Liquidation judiciaire et cession de fonds de commerce: le mandat se transmet, mais pas de plein droit.
Com. 28 juin 2017, FS-P+B+I, n° 15-17.394
Préalablement à toute analyse et pour esquisser les contours de notre réflexion, souvenons-nous. Juin 1991, un bel été se profilait à l'horizon pendant que les lumières de la Cour d'appel de Paris précisaient dans l'ombre des Hommes l'une des règles essentielles de la cession du fonds de commerce:
"Il est de principe constant que le fonds de commerce n'est pas un patrimoine autonome, et ne comprend ni les dettes ni les créances du commerçant, et que, par voie de conséquence, les contrats en sont exclus" (CA, Paris, 19 juin 1991, D. 1992, Somm. 388).
Nous ne pouvons qu'affectionner très particulièrement cet arrêt dans la mesure où il complète la règle en édictant que:
"il n'est d'exception que pour certains [contrats] admis par la loi, à savoir les contrats de travail, d'assurance, d'édition et de bail. Pour tous les autres contrats, il appartient aux parties de prévoir leur inclusion, ce qui peut être fait, de manière expresse ou tacite, et dans le cas seulement où lesdits contrats n'ont pas été passés intuitu personæ".
Partant de cet arrêt, intéressons-nous à celui délivré par la Cour de cassation, commerciale, 28 juin 2017 dans lequel la problématique intéressait une cession de contrat litigieuse subséquente à une liquidation judiciaire. La société requérante avait conclu un mandat le 8 janvier 2011 avec la société Val de Vienne Immobilier pour une validité jusqu'au 7 janvier 2012 aux fins de recherche d'un domaine agricole. Cette dernière a été placée en liquidation judiciaire par jugement en date du 6 avril 2011. Le juge-commissaire autorise dans ces conditions la cession du fonds de commerce par ordonnance du 22 avril 2011, l'acte quant été signé le 30 septembre 2011 au profit de la société Val de Vienne Immobilier (nouvelle). La requérante, ayant acquis le domaine immobilier objet du mandat le 1er décembre 2011, est assignée par la société nouvelle Val de Vienne Immobilier aux fins de paiement de la commission prévue au contrat.
La société Pampr'Oeuf, la requérante au présent pourvoi, succombe en première instance et met le second genou à terre devant la Cour d'appel de Poitiers. Le résultat pour Pampr'Oeuf n'en est que considérable si l'on prend en compte le montant de la commission s'élevant à 460.460,00 EUR hors intérêts au taux légal. Nous l'aurons compris, un pourvoi en cassation est formé contre cet arrêt qui la déboute au motif que le mandat de recherche immobilière a été transféré de plein droit au cessionnaire du fonds de commerce liquidé. Selon les termes de l'arrêt, le mandat étant l'accessoire du fonds, le cessionnaire devenait alors bénéficiaire de cette commission. Nous pouvons dès à présent nous interroger sur la pertinence de cette solution au regard de l'arrêt de la CA de Paris sus-mentionné, par ailleurs confirmé à de nombreuses reprises, notamment Cass. Commerciale, 25 janvier 2000, RJDA 2000 n°644.
Au soutien de son pourvoi, la requérante invoque les dispositions de l'article 2003 du Code civil qui prévoit que la fin du mandat intervient à la déconfiture du mandataire. Le contrat de mandat aurait donc pris fin au jour du prononcé de la liquidation judiciaire et aurait été en conséquence insusceptible de transmission. Les juges de la Haute Cour ne sont pas réceptifs à cet argument tiré de l'article 2003 et rejettent le moyen au visa de l'article L.641-11-1 du code de commerce qui vient justement nuancer l'application de l'article 2003: Lex specialis derogat legi generali. Et la nuance est de taille:
Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture ou du prononcé d'une liquidation judiciaire.
Dès lors, il s'agissait d'un raisonnement erroné de considérer la fin automatique du mandat au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire. le mandat en question ne s'est pas éteint du fait de la déconfiture du mandataire, tout simplement puisque s'applique le régime des contrats en cours et à ce titre il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L.641-11-1 III et IV que nous connaissons bien évidemment tous.
Mais alors, compte-tenu de ces éléments, le contrat de mandat était-il transmis de plein droit en l'espèce au titre des contrats en cours, faisant de la société nouvelle Val de Vienne Immobilier le cocontractant bénéficiaire de la commission litigieuse?
La Cour d'appel retient que ce mandat fait partie de la clientèle du fonds de commerce de l'agent immobilier. Et puisque l'acte de cession du fonds de commerce comportait la clientèle, le mandat aurait alors été cédé de plein droit au cessionnaire. Recevable? Raisonnement intéressant mais non pertinent, et la Cour de cassation met justement le doigt dessus en cassant l'arrêt au visa cette fois-ci de l'article L 141-5 du code de commerce:
la cession d’un fonds de commerce n’emportant pas, sauf exceptions prévues par la loi, la cession des contrats liés à l’exploitation de ce fonds, la cession d’un fonds de commerce d’agent immobilier n’emporte pas cession des mandats confiés à ce professionnel.
Effectivement, quel est-il ce mandat si ce n'est un contrat lié à l'exploitation du fonds? D'ailleurs la Haute Cour s'est déjà prononcée sur cette question, ce qui ajoute à la pertinence de cet arrêt qui n'est que la continuité de la construction du droit autour de la cession de fonds de commerce. Par exemple il a été dit que, "en l'absence de clause expresse, la vente d'un fonds de commerce n'emporte pas de plein droit cession à la charge de l'acheteur du passif des obligations dont le vendeur pourra être tenu en raison des engagements initialement souscrits par lui" (Cass. Civile 3, 7 décembre 2005, n° 04-12.931, JCP E 2006, n° 4 p.206; Cass. commerciale, 3 octobre 2006, RJDA 2007 n° 140).
Le contrat de mandat n'est donc pas cédé de plein droit mais alors dans ce cas, il s'agit de se reporter au soutien qu'offre la loi du contrat. Les parties à la cession pourront prévoir toutes les inclusions qu'elles estimeront nécessaires. C'est ici même que se retrouve la force de l'accord des volontés pour justement modeler la cession du fonds de commerce. En fin de compte, voilà beaucoup de formalités à accomplir dans le cadre de la cession pour s'assurer d'une transmission optimale.
Tout ceci témoigne assurément d'une certaine lourdeur, votre serviteur étant partisan de l'idée défendue par Messieurs Jeantin et Lebel selon laquelle l'inclusion des contrats indispensables à la survie de l'entreprise dans le fonds de commerce est une nécessité absolue. Mais subsisterait encore la problématique de déterminer ce qu'est un contrat indispensable.
Matthieu Ciutti
Élève-avocat