L'islam politique à la croisée des chemins
Deux articles intéressants ont été récemment publiés dans les journaux al Quds al Arabi et Arabi 21 sur la question du devenir des organisations islamistes dans le monde arabe, deux points de vue assez différents.
- Dans son article publié le 2 novembre 2021 dans le journal al Quds al arabi et intitulé « les organisations de l’islam politique : fin d’une lecture», l’universitaire Kamal al Qasir ne se montre pas optimiste quant à la capacité des formations islamistes actuelles à renouveler leur logiciel idéologique et à refaire surface sur le plan politique.
Il énonce à ce titre plusieurs constats :
La mort des grandes idées est nécessaire au renouveau, c’est là une vérité d’ordre général dans l’histoire à laquelle n’échappent pas les organisations islamistes actuelles. Ces organisations ont plus que jamais besoin d’un nouveau rêve, d’un nouvel élan suscitant de fortes émotions, qui a été, selon l’universitaire, le point de départ de tout projet au sein de l’islam politique, à l’instar du mahdisme chez les Fatimides ou encore de l’allégeance (bayaat al rida) à la famille du Prophète qui a eu cours sous les Abbassides.
Tous les débuts nécessitent en effet une certaine dynamique idéologique qui soit source de cohésion. C’est ce que Kamal al Qasir appelle la "asabiyya fikriyya", un terme qui ne peut être qu’imparfaitement traduit en français et désignant la cohésion d’un groupe faisant bloc autour de la défense d’une idée. Selon lui, c’est cette "asabiyya fikriyya" qui a présidé au rassemblement des islamistes dans le monde arabe au début du XXème siècle. Efficiente pendant tout le 20ème siècle, elle a eu pour aboutissement ce à quoi nous avons assisté après les révolutions du printemps arabes. Toujours selon Kamal al Qasir, il faudra désormais attendre deux ou trois générations pour voir poindre des idées nouvelles et dépasser la situation actuelle.
Mais le constat ne s’arrête pas là. Pour Kamal al Qasir, cette dynamique idéologique a certes donné lieu à l’essor des groupes islamistes arabes tout au long du siècle dernier mais elle ne leur a nonobstant pas ouvert les portes du pouvoir. Or les révolutions arabes ont sonné le glas de cette dernière, devenue inefficiente et constituant désormais le principal frein à un sursaut de l’islam politique.
Autre entrave empêchant les organisations islamistes actuelles de refaire surface sur le plan politique, la présence en leur sein d’une majorité de technocrates que l’universitaire désigne sous l’appellation de «techno-islamistes». La présence de ces derniers était nécessaire lorsque les formations islamistes ont partiellement accédé au pouvoir mais eux aussi constituent désormais un frein au renouvellement idéologique de ces formations.
Ainsi selon Kamal al Qasir, les groupes islamistes vont rentrer dans une période d’errance sur les plans idéologique et politique et ce, d’autant que la nouvelle génération d’islamistes cherche des solutions auprès des anciennes générations dont l’échec est patent.
L’universitaire termine son constat en faisant un parallèle entre les groupes islamistes arabes et les courants de « droite » dans le monde. Cette comparaison est quelque peu hasardeuse à mon sens (aussi l'auteur entend-il peut être désigner par « la droite dans le monde» les courants conservateurs de manière géénrale?) mais néanmoins intéressante dans sa dimension « prospective ». Kamal al Qasir explique en effet que les organisations islamistes demeureront présentes et ressurgiront périodiquement à la faveur de débats liés à l’identité et la culture, avant de s’étioler de nouveau à l’occasion des échéances électorales successives.
Un avenir peu réjouissant donc pour l’islam politique ...
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-L’article de Bassim Nasser, publié le 5 novembre et intitulé « l’islam politique refera t-il surface ou sera t-il marginalisé ? » aborde la question du devenir l’islam politique de manière moins théorique, en rapportant plusieurs points de vue différents.
Bassim Nasser cite d’abord le point de vue de l’écrivain jordanien résidant aux Etats Unis, Oussama Abou ar-Rachid, alléguant du fait que l’islam politique aborde une nouvelle étape à l’issue de laquelle seront redéfinies l’influence de ses différents courants et leur popularité ». L’écrivain affirme que l’avenir de l’islam politique et en premier lieu, celui des Frères Musulmans, sera lié à sa capacité à réagir de manière saine et efficace face aux crises et aux défis qu’il affronte actuellement, précisant que l’islam politique a déjà relevé ce genre de défis et suggérant qu’il en est capable puisqu'il s’apparente en réalité à « une plante qui a germé naturellement dans la région arabe".
L’article rapporte également le point de vue de Khalid al Asri, chercheur marocain et professeur de sciences politiques.
Celui-ci met en garde contre toute tentative d’enterrer trop rapidement les mouvements se réclamant de l’islam politique, soulignant que ces mouvements sont nombreux et divers, allant du radicalisme des Talibans à un islamisme plus "ouvert" pratiqué par le président turc Erdogan. Entre ces deux pôles figurent et agissent de nombreux mouvements. Khalid al Asri insiste aussi sur la nécessité de définir ce que l’on entend par « déclin » de l’islam politique : pointe t-on l’incapacité de ces mouvements à accéder au pouvoir ou parle t-on du combat mené par certains de ces mouvements contre un pouvoir tyrannique ? A la question de l’incapacité des mouvements islamistes à accéder ou se maintenir au pouvoir, le chercheur marocain répond que cela n’implique pas la disparition de ces derniers, précisant qu’un coup d’état militaire dans tel ou tel pays ne signifie pas la fin de l’islam politique mais la violation, par le pouvoir, de la volonté populaire. Khalid al Asri enjoint enfin les formations islamistes à initier un changement en adoptant une logique de mouvement sociétal ayant un projet susceptible de rassembler de larges composantes de la société aux orientations différentes plutôt que de penser en termes organisationnels. C’est selon lui cette incapacité à passer d’une logique d’organisation fermée à une logique de mouvement sociétal ouvert qui menace véritablement les formations islamistes.
L’article comporte également le témoignage de Jamal Abdessatar, secrétaire général de la ligue des ulémas sunnites. Après avoir rappelé le rôle très positif joué par les mouvements islamistes au cours du siècle dernier, celui-ci affirme que même si les mouvements islamistes en tant qu’organisations sont en proie au déclin, la pensée islamiste ne disparaîtra pas et ressurgira sous des formes différentes. Quant à la capacité des formations islamistes actuelles à se réformer et se restructurer, Abdessatar note qu’elles ont là une occasion de se débarrasser des maux qui les ont affectées, à condition qu’elles se hâtent d’opérer la révolution attendue et leur propre révision en interne. Abdessatar se montre toutefois pessimiste quant à l’avènement de cette révolution interne qui semble tarder à venir.
Enfin l’article se termine sur les propos optimistes du jordanien Azzam al Tamimi, président du conseil d’administration de la chaîne « al Hiwar » basée à Londres. Celui-ci soutient que tant que l’idéologie ayant présidé à l’avènement des mouvements islamistes est présente, ces mouvements ne disparaitront pas et se renouvelleront. Azzam al Tamimi souligne nonobstant que ces mouvements ont été durement frappés et qu’il leur sera difficile de ressurgir, en particulier les Frères Musulmans égyptiens dont la direction a été décapitée et qui se trouve désormais en proie à des divisions internes qui pourraient obérer la pérennité du mouvement.
Que pensez vous des différents points de vue évoqués ? Quelle est votre analyse du devenir des mouvements se revendiquant de l’islam politique ? Pensez vous que nous assistions au crépuscule de l’islam politique comme tendraient à le signifier les dernières déconvenues des partis islamistes au Maghreb ?
Auditeur Mediateur Interreligieux et Interculturel (A.M.I)
3 ansL'islam politique n'est pas décapité...il repasse en mode furtif. L' Islam politique est avant tout un mouvement identitaire et réactionnaire, tous les ingrédients sont en place pour une nouvelle résurgence sous une forme différente