelle" très élevée, mais qui reste très en dessous de nos capacités d'analyse complexe et très éloigné du fonctionnement de nos émotions.
- A ce titre, il me semble important de savoir former ses équipes à l'empathie et à développer son vocabulaire émotionnel, et au travers de cela son intelligence émotionnelle. A contrario, il me semble urgent de laisser les machines dans leur rôle de machine froide et sans émotion.